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C’est quoi, le métier d’acheteur ?

Depuis la crise de 2008, les entreprises ont compris qu’acheter toujours moins cher n’était pas une solution durable. Le métier d’acheteur a changé et les pénuries mondiales rendent son rôle stratégique.

Lucile Chevalier
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Illustration de l'article C’est quoi, le métier d’acheteur ?

© Getty Images

« En ce moment, je passe mes journées à courir après les pièces », résume Patrice Santos, acheteur chez Logitrade, une PME montpelliéraine spécialisée dans l’achat de pièces manufacturées, électroniques et de services (formation, maintenance, bureaux d’études) pour des industriels.

Depuis la reprise économique post-Covid, sa mission, comme celle de tous les acheteurs, est sinon impossible, à tout le moins acrobatique. Il doit acheter les bons produits au meilleur prix, tout en veillant à ce qu’il arrive au bon moment chez le client.

Pas facile quand les prix flambent : « Le coût des polyamides (utilisés par l’industrie automobile) connaît des hausses atteignant les 100 %, le coût pour un conteneur venu de Chine a été multiplié par cinq depuis juin 2020 », égrène-t-il. Pas facile non plus quand il existe des pénuries sur certains produits, comme les semi-conducteurs.

Et enfin, pour livrer les pièces en temps et en heure dans une économie mondialisée, avec ses guerres, ses catastrophes climatiques ou humaines et ses pandémies, il faut être un fin stratège. « Un délai non respecté, c’est une production retardée et des pénalités de retard dont devra s’acquitter l’entreprise auprès de ses clients », explique l’acheteur de Logitrade. La fonction a donc un rôle clé et les entreprises en sont bien conscientes : 56 % des directeurs d’achats siègent désormais au comité de direction1 de leur entreprise. Il faut dire que le métier est devenu stratégique.

Du moins cher au bon prix

« Il y a 20 ans, les acheteurs se concentraient sur un critère unique, le prix, comme si tous les produits se valaient », rappelle Sébastien Perdereau, en charge de la division Achats et Supply chain chez Michael Page.

Quitte à contribuer à la désindustrialisation du pays, en s’approvisionnant à l’autre bout du monde et à souffrir durablement d’une mauvaise image : celle de cost killers. La crise de 2008 a déclenché une petite révolution. « Pour les entreprises, il s’agissait toujours de réduire les coûts, mais une majorité d’entre elles arrivaient à la conclusion que mieux acheter était une partie de la solution. Elles ont donc mis les moyens en créant une direction Achats, en recrutant et en structurant ce service. Cette crise a aussi causé la faillite de nombreux sous-traitants. Les directeurs d’achats ont pris conscience que baisser les prix jusqu’à étrangler ses fournisseurs et les perdre, ce n’était pas une bonne chose », poursuit Sébastien Perdereau.

Certains ont tout de même gardé les vieux réflexes. En pleine crise sanitaire, des acheteurs ont mis une forte pression sur leurs fournisseurs, comme si la pandémie n’existait pas. « Mais ils l’ont payé cher, car ont été servis en premier ceux qui ont fait preuve d’un certain fair-play », explique Valérie Basmoreau, de PPA Business School. 

Il ne faudrait pas se méprendre : le prix reste un critère d’achat, surtout en ce moment avec l’inflation qui galope, et une des missions de l’acheteur reste d’obtenir le meilleur. Mais il y a la manière. « Nos fournisseurs consentent à modérer leurs prix, car nous achetons régulièrement chez eux et en quantité. Je connais leur savoir-faire, une relation de confiance, de partenariat s’est créée », explique l’acheteur de Logitrade.

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Démasquer la contrefaçon

Certes. Mais que faire quand ces « partenaires » n’ont tout simplement pas la pièce ? « Quand je ne trouve pas dans notre base interne, et que le client a besoin rapidement d’un composant électronique, je fais appel à des courtiers qui regardent partout dans le monde où il reste des stocks », explique-t-il. Pour les pièces, Patrice Santos maintient une veille active et… méfiante.

Car « quand une petite entreprise affirme disposer de pièces en période de pénurie, ce qui semble trop beau pour être vrai est effectivement trop beau pour être vrai », avertit Steve Calabria, fondateur du distributeur PC Components. La contrefaçon de semi-conducteurs, par exemple, représente 7 % du marché mondial. Ce chiffre est probablement en hausse, car les pénuries sont un terreau fertile pour les contrefaçons.

Il faut donc avoir du flair et s’appuyer sur des outils pour juger du sérieux des fournisseurs et acheter les bons produits. « Il existe des bases de données comme celle du Coface pour vérifier la fiabilité financière d’un fournisseur », cite Valérie Basmoreau, de PPA Business school.

Enfin, il reste un dernier défi : tenir les délais de livraisons. « J’appelle deux à trois fois par jour les fournisseurs pour savoir où en est la pièce. Et au cas où, je prévois toujours un plan B. Pour chaque pièce, il faut au minimum deux fournisseurs », conclut Patrice Santos.

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1. Selon le livre blanc, « La fonction achats en 2030 », réalisé conjointement par le cabinet de recrutement Michael Page et le Conseil national des achats, association professionnelle.

Quelle(s) formation(s) ?

Mieux vaut viser les masters. Certes, les licences professionnelles en Gestion des achats et approvisionnements (GAA) ouvrent l’accès au métier d’acheteur. Néanmoins, ces titulaires d’un bac +3 auront par la suite une progression de carrière plus lente que leurs collègues titulaires d’un bac +5.

Comme le souligne l’Observatoire de la fonction achats, « le diplôme bac +5 offre une voie d’accès plus facile aux postes de direction et responsable des achats ». Les entreprises, et particulièrement les grands groupes, sont assez friandes des diplômés d’école de commerce. Le master spécialisé (bac +6) de Kedge Business School, à Bordeaux, et le master DESMA, à l’IAE de Grenoble, ont aussi une excellente réputation.

Gare aux amendes !

On ne peut plus acheter n’importe comment et à n’importe qui. De nouvelles réglementations (loi Sapin 2 de 2016 et devoir de vigilance en 2017, notamment) y veillent. Voici deux cas d’école.

Le 1er avril dernier, au tribunal judiciaire de Nîmes, l’entreprise espagnole Terra Fecundis, qui fournit de la main-d’œuvre aux exploitants agricoles, a écopé d’une amende de 375 000 euros et d’une interdiction d’exercer une activité de travail temporaire en France. Les ouvriers sud-américains, sous contrat espagnol, travaillaient sans autorisation, jusqu’à 70 heures par semaine, sans congés payés, ils étaient hébergés dans des logements indignes.

Sept exploitants français ayant acheté et utilisé ce service ont eux aussi été condamnés à des amendes allant jusqu’à 10 000 euros. Pour avoir omis de s’assurer que le prestataire Terra Fecundis respectait bien « les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ».

Le 22 février dernier, le ministère de l’Économie a annoncé qu’Intermarché était condamné à une amende de 19,2 millions d’euros pour manque de transparence dans des contrats avec ses fournisseurs.

Selon l’enquête de la Répression des fraudes, la centrale d’achats d’Intermarché imposait à de nombreux fournisseurs, par divers moyens de pression (arrêt de commandes, déréférencement de marques, etc.) un contrat par lequel ces derniers achetaient à Intermarché un service de coopération commerciale, comme des opérations promotionnelles. Les fournisseurs n’étant pas demandeurs et la contrepartie économique n’étant pas réelle, Bercy a estimé que ce service vendu s’apparentait à un droit d’entrée en négociation.

Salaires

Pour un bac +3 L’assistant achat débute avec un salaire annuel brut compris entre 24 000 et 28 000 euros ; Entre deux et cinq ans d’expérience, il oscille entre 28 000 euros et 32 000 euros brut par an.

Pour un bac +5 L’acheteur débute avec un salaire annuel brut compris entre 40 et 43 000 euros ; avec 3 à 5 ans d’expérience, il peut gagner de 45 000 à 55 000 euros, un variable comptant pour 10 % à 25 % de la rémunération.

Source : Michael Page

Pour aller plus loin

L’étude « Observatoire de la fonction achats en 2030 », réalisée conjointement par le cabinet de recrutements Michael Page et l’association professionnelle, le Conseil national des achats entre juin et septembre 2020.

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