L’acteur privé gestionnaire peut aussi bien être une association de quartier ou religieuse, un hôpital, un grand groupe tel que Microsoft, Apple, Coca Cola, souvent via une fondation, ou encore une organisation spécialisée dans les charter schools puisqu’un vrai marché s’est développé.
« Pour les pourfendeurs des charter school, ce modèle est l’hybride idéal : un financement public, une gestion privée. Avec l’idée que le modèle de l’entreprise fonctionnera toujours mieux que la bureaucratie, l’administration. On garde des écoles publiques, mais on y injecterait le meilleur du secteur privé (management, gestion) », explique Nora Nafaa, chercheuse en géographie de l’éducation à l’université de Perpignan.
Ce peut aussi être vu comme une façon pour l’État de déléguer ses responsabilités politiques dans un pays où le privé prend traditionnellement le relais. En d'autres termes, « la défaillance de l’État dans la délivrance d’un service public de qualité pour tous. Les pires écoles, on les donne à gérer à quelqu’un d’autre », précise la chercheuse.
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Des charter schools un peu partout
Apparues à la fin des années 1990, les charter schools sont aujourd’hui largement présentes aux États-Unis. Le pays en compte plus de 7 500 pour l’année 2019-2020. Un chiffre qui a plus que doublé en quinze ans. « Difficile néanmoins d’en dresser le portrait type, tant on trouve de tout », poursuit la spécialiste.
Les charter schools les plus souvent citées en exemple, sont celles créées dans des quartiers en cours de gentrification. Des lieux où les parents, progressistes de classe moyenne supérieure, se rassemblent en association pour gérer l’école et utilisent leur réseau pour lever des fonds.
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À côté de cela, des établissements plus élitistes peuvent ouvrir lorsqu’un quartier et ses habitants changent complètement : « À Atlanta, typiquement, une grande compagnie immobilière a détruit et reconstruit les logements et commerces d’un secteur. Dans ce cadre, elle a aussi construit une école à charte. »
Mais les quartiers populaires n’échappent pas au phénomène : « Les charter schools peuvent être le moyen de remplacer des écoles publiques qui ont fermé en raison de coupes budgétaires ou de déclin démographique. Dans ce cas, elles sont souvent gérées par des associations d’habitants, mais ils n’ont pas beaucoup de ressources. Il arrive donc que l’école soit contrainte de fermer en cours d’année. » Comme une entreprise, elle fait faillite.
Un coût pour le service public
Qu’importe le secteur où elles apparaissent, ces charter chools ont en tout cas un point commun : une grande autonomie. Un argument central pour les partisans du concept : « Ces écoles ne sont pas soumises aux réglementations. Elles ne sont pas réservées aux enfants du secteur. Les enseignant(e) s ne sont pas obligé(e) s d’avoir un diplôme en éducation ou de faire cours autant d’heures chaque jour. Les services de transports scolaires ou de cantine ne sont pas obligatoires, ce qui permet de faire des économies. Et il y a de grandes libertés concernant le contenu des enseignements. »
Exit le bachotage et les tests standardisés que l’on trouve dans le circuit classique en sciences, anglais ou en maths par exemple. À la place, les cours peuvent être très variés allant de la sensibilisation à l’écologie à l’Histoire des Afro-Américains.
Ce tableau peut être séduisant. Sauf que, les charter schools causent beaucoup de maux à l’enseignement public, s’accordent à dire les spécialistes. Plusieurs études d’économistes montrent que ces écoles drainent les capitaux destinés à l’Éducation. Au lieu de faire des dons ou de distribuer des bourses à l’ensemble des écoles (dans une logique très américaine de charité), les acteurs privés favorisent les charter schools.
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Parallèlement, les districts ont de plus en plus de mal à suivre le départ des élèves. En 2017, vingt-deux États faisaient face à des déficits de rentrées budgétaires, ce qui pénalise prioritairement les enfants dont les familles sont en situation de pauvreté ou de précarité, indique une étude du Centre américain pour le budget et les priorités politiques.
« Les districts ne peuvent pas réduire les coûts fixes. Des élèves partent vers les charter schools, mais il faut continuer à payer pour le chauffage, l’entretien, le personnel (bibliothécaire, infirmier etc) », rappelle Samuel Abrams, enseignant à l’université de Columbia, spécialiste de la privatisation de l’éducation.
Une lutte contre les syndicats
L’autonomie du concept entraîne d’autres dérapages, parmi lesquels une précarisation du personnel : « Comme il n’y a pas de régulation, les enseignants sont employés de septembre à mai. Ils ne touchent pas de salaire, qui est en plus faible, pendant les mois d’été. Ce sont des sortes de contractuels. Et le turn-over est important », souligne Nora Nafaa. Conséquence : il est très courant que les profs cumulent les emplois pour pouvoir vivre. Ce qu’a fait Sam Abrams pendant 18 ans, lorsqu’il enseignait au lycée.
Or, pas question de se syndiquer dans les Charter schools, cela est souvent interdit. Un argument primordial pour comprendre leur expansion, explique le chercheur : « Ces établissements sont en effet devenus le moyen de briser les syndicats. Derrière les acteurs privés qui financent, on trouve souvent des conservateurs opposés aux syndicats et pour qui le libéralisme est la solution. Sauf que ce système du laisser-faire ne fonctionne pas pour les écoles. Il n’existe pas de bon système éducatif dans le monde sans syndicat. En Finlande, pays souvent cité en exemple, la quasi-totalité des personnels (des profs aux directeurs d’école) sont syndiqués. »
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Une critique culturelle de la pauvreté
Et si, certains assurent que le niveau scolaire est plus élevé dans les charter schools, « c’est en réalité un mythe. Le mesurer est très compliqué », renchérit Nora Nafaa. Dans les cas où les résultats sont meilleurs, on pourrait tout aussi bien l’expliquer par la présence de ressources importantes tant du côté des familles, que de l’établissement.
« Il y a un certain nombre de filtres avant l’entrée d’un enfant dans une charter school (dossier, rendez-vous, implication des parents, etc.). Cela peut dissuader les familles les plus pauvres. On constate un entre-soi. Cela remet en cause l’idée d’une éducation publique, gratuite et identique pour tou (te) s. »
D’après les nombreuses recherches de Samuel Abrams, les charter schools ont tendance à attirer les élèves dont les parents sont plus engagés et plus aisés, laissant derrière eux les élèves plus nécessiteux et rendant le travail des enseignants des écoles publiques encore plus difficile. Ces établissements ne favorisent donc pas l’égalité des chances, déplore Nora Nafaa. « Forcément, l’enseignement est meilleur là où il y a le plus de ressources humaines et financières. »
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C’est pourquoi, Samuel Abrams associe aux pourfendeurs des charter schools, une critique culturelle de la pauvreté : « Pour eux, les pauvres doivent apprendre, lire, étudier, s’habiller comme les ‘Bourgeois’et c’est par ce moyen qu’ils vont réussir. Le souci serait culturel. Aux États-Unis, il y a ce credo ‘ton code postal n’est pas ta destiné’ (“Zip code is not destiny”). En pratique, ça ne fonctionne pas comme cela. C’est déterminant. »
Pour le chercheur, c’est davantage la notion de critique structurelle de la pauvreté qu’il faudrait voir dans ce cas : une façon de lutter contre la pauvreté plus profonde. Plus coûteuse aussi : « On sait par exemple qu’en injectant des ressources considérables dans les écoles maternelles, cela participe efficacement à la lutte contre la pauvreté. Mais les acteurs qui financent les charter schools le savent et ne souhaitent pas payer autant pour le collectif. »
1Les districts publics financent de 75 % à 95 % du budget minimum imposé par l’État. Le reste du financement est apporté par les acteurs privés. Certaines écoles à charte parviennent à lever des fonds supplémentaires, donc parviennent à 120 % ou 130 %. D’autres à peine aux 100 % obligatoires. (Recherches de Nora Nafaa)