Economie
Chef cuisinier : derrière les fourneaux, la polyvalence comme maître-mot
Si le chef est avant tout un créatif qui imagine des plats, c’est aussi un manager qui pilote une brigade, un gestionnaire des achats et des stocks et un bon communicant.
Lucile Chevalier
© Getty Images
Les légumes, ustensiles, et épices attendent, bien en ordre, sur le plan de travail. Leur sort sera bientôt fixé. Le rituel de Rebecca Lockwood, cheffe du restaurant étoilé L’Agapé, à Paris, va commencer. « Chaque jour, depuis 25 ans, je crée une nouvelle recette. Je teste une association gustative, je m’essaie ou continue à me faire la main sur une technique » explique-t-elle.
Née à Rio, elle est devenue cuisinière pour « transmettre, communiquer des émotions à travers le goût ». Elle se forme d’abord à Rio, puis traverse l’Atlantique, direction l’institut Le Cordon bleu, une école parisienne renommée. Diplômée en 2002, elle part à Lisbonne pour devenir cheffe privée d’une grande famille, puis rentre au Brésil ouvrir son restaurant, avant de cuisiner pour Madonna et de faire Top Chef Brésil, en 2019. « Mon parcours est assez atypique », glisse-t-elle.
En avril 2022, des dizaines d’articles annoncent son arrivée à L’Agapé. Car les chefs sont devenus des stars. « Dans les années 1990, des chefs comme Robuchon et Ducasse faisaient déjà rêver, mais cela restait dans un cercle d’initiés, plus maintenant », explique Dimitri Amouroux, directeur académique et des opérations de l’École Fauchon.
Dans cette école, comme dans d’autres, des étudiants passionnés arrivent avec l’ambition de créer, à partir d’un panier de produits, une assiette qui « raconte une histoire », comme à la télé. « Attention, la création n’est possible qu’à partir du moment où on a acquis une grande maîtrise des techniques. L’identité, l’unicité, ça se construit avec le temps », avertit Dimitri Amouroux.
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Seulement 5 % de cheffes dans les étoilés
« Les mêmes tâches peuvent être jugées nobles et difficiles quand elles sont réalisées par des hommes, ou ignorées comme insignifiantes et imperceptibles, faciles et futiles quand elles sont accomplies par des femmes ; comme le rappelle la différence qui sépare le cuisinier de la cuisinière », pointait le sociologue Pierre Bourdieu, dans La Domination masculine (Seuil, 1998).
Pas faux. À la fin du Moyen Âge, la cuisine s’anoblit, pénètre les cours royales d’Europe et sort du giron domestique. Les cuisinières, elles, restent dans l’intimité des foyers. Elles cuisinent cachées chez les grandes familles, quand leurs homologues masculins, les plus méritants du moins, se font reconnaître « chefs » et obtiennent du même coup le statut de noble.
Et cela dure. Il faut une guerre mondiale décimant la gent masculine et un krach boursier, celui de 1929 (obligeant des familles bourgeoises désargentées à se séparer de leur personnel de maison) pour qu’enfin, les femmes ouvrent leurs propres restaurants. La mère Brazier ou la mère Bourgeois ont ainsi ouvert, dans l’entre-deux-guerres, dans la région lyonnaise leur « bouchon ».
En 1933, cette première est d’ailleurs la première cheffe à décrocher les trois étoiles du Guide Michelin. Aujourd’hui, selon la Dares, 35 % des postes en cuisine (d’apprenti à chef) sont occupés par des femmes. Seulement 5 % des restaurants étoilés sont tenus par des « cheffes ».
Coordination millimétrique
Un chef est certes un créatif qui imagine des plats. Toutefois, le métier ne se résume pas à cela. « Il pilote une brigade. Dans un bistrot qui fait 400 couverts, il y a 40 personnes en cuisine, du commis au second, en passant par les chefs de partie. Chacun a sa tâche, mais pour obtenir un plat parfaitement exécuté, envoyé au bon moment en salle, il faut une coordination millimétrique. Et c’est le chef qui l’orchestre » détaille Marine Moullé-Berteaux, responsable du secteur Hôtellerie, tourisme et restauration chez Michael Page.
Le chef a aussi en charge les achats, la gestion et les stocks. « La relation avec les fournisseurs est très importante, particulièrement quand on travaille dans la bistronomie, qui s’approvisionne en circuit court. L’ardoise change chaque semaine et elle part des produits », ajoute Marine Moullé-Berteaux.
Un bon chef a aussi la fibre marketing. Il doit attirer le client (la cheffe Lockwood utilise Instagram), le satisfaire et le garder. Ce dernier recherche une expérience, il aime par exemple qu’on lui explique que son camembert a été affiné par un Meilleur ouvrier de France (MOF).
Restaurant traditionnel, étoilé, brasserie, toutes les cuisines recrutent. Toutes exigent aussi d’un chef qu’il soit créatif, bon manager, gestionnaire, et acheteur et qu’il connaisse sur le bout des doigts les normes de sécurité et d’hygiène.
« Un candidat qui a les bonnes compétences et vient du même univers [on ne passe pas de second d’un restaurant de chaîne à chef dans un « gastronomique », NDLR] a au moins cinq offres d’emploi », indique la responsable chez Michael Page. Il faut aussi être tenace, car le métier est dur. « Nous travaillons quand les autres se reposent. Nous vivons en décalé par rapport au rythme de la société, de celui de la vie de famille », prévient la cheffe Lockwood, qui commence ses journées à 9 heures, s’arrête de 14 h 30 à 18 heures et termine après 22 heures.
En cuisine, il y a le chaud, le froid, le stress du coup de feu, les imprévus (un cuisinier malade, des daurades qui n’ont pas été livrées), le bruit, et on est debout en permanence. « Pour adopter ce métier, il faut d’abord essayer, passer une journée en cuisine, dans un restaurant ou en immersion dans notre école et vivre avec la brigade le coup de chaud », conseille Dimitri Amouroux.
Quelle(s) formation(s) ?
L’École Ducasse, l’Institut Paul Bocuse, Le Cordon Bleu, des noms prestigieux, des laboratoires dernier cri, et de bons Bachelors (bac + 3)… mais chers : entre 6 000 et 31 000 euros par an. Il existe d’autres chemins moins onéreux et tout aussi formateurs : le CAP Cuisine, le bac pro Restauration et le BTS Hôtellerie-restauration. L’établissement importe peu. « Ce sont les stages qui font la différence. Un chef satisfait vous recommande à un autre, etc. », souligne Marine Moullé-Berteaux, de Michael Page. Si brillant(e) que vous soyez, n’espérez pas devenir chef (fe) à la sortie de l’école. On débute commis, avant de passer cuisinier, chef de partie, sous-chef et enfin chef.
Salaires
De 0 à 2 ans d’expérience : à partir de 42 000 € brut par an.
De 2 à 5 ans d’expérience : à partir de 50 000 à 55 000 € brut par an.
(Source : étude rémunérations 2023 de Michael Page)
Pour aller plus loin
Le film - The Chef de Philip Barantini (2022).
La revue bimestrielle La Grenouille, 15 €.
Le livre Le Répertoire des saveurs, de Niki Segnit (Marabout, 2010).
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