Sociologie
“Climat, retraite… Les baby-boomers doivent rendre l’argent”
“OK Boomer”, c’est le nouveau mouvement qui tourne en dérision les baby-boomers, accusés par les jeunes de n’avoir pas anticipé les conséquences environnementales de leur mode de vie. Ces critiques - qui posent la question de la dette écologique et sociale entre les générations - sont totalement justifiées, estime Hakim El Karoui. L’essayiste et ancien conseiller ministériel regrette particulièrement la sortie manquée de la crise de 2008, un moment crucial qui aurait dû rabattre les responsabilités entre les retraités et les millenials.
Clément Rouget
Matthias Oesterle/ZUMA/REA
© Matthias Oesterle/ZUMA/REA
Pour l'Éco. “Peut-être qu’un jour les enfants de ce siècle se soulèveront contre la gérontocratie.” Voilà ce que vous écrivez dans votre ouvrage “La lutte des âges, comment les retraités ont pris le pouvoir” (Flammarion, 2013). Le mouvement “OK Boomer”, est-ce la confrontation que vous aviez anticipée ?
Hakim El Karoui. C’est en partie ça et c’est plutôt une bonne nouvelle. Nous assistons pour la première fois à une mobilisation générationnelle dont les revendications se cristallisent principalement sur la question climatique. Au sein du débat public, la jeune génération demande des comptes aux deux précédentes. Elle souhaite une reconnaissance des responsabilités de leurs aînés dans la situation environnementale actuelle. Demain, la question des retraites et du système de protection sociale sera sans doute aussi sur la table.
Pour les jeunes, l’irresponsabilité sociale et environnementale du siècle passé a un coût très élevé qu’il faut aujourd’hui assumer. Pour moi, ça ne fait aucun doute : les anciennes générations ont vécu au-dessus de leurs moyens. Elles doivent “rendre l’argent” et ne pas faire payer le prix de leur mode de vie aux générations futures. Mais le dialogue intergénérationnel n’est pas simple : les baby-boomers ne comprennent pas ce mouvement, ni le ressentiment qui l’anime.
Ne pas confondre : OK Boomer et Baby-boomers
Un baby-boomer est une personne née en Occident, entre entre 1946 et 1964, durant la période de forte natalité post-Seconde Guerre mondiale, appelée “Baby-boom”.
Ok Boomers est un mouvement viral issu d’Internet et du réseau social Tik Tok. Les jeunes générations (ou millenials) sont à son origine. Elles critiquent l’attitude de leur aîné, aujourd’hui à la retraite, coupables, selon elles, de n’avoir pas anticipé les conséquences environnementales de leur mode de vie et de production.
Les anciens n'ont-ils pas justement rempli leur mission en cotisant et en faisant, aussi, preuve de solidarité familiale ?
La solidarité d’une société doit-elle relever seulement de la sphère privée ou être appréhendée comme un sujet collectif ? Oui, l’entraide familiale est essentielle, mais elle génère, par nature, des inégalités sociales. Mon beau-père s’occupe de mes enfants le mercredi. Mais tout le monde n’a pas cette chance ! Cette solidarité privée ne vaut pas une politique publique. Il n’est pas question ici des 480 milliards d’euros annuels de transferts des actifs vers les retraités. Ce sont pourtant ces milliards et les mécanismes qu’ils alimentent qui font le socle commun de notre société, basé sur la solidarité entre les générations.
Au regard de ce principe, on ne peut pas “socialiser” d’un côté la solidarité envers les baby-boomers - c’est-à-dire assurer le paiement de leur pension - et de l’autre “individualiser” la crise climatique - donc imposer aux générations futures d’en assumer, seules, les conséquences. Sans prise de conscience collective, tout le monde sera coupable, surtout la génération des baby-boomers à cause de ses décisions prises lorsqu’elle était au pouvoir.
Quand une jeune députée néo-zélandaise rend viral le mouvement Ok Boomer.
A quels choix politiques faites-vous référence ?
La gestion de la crise économique de 2008 est un exemple significatif. Par peur d'endetter davantage leurs pays, les dirigeants ont refusé de mener une politique de relance par l’investissement, susceptible, dans leur logique, de générer de l’inflation. L’objectif était également de préserver la valeur de l’épargne.
A l’aune de cette lecture générationnelle, ces orientations ont clairement été influencées par des réflexes d’une population âgée entre 50 et 60 ans. Celle-ci avait tout à gagner à ne pas subir le coût d’une inflation potentielle. C’est encore elle qui n’investit plus son épargne dans l’économie. Et pour cause : elle ne souhaite plus prendre de risques. Ce réflexe générationnel a notamment influencé et guidé la politique économique allemande.
Éco-mots
L'inflation correspond a une hausse des prix généralisée, qui conduit à une perte de pouvoir d’achat de la monnaie. On achète moins de choses avec autant de monnaie.
Quelles étaient les autres options afin de limiter les inégalités intergénérationnelles ?
La crise économique que nous avons connue était un moment idéal pour remettre le curseur à zéro entre les générations. En évitant la faillite des banques, les actifs, et particulièrement ceux immobiliers - qui représentent l’une des plus importantes inégalités - , ont été préservés. Assumer une faillite aurait permis de redistribuer les cartes de ces biens immobiliers entre la génération : ceux qui en possèdent - les boomers - et ceux qui ont du mal à en acheter - les générations suivantes.
Plus globalement, que faudrait-il faire pour rétablir une forme de justice générationnelle ?
Il y a deux façons de gérer le défi climatique : soit tendre vers une société de la décroissance dont la plus grande caractéristique est la déconsommation ; soit s’orienter vers une société capable d’investir massivement dans des technologies nouvelles et plus efficientes.
Si la consommation est un comportement privé, le financement public est politique. Dans ce second cas, il faut poser la question : où doit investir l’Etat et avec quel financement. C’est à mon sens la génération des baby-boomers qui doivent mettre la main à la poche.
Une hausse de la CSG - dont le taux d'imposition pour les retraités est moins élevé que pour les actifs - me semble être une bonne solution. Cette manne financière supplémentaire pourrait financer un fonds pour l’avenir de la planète. C’est une des solutions pour lier la question des générations à celle du climat.
C'est quoi la CSG ?
Alors que le gouvernement planche sur une réforme du système des retraites, quel serait pour vous celle qui favoriserait les jeunes ?
Il s’agirait d’une réforme réduisant le montant des pensions des retraités actuels tout en instaurant un fonds d’épargne pour les générations futures. Plus précisément, cette transformation devra prendre en compte le taux de remplacement (le pourcentage de son ancien revenu que l'on perçoit une fois arrivé à la retraite) qui ne sera plus équivalent d’une génération à l’autre. Les ressources baisseront. Le déséquilibre financier du système sera accentué. Et notre modèle français coûte déjà cher : environ 14 % du PIB de notre économie, soit 3 % de plus que la moyenne européenne.
Baisser les pensions - pour financer un fond pour les jeunes générations - est l’unique solution. L’autre - qui ne me semble pas pertinente - serait d’augmenter les cotisations. Mais cette option aurait des conséquences négatives sur le coût du travail, qui augmenterait.
Les jeunes peuvent-ils changer quelque chose à cette situation ?
Il suffit de voter et de jouer sérieusement le jeu démocratique. Regardez les jeunes au moment du Brexit. Ils étaient contre le retrait de l’Union européenne, alors que les seniors, eux, y étaient favorables. Problème : les jeunes ont très peu participé au scrutin, contrairement à leurs aînés. Si on se met à l’écart du jeu démocratique, on le paye.
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