« Je vous présente Jukka. On est heureux de l’avoir chez nous » énonce la directrice administrative de Technopolis, une entreprise spécialisée dans le béton. Étrange, Jukka a pourtant 64 ans. Autres bizarreries : il a été embauché à 60 ans, ne pense pas à la retraite et est heureux de travailler. La directrice en rajoute une couche.
Pour elle, 55 ans est, professionnellement parlant, le plus bel âge. « On a encore 10 ans d’activité minimum. C’est l’âge où on prend du recul. On a de l’expérience, on en a fini avec l’instabilité de la jeunesse. Les enfants sont faits et sont grands, on est plus disponible : c’est l’âge de la réalisation. » 1
Un taux d’emploi des seniors en forte hausse
Les reportages sur la Finlande ont de quoi désarçonner. En France, seulement une petite moitié (56 %) des 55-64 ans sont en emploi contre 68,3 % en Finlande. Ce bon score finlandais, fierté nationale, amène Juhani Ilmarinen, expert en vieillissement de la population et ancien directeur de l’Institut finlandais de santé au travail, à nous faire la leçon : « En France, vous fixez l’âge de la retraite, mais vous ne faites rien pour améliorer la vie des gens au travail. Alors qu’il faudrait déjà commencer par ça. »
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Il sait de quoi il parle : le pays scandinave aux 5,5 millions d’habitants n’a pas toujours été un modèle sur le sujet. Lors de la crise qu’a connue le pays du début des années 1990, ce sont les seniors qui ont été les premiers sacrifiés. En 1995, 20 % des 50-59 ans pointent au chômage et seulement 34 % des 55-64 ans sont en emploi. Dix ans plus tard, ce chiffre progresse de plus de 20 points : 55,5 % des 55-64 ans sont en poste.
Changement de regard de la société
« Au départ, il y a eu un électrochoc qui a réveillé l’ensemble de la société, poussant tout le monde à aller de concert » pose Stéphanie Lecerf, présidente d’À compétence égale, association de recruteurs engagés dans la lutte contre la discrimination à l’embauche.
La Finlande n’est pas une terre d’immigration - il y fait froid et le finnois est une des langues les moins parlée au monde - ni le pays où l’on fait le plus de bébés. Les Finlandais se sont rapidement rendu compte qu’ils ne pourraient compter que sur eux-mêmes et leur main-d’œuvre interne vieillissante.
Keva, la compagnie gérant les retraites des employés municipaux, charge, au début des années 1990, l’Institut de médecine du travail de mener l’enquête. La démarche est consensuelle et réunit l’ensemble des parties prenantes. Les ministères des affaires sociales, du travail et de la formation, ainsi que les partenaires sociaux s’en saisissent et lancent le programme national et quinquennal pour les travailleurs vieillissants (1998-2002).
L’autre force du plan : tout part du terrain, des besoins et des spécificités des entreprises. « L’Institut du travail finlandais a démontré aux employeurs qu’en écartant les seniors, en bonne santé et avec de l’expérience et des compétences, ils faisaient un mauvais calcul. Et que pour gagner en performance, l’entreprise avait tout intérêt à mettre en place des politiques qui optimisent au maximum cette ressource » résume Anne-Marie Guillemard, sociologue spécialiste des comparaisons internationale sur les politiques de vieillissement et d’emploi des seniors.
Travail efficace mené sur l’attractivité des séniors
Formation, réseaux de consultants, outils de pilotage et d’évaluation des politiques mises en place, incitations financières… Tous les outils qui peuvent rendre les seniors plus attractifs pour les employeurs sont utilisés et déployés. Les chercheurs de l’Institut de santé au travail élaborent par exemple un outil très pratique et opérationnel pour les employeurs : un index de capacité professionnelle. C’est « la première fois qu’un tel indicateur réunissait la santé physique, le développement des compétences, les notions de communauté professionnelle et d’environnement du travail » explique Tom Hussi, chercheur spécialiste en organisation du travail qui participa à son élaboration.
Cet index, en détectant très en amont les risques en matière de santé, a permis aux entreprises d’anticiper et d’améliorer leur gestion des ressources humaines : adaptation des postes, propositions de mobilité professionnelle… Résultat, les incapacités de travail et départs anticipés à la retraite ont été considérablement réduits. « Ce n’est pas une fois qu’un employé a atteint les 60 ans qu’une entreprise doit commencer à regarder comment on peut améliorer sa capacité professionnelle » énonce Tom Hussi.
Les entreprises mettent aussi en place des actions adaptées à leur secteur. La société de travaux publics HKR-Teknikka offre par exemple à ses employés âgés de plus de 56 ans des massages, une semaine de remise en forme et un check-up médical annuel tandis que La Poste finlandaise finance des installations sportives et un médecin à demeure.
« Nous avons changé la logique : ce n’est pas aux seniors de s’adapter au travail tel qu’il est pratiqué dans l’entreprise mais à l’entreprise d’adapter le travail pour ses employés seniors » explique le consultant Juhani Ilmarinen. Horaires adaptés, tâches moins physiques et investissements dans des outils plus ergonomiques, un ensemble de mesures sont prises par les employeurs pour rendre le travail moins pénible pour les salariés et les convaincre de travailler un peu plus longtemps.
En appliquant leur propre programme, et surtout en les évaluant - en contrôlant par exemple l’évolution de la part des salariés seniors dans l’entreprise, le taux d’absentéisme ou en calculant le retour sur investissement de telle mesure - les employeurs se convainquent peu à peu, qu’effectivement, les seniors sont une richesse pour leur entreprise.
« Il existe une corrélation très forte entre le niveau de qualité du travail et le taux d’emploi des seniors » souligne la sociologue Anne-Marie Guillemard, qui rappelle aussi un autre point majeur. « En agissant ainsi, la Finlande n’a pas œuvré que pour ses seniors : cela a permis à tous d’avoir des cotisations retraites moins élevées. Et surtout, tous les actifs, jeunes comme moins jeunes, ont bénéficié des efforts effectués sur la qualité de vie au travail. »
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Notes
1. Extrait d’un reportage de Geneviève Roger et Loïc Le Moigne, diffusé dans l’émission « Avenue de l’Europe » sur France 3, le 14 février 2018.
2. Slogan du plan quinquennal sur les travailleurs vieillissants (1998-2002)
Pour aller plus loin
Les défis du vieillissement. Âge, Emploi, Retraite. Perspectives internationales, d’Anne-Marie Guillemard, Armand Colin, 2010
« L’emploi et le travail des seniors : l’expérience nordique à la lumière des exemples finlandais et norvégien » d’Hannu Piekkola, dans Revue internationale des sciences sociales, 2006/4, n°190, p. 587-599
« Emploi des seniors : les leçons des pays de réussite », étude dirigée par Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak, dans Revue de l’OFCE, 3/2008, n°106, p. 103-154.