Les opposants à la réforme contestent plusieurs points.
Tout d’abord, le « véhicule législatif », c’est-à-dire la forme sous laquelle la réforme a été inscrite à l’agenda de l’Assemblée nationale : le gouvernement a choisi de l'inclure dans le projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale (PLFRSS), seulement quelques mois après que le budget de la Sécu a été voté, alors qu’une rectification intervient généralement à l’automne. « L'insertion dans un PLFRSS de dispositions aussi importantes que celles apportant une réforme en profondeur du système de retraite n'est pas conforme aux dispositions organiques régissant les LFSS » estiment les députés du Rassemblement national dans leur saisine au Conseil.
En outre, l’usage de plusieurs articles de la Constitution, dont le 47.1 (Si l'Assemblée ne s'est pas prononcée au bout de quarante jours, le Gouvernement saisit le Sénat) puis de motions référendaires en première lecture du texte « conduisant à un non-respect des principes constitutionnels de clarté et de sincérité des débats parlementaires », précise marque la NUPES dans sa saisine, ont également limité le temps des débats dans l’hémicycle à 50 jours et évité au gouvernement de réaliser une étude d’impact.
Tous ces recours sont bien légaux, mais leur accumulation est anticonstitutionnelle aux yeux des opposants à la réforme.
Cavaliers législatifs
Les députés pointent aussi plusieurs contradictions dans les interventions publiques des ministres à propos de la revalorisation à 1200 euros minimum de toutes les petites pensions.
Dans le même temps, certains « cavaliers législatifs » sont mis en cause : la méthode consiste à insérer des mesures qui n’ont pas leur place dans un projet de loi de finance, comme l’index senior (l'obligation pour les entreprises de publier le taux de séniors employés) ou le CDI senior (contrat consistant à employer des travailleurs proches de la retraite). Dans le passé, les « cavaliers législatifs » ont souvent été censurés par le Conseil constitutionnel.
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La NUPES, dans sa saisine, ajoute encore que le texte porte atteinte à l’article 1er de la Constitution, où il est inscrit que « La France est une République sociale » et que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».
Les élus de gauche ont aussi déposé le 20 mars, devant le conseil constitutionnel, une demande de référendum d’initiative partagée (RIP) pour inscrire dans la loi que l’âge de la retraite « ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Le Conseil a un mois pour juger de la recevabilité de cette initiative. Si l’institution statue en sa faveur, la gauche entrerait alors en campagne pour recueillir les 4,8 millions de signatures nécessaires pour un examen au Parlement.
Censure complète ou partielle
Après examen du projet de loi, sur le fond et la forme, le Conseil Constitutionnel peut choisir de censurer la réforme, totalement ou sur certains points seulement. Selon la décision du Conseil, une loi peut être finalement promulguée, après modifications des points jugés inconstitutionnels ou complètement abandonnée. Le président de la République peut aussi demander une nouvelle délibération sur la loi.
Il existe quatre types d'inconstitutionnalité.
L'incompétence : « Seule une loi constitutionnelle peut déroger à la Constitution. Il y a incompétence positive lorsqu'une autorité empiète sur les prérogatives d'une autre et incompétence négative lorsque cette autorité ne met pas pleinement en pratique sa propre compétence » lit-on sur le site du Conseil constitutionnel.
Le vice de procédure pour des irrégularités commises pendant la procédure législative, comme la méconnaissance du droit d'amendement.
La violation de la Constitution, c’est-à-dire, le non-respect des droits fondamentaux.
Le détournement de pouvoir, lorsque des dispositions n'ont été prises que dans un seul intérêt financier.
Politiques versus juristes ?
Pour en décider, neuf « Sages » se réunissent au premier étage du Palais-Royal, rue de Montpensier à Paris, dans une pièce feutrée aux allures de boudoir. « Sages », c’est comme cela que la presse surnomme les juristes et personnalités politiques désignés pour neuf ans.
Trois sont nommés par le président de la République, trois par le président du Sénat et trois par le président de l'Assemblée nationale. Ils sont renouvelés par tiers tous les trois ans. Les anciens présidents de la République ont aussi le droit d’y siéger, mais François Hollande et Nicolas Sarkozy y ont tous les deux reconcé.
À l’heure de l’examen de la réforme des retraites, les membres sont :
- Jacques Mézard et Jacqueline Gourault, anciens ministres, Véronique Malbec, ex-directrice de cabinet du garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti, tous trois nommés par Emmanuel Macron.
- Alain Juppé, ancien Premier ministre UMP, nommé en 2019 par Richard Ferrand, l'ancien président de l'Assemblée nationale.
- François Pillet, ex-sénateur Les Républicains, choisi par Gérard Larcher, le président LR du Sénat, qui a par ailleurs nommé son ancien directeur de cabinet, François Seners, et le juriste Michel Pinault.
- Corinne Luquiens, ex-secrétaire générale de l'Assemblée nationale, entrée en 2016 grâce au président PS du Palais-Bourbon de l'époque, Claude Bartolone.
- Et Laurent Fabius, ancien Premier ministre nommé par François Hollande. Il officie comme président du Conseil.
Un mois pour décider
Cinq sont donc d’anciens politiques, et quatre, anciens fonctionnaires avec des compétences juridiques plus fines. Cette composition à cheval entre la politique et le juridique marque sa singularité au niveau international et met parfois en doute sa crédibilité et sa légitimité. « La délibération collective limite les influences politiques. Il peut y avoir des arrière-pensées politiques, mais il faut trouver des arguments juridiques » glissait un ancien Sage anonymisé par Franceinfo.
Les décisions sont rendues dans les huit jours en cas d’urgence et, autrement, dans un délai maximum d’un mois (25 jours dans le cadre de la réforme des retraites). Elles sont notifiées aux parties et publiées au Journal officiel. Les débats ainsi que les votes restent secrets : chaque séance est retranscrite intégralement, mais cette archive n’est rendue publique que 25 ans après sa création.