Les cinq immortelles et les vingt-neuf immortels de l’Académie française ont tranché : « la » covid-19 sera féminine. Pas son bilan, cependant : dans de nombreux pays, dont la France, plus d’hommes que de femmes ont succombé à cette maladie. L’explication ?
Elle est incertaine à ce stade, mais les hypothèses convoquent un mix de facteurs biologiques (systèmes immunitaires différents chez les hommes et les femmes, hormones) et de facteurs sociologiques (tabagisme, métier exercé, lieu de vie).
« Les différences de santé entre femmes et hommes peuvent s’expliquer par la biologie différente des corps masculin et féminin, mais pas toujours, explique Catherine Vidal, neurobiologiste et Directrice de recherche à l'Institut Pasteur. Il existe bien des inégalités dans l’accès aux soins entre les hommes et les femmes »
En cause : les normes comportementales de genre que la société calque sur les personnes.
Du stéréotype à l'erreur médicale
Explication. Les hommes et les femmes sont socialisés différemment, avec des effets sur leur manière de ressentir les symptômes, de les exprimer, de s’engager dans un parcours de soin.
Par exemple les femmes sont plus touchées par des douleurs chroniques (migraine, colon irritable) sans qu’aucune explication biologique ou physiologique – autrement dit naturelle - ne fasse consensus.
En revanche, il est évident que dans les familles, au travail, bref en société, on n'est pas autorisé à exprimer de la douleur de la même façon que l’on soit un homme ou une femme.
Les stéréotypes de genre impactent aussi la façon dont les médecins accueillent et orientent les patients. Pour diagnostiquer efficacement, il faut savoir lire des symptomes qui, en raison des codes sociaux de genre internalisés, ne vont pas nécessairement s'exprimer de la même façon. Il faut aussi sortir de certains clichés qui ont la vie dure.
Être aveugle aux stéréotypes genrés conduit à des erreurs médicales. Par exemple, les infarctus sont sous-diagnostiquées chez les femmes, notamment parce qu’elles peuvent afficher des symptômes (troubles digestifs, essoufflement…) moins hollywoodien que la douleur vive et soudaine dans le bras gauche.
Et si les comportements qui aggravent le risque (tabagisme, alcool, modes de vie) se sont considérablement égalisées, les troubles cardio-vasculaires en général continuent d'être attachées à l’image du mâle quinquagénaire hypertendu.
Malgré les campagnes de communication ces dernières années visant à casser ce cliché, le constat frappe : la majorité des décès liés à l’infarctus concernent des femmes.
Autre inégalité – à revers – pour l’ostéoporose. Cette fragilisation de la surface osseuse porte le stigma d'une maladie de petite vieille post-ménopause, alors qu’un tiers des fractures du col du fémur chez les hommes sont liées à l’ostéoporose, et ils meurent davantage dans l’année suivant une fracture de la hanche que les femmes.

Pourtant le mythe demeure, et représente un coût et un enjeu de santé publique.
Dans l’Union européenne, douze mille années de vie ont été perdues à cause de décès survenus des suites directes de fractures chez les hommes de plus de 50 ans, pour une charge financière de 11,6 milliards d’euros. Celle-ci pourrait atteindre 15,5 milliards d’euros en 2025 (+34%)1 !
5000 journées de travail seraient perdues chaque année au Danemark à cause de fractures survenues chez les hommes de 50 à 65 ans2.
Former soignants et patients
Pour mieux soigner, il y a urgence à mieux comprendre et à mieux prendre en considération ces interactions entre le sexe (la biologie et la physiologie) et le genre (les normes comportementales).
D’abord, il s’agit d’inclure les femmes dans les essais cliniques : la plupart des traitements et médicaments sont encore largement testés sur des animaux puis des humains... mâles.
Il faut ensuite sensibiliser les populations, comme l’Inserm s’y attache avec ses vidéos « Genre et santé: attention aux clichés! ».
La réalité, c’est que le risque pour un homme de plus de 50 ans de souffrir d’une fracture ostéoporotique est près de trois fois supérieur à celui de développer un cancer de la prostate. C’est qu’une femme sur trois meurt de maladie cardiovasculaire quand une sur 27 est touchée par un cancer du sein.
Dernier levier fondamental3 : une formation obligatoire pour les étudiants en médecine et les professions paramédicales, afin de faire évoluer les mentalités hors des a priori impactant la façon dont les soignant(e)s considèrent les pathologies.
Catégoriser selon le sexe ou le genre est un sujet glissant. La démarche doit rester « scientifiquement et médicalement justifiée » met en garde Claudine Junien, professeure de génétique médicale4.
« Il n’est pas question de faire de généralisations, ni de faire croire que la santé des hommes serait différente en tous points de la santé des femmes » abonde Catherine Vidal.
Le sexe ne fait pas tout. La preuve, on peut greffer un foie d’homme sur une femme, et inversement.
« Le risque de faire une dépression est bien plus dépendant des conditions de vie et de travail des individus que de leur genre, et la manière d'en parler dépend beaucoup de facteurs culturels ! rappelle l'experte. Pour bien soigner, il faut toujours replacer la biologie dans son contexte, qui est celui du genre. »