Depuis la publication, en 1859, de L’Origine des espèces, de Charles Darwin, les États-Unis sont agités de querelles récurrentes sur l’enseignement de la théorie de l’évolution.
Rappelons que cette théorie, qui fait consensus parmi les scientifiques, soutient que toutes les espèces animales – y compris, donc, l’espèce humaine – se sont transformées pendant des millions d’années par des mécanismes de sélection naturelle, sans intervention divine.
Cette absence de la main de Dieu fut longtemps rejetée. Ainsi, l’État du Tennessee promulgue en 1925 le Butler Act, qui interdisait de contester l’origine divine de l’être humain telle qu’elle est relatée dans la Bible. La théorie de l’évolution n’était censée s’appliquer qu’aux animaux et aux plantes ! Le Tennessee n’abolira cette loi qu’en 1967.
En 2022, les États-uniens continuaient d'afficher des opinions très contrastées. Ils sont 38 % à adhérer au créationnisme, une théorie qui soutient que Dieu a créé toutes les espèces en une seule fois sous leur forme actuelle. Ils sont également 38 % à accepter la théorie de l’évolution, mais en pensant qu’elle est pilotée par la volonté divine (c’est la thèse dite du « dessein intelligent »). Ils ne sont que 19 % à adhérer à la théorie de l’évolution stricto sensu1.
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De nos jours, la théorie de l’évolution a acquis droit de cité dans les lycées américains mais avec des intensités substantiellement différentes selon les États. Benjamin Arold, un chercheur du Centre des études en droit et en économie de Zurich, a voulu savoir si ces différences ont pu avoir une influence, d’une part, sur les croyances à l’âge adulte et, d’autre part, sur les parcours professionnels des élèves2.
En décortiquant tous les programmes des cours de biologie et d’astronomie sur la période 2000-2009, il a d’abord construit un « indice de l’évolution » qui mesure dans chaque État la couverture de la théorie de l’évolution dans l’enseignement au lycée. Cet indice va de 0 (absence de couverture) à 1 (couverture jugée complète).

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Protestants évangélistes
Pour apprécier les effets à long terme de l’enseignement de la théorie de l’évolution, Benjamin Arold utilise les données d’une enquête qui interroge un échantillon représentatif d’adultes américains sur leur croyance en l’évolution des espèces et qui renseigne sur l’État dans lequel les répondants résidaient à la sortie du lycée.
Ces données permettent de relier « l’indice de l’évolution » dans l’enseignement des lycées avec les croyances à l’âge adulte. La figure 1 met en évidence que les effets de cet enseignement sont importants. Ainsi, par rapport à l’absence de couverture (indice d’évolution = 0), une couverture complète (indice = 1) augmente en moyenne la probabilité qu’un élève croie en la théorie de l’évolution à l’âge adulte d’environ 33 %.
Elle souligne aussi une certaine hétérogénéité selon le milieu d’origine. Par exemple, l’effet est de près de 50 % pour un Afro-américain mais n’atteint « que » 20 % pour un protestant évangéliste et il n’est pas statistiquement significatif pour un élève venant d’un milieu non religieux.
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Sciences de la vie
Pour savoir si l’enseignement de la théorie de l’évolution a une influence sur les choix de carrière, l’auteur utilise les données d’une autre enquête qui contient des informations détaillées sur le domaine professionnel des répondants et qui renseigne sur l’État dans lequel ils vivaient pendant leurs dernières années de lycée.
En reliant ces données avec « l’indice d’évolution », il estime que par rapport à l’absence de couverture (indice = 0), une couverture complète (indice = 1) augmente la probabilité de travailler dans le domaine des sciences de la vie à l’âge adulte de 23 %. La figure 2 montre que cette hausse de la probabilité est particulièrement élevée pour les métiers relevant du domaine de la biologie, où elle atteint 40 %. Cela se comprend aisément, car c’est précisément dans les cours de biologie que la théorie de l’évolution est enseignée.
Deux constats d’importance, et qui méritent d’être confirmés au-delà des États-Unis, ressortent de cette étude. Le premier est que les programmes scolaires dans les matières scientifiques influencent durablement les croyances des élèves. Le deuxième, peut-être plus surprenant, est qu’ils influencent aussi de manière importante les choix professionnels. Au moins deux bonnes raisons pour promouvoir l’enseignement des sciences.
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1. « La France est-elle vraiment à l’abri du créationnisme ? », Laurent Cordonier, Pour l’Éco, août 2021.
2. « The Teaching of Evolution Theory Shapes Students’ Beliefs and Choices », VOX EU, Policy Portal, 20 octobre 2022.