Zéro. Pas un seul centime. Voilà de quel montant d’impôt sur le revenu Elon Musk (à l’époque deuxième homme le plus riche du monde, désormais le premier) s’est acquitté en 2018. Et encore : parmi ses pairs milliardaires, le fondateur de Tesla fait office de bon élève.
Entre 2014 et 2018, Jeff Bezos n’a été réellement taxé qu’à hauteur de… moins de 1 % de ses revenus. Quant à Michael Bloomberg ou encore George Soros, ils sont parvenus certaines de ces dernières années à esquiver, comme Elon Musk, totalement l’impôt sur le revenu.
Au point qu’Elon Musk se permette une petite pirouette face au gouvernement américain, en pleine réflexion sur une éventuelle taxe sur les ultra-riches : à la suite d’un vote organisé sur Twitter, le milliardaire a annoncé s’apprêter à vendre 10 % de ses actions Tesla – un montant d’environ 21 milliards de dollars – qui échappaient jusqu’ici à l’impôt. La raison est simple : les plus-values ne sont pas taxées tant qu’elles sont latentes, ni aux États-Unis, ni en France, ni ailleurs dans le monde.

Plus-value latente
Différence entre la valeur d’une action à un instant T et sa valeur au moment de l’achat. Contrairement à une plus-value, réalisée lors de la revente du titre, la plus-value latente n’est pas réelle. Elle permet simplement d’évaluer le patrimoine de qui détient l’action.
Moins de 2 milliards de dollars d'impôts pour les 25 Américains les plus riches
Lorsque l’on détient une action, on peut en tirer du bénéfice de deux manières.
La première tient à la nature de l’action comme part de l’entreprise : elle rapporte à qui la détient un dividende, un versement qui représente une fraction des bénéfices de la société – certaines entreprises, à l'image d'Apple entre 1995 et 2012, ne versent pas de dividende.
La seconde, c’est tout simplement de vendre son action. Si le cours de l’action est actuellement de 50 euros, et que l'on en a acheté 10 alors qu'il avoisinait les 25 euros, en cédant l’action, on réalisera un bénéfice de (50-25)*10, soit 250 euros. Ce bénéfice est appelé une plus-value.
Les taxes sur les dividendes et les plus-values réalisées sont plus ou moins élevées selon les pays et dépendent du type d’action, mais elles sont imposées. Autrement dit, un actionnaire qui souhaite échapper à l’impôt doit également renoncer à ses revenus.
Alors, les très riches seraient-ils secrètement pauvres ? Oui et non. Oui, car, de fait, leur objectif est de disposer du moins d’argent liquide possible. Leur fortune est basée sur le cours des actions qu’ils détiennent. Non, parce que du fait de leur importante solvabilité, les banques n’hésitent pas à leur prêter de l’argent, qu’ils utilisent pour investir.
Solvabilité
Capacité à rembourser ses dettes.
Et si les ultra-riches n’ont jamais été aussi riches, ils n’ont jamais aussi peu reversé leur fortune au fisc. En 2018, les 25 Américains les plus riches possédaient autant que 14,3 millions d’Américains « moyens ». Ces derniers ont, cette année-là, reversé 143 milliards de dollars d’impôt fédéral… et les premiers, seulement 1,9 milliard, soit 75 fois moins.
Une taxe sur les plus-values latentes…
Cette fortune intangible, constituée de la valeur des titres accumulés n’est aujourd’hui pas imposée. Pourtant, des initiatives pourraient voir le jour dans les prochaines années, portées par l’indignation provoquée par l’accroissement de la fortune des milliardaires durant la crise liée au Covid.
Les économistes français Gabriel Zucman et Emmanuel Saez ont ainsi conseillé à la sénatrice américaine Elisabeth Warren, durant sa campagne, de défendre une taxe sur les plus-values latentes. Une plus-value latente est réalisée lorsque le cours de votre action augmente – votre richesse augmente donc d’autant –, et que vous choisissez de ne pas vendre.
Les Anglais l’appellent « unrealized capital gains », « bénéfices non réalisés du capital », parce qu’il n’existe que sur le papier, ce qui le rend de ce fait non imposable... sauf en cas de changement de régulation.
Gabriel Zucman explique concrètement le procédé qui permettrait de faire sortir tous ces revenus non taxés de leur cachette, à La Libre Belgique : « Le millier de contribuables concernés disposent ensemble de 5 000 milliards de dollars dont 3 000 milliards de plus-values latentes. L’idée est de commencer par taxer ce stock de plus-values existant en une seule fois, soit les 3 000 milliards à une date clé […] à hauteur de quelque 20 %. […] Puis chaque année, le delta d’augmentation de la fortune de ces milliardaires serait taxé. Si leur fortune passe de 5 000 à 5 200 milliards, 200 milliards seraient ainsi taxés l’année 2 et ainsi de suite. »
… et 14 milliards d’euros pour le fisc français ?
Fin octobre, le sénateur américain démocrate Ron Wyden s’est inspiré du programme d'Elisabeth Warren pour proposer une taxe similaire dans le cadre du plan de relance élaboré par Joe Biden.
Sa « Billionaires Income Tax » aurait concerné les contribuables possédant plus de 1 milliard de dollars d’actifs ou ayant perçu plus de 100 millions de dollars de revenus pendant trois ans consécutifs. Elle n’a toutefois pas été retenue dans le projet de loi final, mais a tout de même provoqué de nombreux débats.
En France, une telle taxe sur les plus-values latentes a quelques défenseurs – l’ancien ministre de l’Économie et candidat à l'élection présidentielle 2022, Arnaud Montebourg, par exemple – et de nombreux détracteurs, qui citent en argument la difficulté de mettre en place cet impôt et les lourdeurs administratives qui en découleraient.
Pourtant, toujours d’après Gabriel Zucman, la « taxe Biden » appliquée aux 110 plus grosses fortunes françaises rapporterait 14 milliards d’euros au fisc français. De quoi permettre à l'État de profiter, lui aussi, de l’augmentation de 30 % du patrimoine cumulé des 500 Français les plus riches pendant la crise Covid.