Sociologie

Congé paternité obligatoire, un outil pour mettre les parents à égalité

Depuis le 1er juillet 2021, le congé de paternité s'étend à 28 jours, dont sept obligatoires. Obligatoire, c’est un outil efficace pour une prise en charge équilibrée des enfants et une moindre discrimination à l’égard des femmes… sous certaines conditions. 

Sandrine Chesnel
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© Getty Images

Quand la petite Maxima Zuckerberg est née, il y a cinq ans, son père Mark a annoncé sur Facebook qu’il allait prendre un congé paternité… de deux mois. Un geste politique fort dans un pays – les États-Unis – qui ne propose pas de congé aux parents, ni au père ni à la mère.

En France, aucun grand patron n’a jamais fait publiquement valoir ses droits au congé de paternité de 11 jours, qui existe depuis 2002 et s’ajoute aux trois jours du congé de naissance créé en 1946.

Selon un rapport de l’IGAS de 2018, 7 pères sur 10 prennent ce congé paternité, un chiffre qui ne progresse plus depuis plusieurs années. Pourtant, deux semaines loin du travail, cela semble bien peu si on les compare aux 12 semaines du congé paternité espagnol ou aux neuf semaines accordées aux pères finlandais.

Mais les choses bougent au pays de Françoise Dolto (N.D.L.R : Pédiatre et psychanalyste française qui s'intéresse à la psychanalyse et à l'éducation des enfants) : depuis le 1er juillet 2021, le congé de paternité s'étend à 28 jours, dont sept obligatoires. Coût : 500 millions d’euros.

Pour se faire une idée, c’est le tiers du budget dédié au futur Service national universel. Objectif : favoriser une meilleure répartition de la charge des enfants entre les parents, mais aussi, grâce aux sept jours obligatoires, faciliter la prise de congé par les travailleurs les plus précaires, la perte de salaire étant l’un des obstacles évoqués par les pères qui ne prennent pas la totalité de leur congé de paternité.

En Chiffres

500 millions d'euros

Coût de la mise en place d'un congé de paternité de 28 jours

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Légende : Le contexte professionnel joue un rôle majeur parmi les motivations invoquées par les pères. Les faibles taux observés chez les artisans, les agriculteurs, les commerçants ou les chefs d’entreprises s’expliquent par leurs difficultés à se faire remplacer, aux caractéristiques saisonnières de leur activité (pour les agriculteurs), mais aussi par la plus grande flexibilité de leurs horaires de travail, qui leur permettent de se rendre disponibles plus facilement dans la journée. Le taux de recours a diminué pour les ouvriers et les employés.

Pas une question de coût, mais de volonté

Une révolution serait-elle en marche ? La maternité, ou le « risque de maternité » ne seraient bientôt plus considérés comme un repoussoir par les recruteurs ?

Économiste au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail du CNRS et de l’Université d’Aix-Marseille, Stéphanie Moullet modère l’enthousiasme général : « Certes, le nœud gordien de l’inégalité femmes-hommes se trouve dans la sphère privée, en dehors du monde du travail. »

Oui, la naissance d’un enfant pénalise professionnellement les femmes, alors que le seul fait d’être père dope en moyenne le salaire des hommes qui ont eu un enfant, par rapport aux hommes qui n’en ont pas. Mais pour contrecarrer le risque de maternité sur les carrières des femmes, une semaine de congé paternité, c’est trop court. 
Stéphanie Moullet

Économiste au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail du CNRS et de l’Université d’Aix-Marseille

Trop court pour développer une parentalité partagée et lutter contre les stéréotypes de genre. Pour avoir un effet réel sur l’égalité femmes-hommes dans le monde du travail, il faudrait que le congé des pères soit obligatoire et aussi long que le congé des mères (16 semaines).

Certaines entreprises françaises l’ont bien compris. Elles n’ont pas attendu les décisions du gouvernement pour « pousser » les pères à prendre leurs responsabilités.

À l’automne 2019, trois start-upers français ont lancé le Parental Act : un dispositif par lequel les chefs d’entreprise s’engagent à assurer un congé du deuxième parent de quatre semaines, avec maintien du salaire.

Un an plus tard, « près de 400 entreprises ont signé ce pacte », précise Thibault Lanthier, l’un de ses trois concepteurs, avec Céline Lazorthes (Leetchi) et Isabelle Rabier (Jolimoi), « et son impact financier est assez limité. Nous avons calculé que dans une entreprise de 100 salariés, la mise en place du Parental Act concernera chaque année deux salariés en moyenne, soit seulement six semaines de congé en plus. Le mettre en place n’est pas un enjeu de coût, mais de volonté et d’organisation ».

D’autres entreprises sont allées encore plus loin et offrent plus de temps aux pères et aux deuxièmes parents pour trouver leurs marques – et les fidéliser : quatre semaines chez Axa, cinq chez Ikea, 12 chez Patagonia, 14 chez Kering ! Mais sans obligation de prendre le congé.

Fidéliser les salariés

Chez Novartis France (groupe pharmaceutique suisse, 2 300 salariés en France), on propose depuis janvier 2020 un congé de paternité de 16 semaines. « Tout collaborateur en CDI ou CDD y a droit et peut choisir la durée de son congé, à condition de le prendre en une fois », explique Laetitia Petillo, responsable des ressources humaines de Novartis en France.

En 2019, avant la mise en place de cette politique, seuls 20 pères avaient demandé à bénéficier du congé paternité « classique », alors qu’en moins de 10 mois, en 2020, 60 parents ont pris ce nouveau « congé parentalité » – dont un membre du comité de direction.

« Nous souhaitons montrer qu’un congé paternité substantiel ne met en péril ni la carrière des pères ni la continuité de l’entreprise. Nous sommes persuadés que des collaborateurs bien dans leur rôle de parent seront également bien au travail », explique Laetitia Petillo.

Ou comment la culture de l’efficacité, plutôt que celle de la présence, peut devenir un argument inattendu pour défendre le congé de paternité.

Pour aller plus loin

L’article “L’accès des femmes à des fonctions d’encadrement en Europe, entre légitimité éducative et contraintes maternelles”, par V. Di Paola, A. Dupray, D. Épiphane et S. Moullet, Chroniques du travail n° 8, 2018

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