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Coronavirus : le chômage partiel a-t-il été efficace ?
Politique économique
Coronavirus : le chômage partiel a-t-il été efficace ?
Dans une économie à l’arrêt à cause de la pandémie de coronavirus, de nombreuses entreprises sont contraintes de recourir au chômage partiel - ou plus précisément à l’activité partielle. Peu utilisé au moment de la crise 2008, ce dispositif, où l’État aide les entreprises pour préserver l’emploi, est aujourd’hui massivement soutenu par les pouvoirs publics. Mais à quel prix ?
Clément Rouget
© Pixabay
Le dispositif exceptionnel d'activité partielle du gouvernement
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Mise en place d’un système similaire au “chômage partiel” pour les personnes employées à domicile (assistantes maternelles, femmes de ménage…). Les employeurs continueront de rémunérer leurs heures prévues et non réalisées à hauteur de 80% de leur salaire habituel et ils se feront ensuite rembourser, via le Cesu.
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En avril 2021, le nombre de salariés recevant le chômage partiel est estimé par le ministère du Travail à 8,6 millions.
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Les établissements et entreprises subissant des restrictions d’ouverture continuent de bénéficier d'une prise en charge par l’État à 100% du chômage partiel jusqu’à 4,5 SMIC. (Attention : c'est bien le chômage partiel qui sera pris en charge par l'Etat et non 100% de la rémunération du salarié).
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Le coût total du dispositif, au mois d'avril, est d'environ 58 milliards d'euros, contrairement aux 24 milliards initialement prévus.
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Les entreprises disposent d'un délai de 30 jours pour déclarer leur activité partielle, avec effet rétroactif.
“Avec cette crise, je vais me reconvertir temporairement en maîtresse d’école à la maison.” La phrase est prononcée avec le sourire, un brin résigné, par une hôtesse d’Air France. Elle fait partie des 36 000 salariés (sur 45 000, soit 80%) que l’entreprise, avec la crise sanitaire, a été contrainte de mettre au chômage partiel. Dans de nombreux secteurs (tourisme, événementiel, sport, culture, industrie du pétrole…), des salariés connaissent la même situation. Doivent-ils s’en inquiéter ?
Éco-mots
Activité partielle/chômage partiel /chômage technique
Termes désignant une aide versée aux entreprises par l’État et l’Unedic (l’Assurance chômage), lorsqu’elles se voient contraindre de réduire leur activité à cause d’évènements conjoncturels et temporaires (crises économique, pandémie…).
Pour sauvegarder l’emploi...
Cela peut apparaître paradoxal, mais le but premier du “chômage partiel” est de maintenir l’emploi ! Le dispositif est reconnu pour son efficacité à la fois par les syndicats de salariés, patronaux et les économistes. “C’est un outil intéressant de prévention des licenciements économiques, explique Marylise Léon, secrétaire générale adjointe à la CFDT."
Pendant cette période de ralentissement économique, l’État prend à sa charge une partie de la rémunération des salariés. “Le chômage partiel est un outil ancien, qui était tombé en désuétude et que les pays européens ont redécouvert à l’occasion de la crise économique de 2008, raconte Nadine Levratto, directrice de recherche au CNRS et économiste spécialiste des politiques publiques de soutien aux entreprises. C’est un amortisseur social très efficace, qui limite la crise économique.”
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...L’État aide les entreprises
Concrètement, c’est à l’entreprise de faire la demande de mise en chômage partiel auprès des services régionaux du ministère du Travail, lorsqu’elle est contrainte de réduire ou suspendre temporairement son activité : pandémie, crise économique, sinistres et intempéries…
Contrairement au chômage classique, c'est ici l'employeur qui reste chargé du versement de l'indemnité. Les salariés la reçoivent aux mêmes dates que leur salaire.
A l'origine, l'État remboursait aux employeurs 100% du salaire, plafonné à 4,5 SMIC. Pour les salariés, la rémunération était équivalente à 70% (100% pour les salariés au SMIC et les personnes en formation) de la rémunération brute (84% du salaire net).
Après plusieurs annonces, ce taux va finalement diminuer. La prochaine échéance à retenir est le 1er juin : l'indemnité correspondra désormais à 60% du salaire brut du salarié par heure chômée, soit 72% du salaire net.
L'État et l'Unedic (Assurance chômage) interviennent seulement a posteriori pour verser une indemnité compensatrice à l'employeur, si la demande de chômage partielle de l'entreprise est acceptée.
Et pour le salarié ?
Le salarié, à l’exception des salariés “protégés” comme les délégués syndicaux ou du personnel, ne peut alors que se conformer à cette décision, sous peine de licenciement pour faute grave. Son contrat de travail n’est pas rompu, mais suspendu. En théorie, il peut même travailler pour un autre employeur durant cette période, sous réserve d’en avertir son employeur principal et que ne figure pas sur son contrat de travail une clause d’exclusivité ou de non-concurrence. Ces périodes d’activité partielle sont comptabilisées dans le calcul des droits à la retraite et le droit aux congés payés.
2008, les entreprises françaises passent à côté
Malgré les avantages du dispositif, les entreprises françaises l’ont peu utilisé lors de la crise de 2008. “En France, les entreprises n’ont pas fait le choix de l’investissement humain, décrypte l’économiste Nadine Levratto. Elles ont préféré dégraisser massivement.”
Le choix a été différent Outre-Rhin. Les entreprises allemandes ont utilisé ce dispositif et préservé l’emploi. Elles ont profité de la crise pour former leurs salariés, tout particulièrement dans l’industrie, en attendant des jours meilleurs. Un pari gagnant car lors du redémarrage de l’économie, l’Allemagne a gagné des parts de marché.
“En France, les organisations patronales ont compris que les dégraissages massifs ont débouché à moyen terme sur une perte de savoir-faire qui a pénalisé la reprise, analyse Nadine Levratto. Les entreprises ont compris l’intérêt de maintenir les compétences dans l’entreprise, même en période de crise.”
Raison pour laquelle Emmanuel Macron a annoncé le 12 mars 2020 un mécanisme exceptionnel et massif de chômage partiel, plus attrayant que pendant la crise de 2008.
Un mécanisme exceptionnel et massif de chômage partiel sera mis en oeuvre. [...] L'État prendra en charge l'indemnisation des salariés contraints de rester chez eux. Je veux en la matière que nous nous inspirions de ce que les Allemands ont su mettre en oeuvre avec un système plus généreux, plus simple que le nôtre.Emmanuel Macron
Jeudi 12 mars 2020, adresse télévisée aux Français.
Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire annonçait mardi 24 mars 2020 sur Europe 1 que le recours au chômage partiel concernait déjà 730 000 salariés "après seulement quelques jours" de mise en place du dispositif élargi. L’État s’attendait à l'époque à un peu plus de 2 millions de salariés concernés par le dispositif alors que lors de la crise de 2008-2009, le chômage partiel n’avait concerné que 275 000 personnes. Mais un an plus tard, en avril 2021, le nombre de salariés recevant le chômage partiel est estimé par le ministère du Travail à 8,6 millions.
Ce pansement doit rester circonscrit à des périodes exceptionnelles. "L’activité partielle ne doit pas être activée tout le temps. C’est un moyen de soutenir l’emploi, les compétences et l’activité économique en période de crise majeure, indique Marylise Léon, spécialiste de l’emploi et de l’assurance chômage à la CFDT."
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Son application n’est pas automatique. Lors du premier confinement, la ministre du Travail avait d’ailleurs menacé de refuser le chômage partiel aux entreprises du bâtiment, sans doute effrayée par le coût potentiel de la facture pour l'État. Les accusant de "défaitisme économique" au moment où les entreprises du secteur arrêtaient les chantiers pour préserver la santé des ouvriers, elle les avait appelés à reprendre le travail.
Un accord entre les entreprises du secteur et le ministère du Travail a finalement été trouvé pour poursuivre les constructions en avril 2020. Et si l’on en croit des chefs d’entreprises interrogés par La Tribune, les services régionaux du ministère du Travail "sur instruction, rejettent un maximum de dossiers".
Pour des raisons budgétaires ? La facture s'envole dans tous les cas pour l'État. Dans le deuxième projet de loi de finances rectificatif (PLFR), du mois d'avril 2020, le coût du dispositif était estimé à minima 24 milliards d'euros.
Or, à la fin du mois d'avril 2021, "le coût total du dispositif serait de plus de 58 milliards d’euros", selon Eric Woerth, président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale.