« La guerre en Ukraine et les mesures de confinement en Chine ont continué de marquer l’économie française en avril » pose sobrement la Banque de France dans sa dernière note de conjoncture. « 65% des chefs d’entreprises oeuvrant dans l’industrie et 54% des entreprises du BTP ont eu du mal à s’approvisionner », écrit aussi l'institution. En parallèle, l'inflation a atteint son plus haut niveau depuis 1985 : + 4,8%, indique l’INSEE.
Pas étonnant, dès lors, que l’activité ait pris un coup en 2022. Au 1er trimestre, la croissance du PIB est nulle, et au 2e trimestre, cela ne devrait être beaucoup mieux : + 0,25%, anticipe l’INSEE. Mais il y a tout de même une bonne nouvelle : l’emploi ne semble pas avoir été mis au parfum des derniers retournements de conjoncture. Malgré une croissance en berne, le chômage continue de reculer. Fin mars, il a même atteint son plus bas niveau depuis 2008 : 7,3 %.
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Étrange, car il y a moins de 3 ans, l’emploi avait encore besoin de la croissance pour s’épanouir. Arthur Okun, un économiste américain, en a même conçu une loi en 1962. Selon lui, en dessous d’un certain seuil de croissance du PIB, le chômage augmente ; au-dessus de ce seuil, il diminue.
Ce taux doit être suffisamment élevé pour compenser d’une part la hausse de la productivité et d’autre part celle de la population active : plus les actifs sont productifs, moins nous avons besoin de main d’oeuvre pour effectuer un même volume de travail. Pour créer de l’emploi, il faut donc que l’activité augmente plus que la productivité. Il faut aussi qu’elle augmente plus que la population active car il faut bien fournir du travail aux nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi.
Dans la France des années 1970 et 1980, le PIB devait croître de plus de 4,94% chaque année pour que le chômage recule. Dans les années 1990 et au début des années 2000, le seuil à dépasser était de 1,94%. Il s’est abaissé de nouveau à 1,5% autour des années 2010. Et en 2019, le PIB n’a eu qu’a croître de 1,2% pour faire reculer le chômage de 0,7%.
Avant même que le coronavirus ne vienne perturber l’économie et son fonctionnement, la tendance se confirmait donc déjà. « Nous avons de moins en moins besoin de croissance pour créer de l’emploi et faire reculer le chômage » confirme Vladimir Passeron, chef du département Emploi et revenus d’activité à l’INSEE. Car si « la productivité continue de croître, elle croit de manière moins importante que par le passé ».
Dans une économie de services, il est en effet plus difficile de faire des gains aussi importants de productivité que dans une économie industrielle avec la robotisation et l’automatisation des chaînes de production. La chute de l’investissement et l’évolution de la qualité de l’emploi expliquent aussi ce ralentissement1.
Quant à la population active, elle augmente aussi moins vite. « Aujourd’hui, les seniors sortent plus massivement du marché de l’emploi. Les réformes reculant l’âge de départ à la retraite ont surtout produit leurs effets entre 2010 et 2018 et jouent moins aujourd’hui. En revanche pour les jeunes (les 15-24 ans), ils sont de plus en plus en emploi car le nombre de contrats d’alternance et d’apprentissage ne cesse d’augmenter depuis 2019, avec une accélération en 2021 » explique le chef du département Emploi et revenus d’activité à l’INSEE.
Certes. Mais comment expliquer qu’en 2022, le chômage n’ait plus du tout besoin de la croissance pour reculer ? Le PIB a stagné au 1er trimestre, et le taux de chômage dans le même temps est descendu à son plus bas niveau depuis 2008. Lors de la dernière crise, à la fin de l’été 2008, la baisse subite de l’activité avait entraîné l’emploi dans sa chute dès le 4e trimestre 2008.
En 2009, l’économie entrait en récession (-2,6% du PIB) et le chômage grimpait de plus de 2,5 points pour atteindre un taux de 10%. En 2020, avec la crise sanitaire, l’activité chute mais l’emploi a beaucoup moins baissé. « Cette crise est particulière, car l’Etat a mis en place des dispositifs de soutien à l’emploi avec notamment le chômage partiel pour absorber ce choc. Mais pour la suite, rien ne dit que le chômage va continuer à reculer. La loi d’Okun marche en tendance, sur une année voire sur plusieurs, pas au trimestre » rappelle Vladimir Passeron de l’INSEE.
En 2021, année de la relance, le PIB a crû de 6,25%, les carnets de commandes se sont remplis et sont encore bien garnis car en avril « l’opinion des chefs d’entreprises dans l’industrie et le BTP sur la situation des carnets de commandes est positive, et nettement plus élevée que la moyenne à long terme » note ainsi la Banque de France dans sa dernière note de conjoncture.
Les entreprises ont aussi en 2021 reconstitué leurs stocks, et puisent dedans en attendant des temps meilleurs. La machine de production fonctionne donc encore, surfant sur la reprise de 2021. « La productivité a aussi probablement ralenti avec la crise sanitaire. Mais il est difficile avec des dispositifs de chômage partiel qui perdurent d’évaluer que est le niveau rythme de croissance de productivité en cette période de sortie de crise sanitaire » ajoute Vladimir Passeron.
Sur quels indicateurs dès lors s’appuyer pour prévoir la hausse ou la baisse du chômage ? Faut-il regarder du côté du BTP car « quand le bâtiment va tout va » ? Si cette formule datant du XIXe siècle a trouvé une certaine vérité tout au long du XXe siècle, ce n’est plus le cas. La valeur ajoutée de la construction dans la richesse nationale est passée de 13% au début des années 1970 à 5% aujourd’hui. Le poids de l’emploi a suivi la même tendance, si bien que la construction a perdu de son influence. Elle n’est plus le principal moteur de la croissance, capable d’entraîner et de faire prospérer le reste de l’économie.
Faut-il alors scruter la hausse de l’emploi intérimaire ? « L’interim était encore il y a deux ans, un indicateur avancé du marché de l’emploi. Quand l’activité redémarrait, les entreprises faisaient d’abord appel à l’intérim, moins contraignant et engageant, avant d’embaucher en interne. Mais en 2021, l’emploi dans le secteur intérimaire a progressé plus lentement que dans les autres et a mis plus de temps à retrouver son niveau d’avant-crise. Les entreprises ont préféré consolider leurs effectifs hors intérim » observe Vladimir Passeron.
« Il n’y a pas d’indicateur miracle, nous continuons à être attentifs au niveau de productivité, au taux de croissance de l’activité et au niveau de l’activité partielle. Et continuons de regarder le moral des chefs d’entreprises (le climat des affaires, le climat de l’emploi). Pour l’instant, le climat de l’emploi et les carnets de commandes restent plutôt bien orientés » conclut-il.
1. Ralentissement de la productivité au travail et prévision de l’emploi en France, INSEE.