Economie
Dans les entrailles budgétaires de l’hôpital public
Dépenses de personnel, investissements, charges hôtelières… Pour l’ Éco a passé au peigne fin les lignes budgétaires de ces établissements de santé pour comprendre où le bât blesse.
Cathy Dogon
© Sebastien ORTOLA/REA
Le chiffre est connu : 83 milliards d’euros, c’est le budget annuel alloué aux hôpitaux publics de France. Le contrôleur, c’est l’Objectif National Des dépenses d'Assurance Maladie (Ondam). Mais depuis 2005, cette enveloppe nationale aurait diminué de 8,6 milliards d’euros si l’on en croit la Fédération Hospitalière de France. Selon ses derniers chiffres, seul un hôpital sur trois est excédentaire.
Au fait, comment le budget d’un hôpital est-il employé ? Quelles sont ses ressources ? Pourquoi deux hôpitaux sur trois sont-ils en déficit ? Les investissements sont-ils suffisants ? Quelles sont les économies potentielles ?
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Pour analyser les recettes et les dépenses de l’hôpital public, Pour l'Éco s’est concentré sur les moyennes nationales publiées par la FHF et sur un cas concret, le CHU de Bordeaux, parce que l’hôpital Pellegrin est en tête du classement des hôpitaux français, selon le classement annuel Newsweek (hors Hôpitaux de Paris).
En France, 3,53% du PIB sont destinés aux hôpitaux. L’Ondam, l’organisme qui attribue le budget de la sécurité sociale, utilise 41% de son enveloppe pour les établissement de santé (budget total de l’Ondam, 200,3 milliards d’euros : soit 8% du PIB).
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Comment est financé l’hôpital ?
L’assurance maladie finance en moyenne 77% du budget d’un hôpital. Le budget alloué dépend du nombre et des types de soins pratiqués dans l’hôpital. C’est ce qu’on appelle la T2A, la tarification à l’activité, en place depuis 2008. Plus l’établissement pratique un éventail important de soins, plus il recevra une enveloppe financière conséquente.
À lire : A-t-on sacrifié l'hôpital au nom de l'économie ?
En plus des recettes publiques, 7% du budget provient du paiement des honoraires par les patients et leurs mutuelles.
La facturation des actes médicaux aux étrangers mais aussi l’échange de prestations entre établissements (envoyer un patient breton dans un hôpital vendéen pour un examen particulier), entre autres, constituent les 16% restants.
Au total, les ressources du CHU de Bordeaux pour l’exercice 2018 sont de 1,16 milliard d’euros. Son excédent s’élève à 417 413 euros pour cette année.
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A quoi sert ce budget ?
Le budget sert essentiellement à payer le personnel. Les hôpitaux consacrent entre 50 et 70% de leur enveloppe financière aux ressources humaines. L’exemple bordelais se situe au milieu de cette fourchette : il emploie 14 106 personnes (en 2018, source CHU Bordeaux) pour 58,8 % de ses dépenses.
Le personnel soignant (infirmiers, aides-soignants) occupent 61% des effectifs, 11 % pour les médecins. Le solde occupe les personnels médico-technique, administratif et ouvrier.
Analyse. Le personnel est-il réparti efficacement ?
D’après Nathalie Angelé-Halgand, enseignante chercheuse en sciences de gestion, le manque du personnel soignant et médical est crucial. Dans les urgences bordelaises notamment, “l’effectif cible n’est pas atteint” d’où le recours à l’intérim, aux heures supplémentaires, à l’augmentation des gardes de médecins et à l’embauche de contractuels. Preuve de la surcharge de travail, l’absentéisme bordelais équivaut à près de 900 équivalents temps plein, un résultat toutefois inférieur à la moyenne nationale.
La chercheuse déplore les choix RH passés : “Depuis 25 ans, pour gagner en productivité et en efficience, les fonctions de contrôle de gestion et l’informatique médicale ont pris de l’ampleur à l’hôpital”, analyse Nathalie Angelé-Halgand. “Pendant ce temps-là, les effectifs d’infirmières et d’aides-soignantes se réduisent”.
Certaines directions d'hôpitaux suggèrent une autre vision de la répartition des ressources humaines. Le personnel ouvrier, en moyenne deux fois plus nombreux que le personnel médico-technique, est l'objet de leurs attentions. Pour ces responsables, ces fonctions (jardinier, électricien) pourraient être externalisées.
En France, 27,3% des dépenses hospitalières couvrent en moyenne les besoins médicaux et pharmaceutiques. C’est le deuxième poste de dépenses. En matière de médicaments, les principaux partenaires sont asiatiques - le coronavirus a mis en évidence la dépendance pharmaceutique française à la Chine et à l’Inde notamment.
Mais cette dépense génère mécaniquement des revenus pour les établissements : à Bordeaux, la rétrocession de médicaments, notamment la vente à des particuliers de médicaments trop puissants pour être commercialisés en pharmacies de ville, a rapporté 64 millions d’euros en 2018.
En moyenne, 9% du budget finance l’amortissement, les provisions et les frais financiers. Selon l’OCDE, la France n’est classé que 21e au rang des pays qui investissent le plus dans l’acquisition de nouveaux dispositifs de soins. La contrôleuse de gestion et l’audit bordelais s’accordent sur le manque de moyens alloués à l’investissement dans l’hôpital, tant pour ses bâtiments que pour ses équipements.
Analyse. Manque d’investissements, quelles incidences ?
Le manque de moyens alloués à l’investissement concerne tant les infrastructures que l’appareillage hospitalier, comme l’imagerie médical. “Une entreprise avec des bâtiments dans une telle vétusté fermerait” réagit un directeur d'hôpital, qui a souhaité conserver l'anonymat. "Mais on ne ferme pas d’hôpitaux". Un manque d'investissement a "une incidence déterminante sur la capacité d’un système de santé à satisfaire les besoins de la population et à contribuer ainsi à l’amélioration des résultats", estime l'OCDE.
D’après Nathalie Angelé-Halgand, le coût de ces investissements (la dotation annuelle aux investissements) a un temps été inclus dans les tarifs des soins hospitaliers, avant de s’en voir exclus : “à charge pour les établissements de développer leur activité afin de générer des revenus suffisants pour couvrir ces charges, dans un contexte de réduction constante des tarifs”.
6,6% des dépenses vont aux prestations “hôtelières et générales” : restauration, les frais d’hôtellerie, l’énergie, les frais de gestion administrative, les assurances…
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Moment clé dans la restructuration du budget hospitalier : la tarification à l’acte
A partir de 1983, les hôpitaux n’ont plus été financés en fonction de l’occupation de leurs lits, mais d’abord par la dotation globale de financement, puis, en 2008, par le nombre de soins pratiqués. Résultat, la priorité est mise sur les séjours ambulatoires, c’est-à-dire de moins de 24h passées à l’hôpital. A Bordeaux, l’ambulatoire représente 60% des séjours. Une tendance vers laquelle se tournent tous les hôpitaux français. Cela permet de réduire les effectifs, de nuit notamment.
Soins et biens médicaux en pourcentage du PIB depuis 1950
Selon certains discours, l’ambulatoire est positif pour le patient, parce qu’en repartant plus rapidement chez lui, il diminue ses risques d’infections à d’autres maladies présentes dans l’hôpital.
“La crise sanitaire du coronavirus a montré que la réduction du nombre de lits a atteint un plancher, estime le directeur d'hôpital. Ce qu’il faudrait, c’est réfléchir à une plus grande plasticité des établissements de santé, notamment avec une capacité de réouverture de lits extrêmement rapide et un meilleur maillage territorial”.
Retour sur l’histoire du budget des hôpitaux en 9 points
- 1983 : Les coupes budgétaires ont commencé sous Mitterrand avec Pierre Bérégovoy et sa dotation globale de financement qui fixe les dépenses hospitalières annuelles.
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1995 : Alain Juppé crée l’Ondam.
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2003 : Le budget des hôpitaux dépend désormais du nombre d’actes médicaux réalisés avec la tarification à l’activité (T2A). Le Plan hôpital 2007 de Jean-François Mattei prévoit 10,2 milliards d’euros d’investissement.
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2009 : Les directeurs d’hôpitaux, non médecins, sont désormais chargés de leur gestion financière avec le plan Hôpital Santé Patients Territoire.
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2015 : Un plan d’économie de trois milliards d’euros est mis en place par Marisol Touraine sur trois ans dans les hôpitaux (et dix milliards d’euros dans la santé en général). Une maîtrise de la masse salariale est exigée pour rapporter 860 millions d'euros.
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2016 : Les hôpitaux fusionnent au profit de groupement hospitalier de territoire (GHT), avec la loi de modernisation de la santé de Marisol Touraine.
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2018 : Le budget de l’Ondam 2018 prévoit une hausse de dépenses hospitalières limitée à 2% contre une évolution spontanée de leurs charges estimée à 4%, soit 960 millions d’euros d’économie demandées aux établissements de santé.
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2019 : Le budget des hôpitaux est augmenté de 0,5%, soit deux milliards d’euros. La plus forte hausse du financement depuis 10 ans.
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Aussi en 2019 : Le pacte de refondation prévoit 754 millions d’euros sur trois ans pour les services d’urgence français par Agnès Buzyn (mais pas de lits ni d’effectifs supplémentaires). S’ajoutent aussi 1,5 milliard d’euros pour les hôpitaux dans le cadre du Plan d’urgence de l'hôpital, ainsi qu’une reprise de la dette de 10 milliards d’euros.
Crédit photo : Sebastien ORTOLA/REA
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