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Débat. La réforme de l'assurance-chômage est-elle juste ?
Politique économique
Débat. La réforme de l'assurance-chômage est-elle juste ?
Sélection abonnésAprès deux années de rebondissement, une partie de la réforme de l’assurance chômage est entrée en vigueur le 1er octobre, mais elle est loin de faire consensus, y compris parmi les économistes. Débat.
Stéphanie Bascou
© Marta NASCIMENTO/REA
« Juste, efficace et cohérent », contre « injuste, inefficace et punitive » : après les politiques, les économistes ont eux aussi participé au vif débat qui entoure la réforme de l’assurance chômage en publiant récemment deux tribunes opposées, l’une défendant le nouveau calcul de l’allocation chômage entré en vigueur le 1er octobre, l’autre le déplorant.
Alors que le Conseil d’Etat examine pour la 3e fois un recours contre une partie de la réforme depuis le 14 octobre, nous avons demandé à deux économistes du travail de répondre à la question : la réforme de l’assurance chômage est-elle (in)juste ? Débat.
Oui, la réforme est juste.
Elle n’enlève pas du tout une protection aux demandeurs d’emploi qui ont été les plus impactés par la crise et qui sont les moins concernés par la reprise.
Yannick L’Horty est économiste du travail et de l’emploi, et spécialiste de l'évaluation des politiques publiques. Cet enseignant-chercheur en sciences économiques à l'Université Gustave Eiffel fait partie de la centaine d’économistes signataires de la tribune du 9 octobre publiée dans les colonnes du Monde qui estiment que le nouveau calcul de l’allocation chômage est “juste, efficace et cohérent”.
« Juste, efficace et cohérent », contre « injuste, inefficace et punitive » : après les politiques, les économistes ont eux aussi participé au vif débat qui entoure la réforme de l’assurance chômage en publiant récemment deux tribunes opposées, l’une défendant le nouveau calcul de l’allocation chômage entré en vigueur le 1er octobre, l’autre le déplorant.
Alors que le Conseil d’Etat examine pour la 3e fois un recours contre une partie de la réforme depuis le 14 octobre, nous avons demandé à deux économistes du travail de répondre à la question : la réforme de l’assurance chômage est-elle (in)juste ? Débat.
Oui, la réforme est juste.
Elle n’enlève pas du tout une protection aux demandeurs d’emploi qui ont été les plus impactés par la crise et qui sont les moins concernés par la reprise.
Yannick L’Horty est économiste du travail et de l’emploi, et spécialiste de l'évaluation des politiques publiques. Cet enseignant-chercheur en sciences économiques à l'Université Gustave Eiffel fait partie de la centaine d’économistes signataires de la tribune du 9 octobre publiée dans les colonnes du Monde qui estiment que le nouveau calcul de l’allocation chômage est “juste, efficace et cohérent”.
Y.L'H. La réforme de l’assurance chômage est un sujet très technique et complexe. Ces dernières années, nous avons constaté de très nombreux bugs dans le fonctionnement de l'assurance chômage. Une bonne partie de la réforme consiste à réparer ces anomalies : il y a vraiment une dimension de mise à jour du logiciel de l’assurance chômage que le grand public ne perçoit pas forcément.
Parmi ces bugs, il existait des situations dans lesquelles le montant mensuel des allocations chômage dépassait le total cumulé des salaires de certains cotisants, et il y avait des aberrations en particulier pour les durées de cotisations les plus courtes et les montants d’indemnisation les plus faibles.
Or, l’opposition à la réforme a été caricaturale : on a réduit la réforme à un changement du niveau de générosité des salariés les plus précaires, l’assurance chômage à sa seule fonction redistributive.
Les économistes ne voient pas seulement l’aspect comptable des aides monétaires. Ils prennent en compte aussi ses effets comportementaux pour les évaluer.
Il faut savoir qu’en matière d’assurance, le contrat d’assurance peut changer les comportements. Et là le sujet est compliqué, car on parle autant des comportements des demandeurs d’emplois, que des comportements des entreprises en terme de durée de contrats proposés aux salariés, et de niveaux de rémunération.
On a ainsi constaté depuis les deux précédentes réformes de l’assurance chômage une très forte augmentation de l’activité réduite en France.
Personne ne souhaite que se développent ces formes d’activité, qui sont des formes de contrats de travail les moins sécurisantes, et des emplois de plus mauvaise qualité.
Et sans doute que le système d’indemnisation de l’assurance chômage a sa part de responsabilité dans cette augmentation, en mettant en place un contexte institutionnel qui favorise la prise en charge des situations les plus précaires et donc qui les encourage indirectement. Certaines entreprises adaptent en effet leurs politiques d’embauche au contexte d’assurance chômage.
Si on a des entreprises qui commencent à optimiser, c’est-à-dire internaliser dans leurs comportements les conséquences du régime d’assurance chômage, on peut avoir des effets réellement non désirés : des employeurs qui multiplient les activités réduites, des salariés qui alternent les périodes de faible activité et de chômage.
Le but de l’Assurance chômage est de déployer un filet de secours pour des personnes qui sont dépourvues d’emploi, il n’est pas d’encourager des entreprises à ce qu’il y ait beaucoup trop de monde dans le filet.
Il faut aussi bien comprendre que l’objectif premier de cette réforme n’est pas de réduire la dette (NDLR de l’Unedic) et de rééquilibrer le système, sinon une autre réforme aurait été mise en place, beaucoup plus drastique d’un point de vue de la générosité de l’indemnisation.
La réforme actuelle ne permettra pas de remettre le système à l’équilibre, même si elle peut y contribuer de façon marginale.
Les opposants à la réforme se focalisent également sur la situation des jeunes travailleurs qui ont accumulé peu de trimestres de cotisation, et qui pour un certain nombre d’entre eux, n’auront pas suffisamment de droits pour valider l’indemnisation. Mais aujourd’hui, nous sommes dans un contexte de forte reprise, dans lequel de nombreuses entreprises signalent des difficultés de recrutement. Dans ce contexte, les jeunes en particulier vont en être les premiers bénéficiaires, comme ils le sont toujours à chaque rebond de l’économie. Le problème numéro 1 dans notre conjoncture, c’est moins l’accès à l’emploi des jeunes que celui des demandeurs d’emploi de longue durée, les plus âgés, les seniors, les demandeurs d’emploi de plus de 40-45 ans qui ont été les plus impactés par la crise et qui sont les moins concernés par la reprise.
Globalement, la réforme maintient des conditions d’indemnisation satisfaisantes pour ces demandeurs d’emploi, qui doivent être les plus protégés aujourd’hui. La mise à jour du logiciel de l’assurance chômage s’impose donc, il est important de la concrétiser maintenant.
Non, la réforme de l’assurance chômage est injuste.
Il s’agit de la réforme la plus régressive qu’ait connu notre système d’assurance chômage depuis sa mise en place en 1958.
Sabina Issehnane est maître de conférences en économie à l’Université de Paris, chercheure associée au Centre d'études de l'emploi et du travail (CEET). Cette membre du think tank les Economistes attérés a pour principal domaine de recherche l’économie du travail et est signataire de la tribune du Monde du 30 septembre 2021 qui déplore « une réforme inefficace, injuste et punitive ».
S.I. La réforme de l’assurance chômage est injuste parce qu’elle va avoir pour conséquence de diminuer de manière drastique les indemnités chômage.
Cette diminution vient du nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) qui permet de calculer l’allocation chômage d’un demandeur d’emploi.
Avec ce nouveau mode de calcul, on ne prend plus en compte seulement les jours travaillés, mais l’ensemble des jours travaillés et non travaillés. La prise en compte des jours non travaillés fait réduire de manière automatique votre indemnisation chômage puisque votre dénominateur sera beaucoup plus important.
Derrière cette modification de calcul qui est difficilement compréhensible pour la plupart des Français, il y a la réforme la plus régressive qu’ait connu notre système d’assurance chômage depuis sa mise en place en 1958.
Cette réforme ne va pas seulement toucher les allocataires qui subissent une discontinuité de l’emploi (qui enchaînent des périodes de contrats et de chômage) et qui sont dans certains secteurs d’activités comme l’hôtellerie-restauration, mais elle va concerner tous ceux qui ont subi des accidents de parcours du fait de la crise sanitaire : les jeunes qui sortent du système éducatif, ceux qui n’ont pas vu leur CDD renouvelé pendant les périodes de confinement, tous ceux qui travaillent dans les secteurs particulièrement touchés par la crise sanitaire pendant laquelle il y a eu de nombreux accidents de parcours.
Certains prétendent parfois que le système d’assurance chômage est extrêmement généreux. Or l’indemnisation moyenne en France se situe autour de 910 euros par mois, et seuls 40% des demandeurs d’emploi perçoivent une allocation chômage.
Aujourd’hui, on oublie souvent que si vous donnez une indemnité chômage plus généreuse à un chômeur, son pouvoir de négociation va être plus important, et plus il pourra chercher un emploi qui correspond à ses qualifications et ses prétentions salariales. A l’inverse, plus vous la diminuez, plus son rapport de force va être faible, surtout dans un contexte de post-crise sanitaire avec un taux de chômage important. On va donc contraindre les chômeurs à accepter n'importe quel emploi, ce qui va conduire à un nivellement des conditions de travail en amenant ces derniers à accepter des emplois bas salaires parce qu’ils n’auront pas d’autres choix.
On va avoir des situations qui pourront être dramatiques. Les syndicats de Pôle emploi en ont conscience lorsqu’ils demandent la mise en place d’un plan de sécurité parce qu’ils ont peur pour les conseillers de Pôle emploi des conséquences de cette réforme. Un certain nombre de chômeurs qui seront dans des situations désespérées pourront être amenés à avoir des comportements désespérés.
Derrière ces réformes, il y a des vies, des familles en jeu. C’est ce qu’oublient un certain nombre d’économistes qui sont hors sol, et qui oublient le niveau de vie des chômeurs et des Français, et les conséquences économiques et sociales des réformes qu’ils peuvent mettre en place.
Les défenseurs de cette réforme s'appuient sur l’idée que le chômeur est un optimisateur, qu’il jouerait sur les règles de l’assurance chômage pour avoir un revenu mensuel plus élevé. Il faut savoir, et cela a été démontré par de nombreuses études, que les chômeurs ont une méconnaissance de leurs droits, et qu’ils ont énormément de difficultés à calculer leurs indemnités chômage.
Les défenseurs de cette réforme soutiennent également que les règles de l’Assurance chômage inciteraient à l’utilisation à des contrats courts : cet argument va à l’encontre de toute la littérature sur la question qui montre qu’il n’existe aucun lien de causalité entre les deux. Si l’utilisation des contrats courts a augmenté, c’est du fait des politiques de dérégulations du marché du travail qui ont été mises en place par ce gouvernement et Emmanuel Macron à l’époque où il était ministre.
Et tout cela repose sur l’idée qu’il existerait des emplois non pourvus, des emplois vacants, des difficultés de recrutement dans certains secteurs d’activité.
Si on avait eu des pénuries de travailleurs dans certains secteurs d’activités, on aurait vu une augmentation des salaires. Cela n’a pas été le cas.
Cette réforme vise à diminuer des droits à une allocation chômage, et donc diminuer les dépenses sociales. Car l’objectif premier de cette réforme, c’est de faire des économies. Plus de deux milliards d’euros sont attendus.