Les allocations familiales sont créées en 1946. Depuis 1978, elles sont élargies aux ménages sans activité professionnelle, qui en étaient auparavant exclus. Tous les ménages ont le droit de toucher cette allocation, peu importent le revenu du ménage et sa situation professionnelle.
En 2015, sous le quinquennat de François Hollande, une modulation des allocations familiales a été effectuée selon les revenus des ménages. Le principe d'universalité n’était pas remis en cause, mais on introduisait une « modulation de l’universalité ». Toutes les familles pouvaient encore en bénéficier mais les montants variaient désormais en fonction des revenus.
En janvier 2022, le Sénat à publié un rapport pour rediscuter de l'universalité des allocations familiales en posant la question : Faut-il mettre fin à la modulation ?
Pour l'Éco fait le tour des arguments en faveur et contre un rétablissement de l’ancien système universel.
Oui, il faut à tout prix rétablir « la véritable » universalité !
Les partisans de l'universalité des allocations familiales soutiennent une politique nataliste (taux de natalité élevé).
« Les allocations familiales ont vocation à être universelles, comme le sont par exemple l’école ou la santé » argumente l’économiste Henri Sterdyniak, professeur d’économie à Science Po et membre du collectif des “économistes atterrés". « Ces prestations sont financées par les cotisations sociales et donc les ménages riches contribuent plus ». Pour l’économiste, il est normal donc que les "allocs" bénéficient à tous de façon égale.
Renforcer le caractère universel de ces allocations permettrait de créer ded la cohésion sociale. « C’est grâce à un système universel qu’il n’y a pas de système de santé, d'éducation ou de crèche à deux vitesses », poursuit-il.
Cet avis est partagé par Anne Eydoux, maîtresse de conférence en sociologie économique au CNAM. « L’avantage de l’universalité, c’est que cela permet une adhésion large à la politique familiale et cela confère une légitimité au financement de cette politique. Garantir le financement de la politique familiale bénéficie aux familles qui en ont le plus besoin ». Elle ajoute que l’universalité des allocations familiales « n’exclut pas de coupler ces prestations universelles avec des prestations ciblées en fonction des besoins des familles ».
Pour Sterdyniak, il ne faut pas que le niveau de vie des ménages baisse quand ils ont des enfants, que l’on soit riche ou pauvre. Le but premier des allocations familiales est de soutenir les familles qui font des enfants. Pas de faire de la redistribution. D'après l’économiste « un ménage perd environ 20% de son niveau de vie en ayant deux enfants (par rapport aux couples sans enfant), et 25% en ayant trois enfants ».
Il est primordial de ne pas opposer les familles riches aux familles pauvres. Ce qu’il faut c’est distinguer les familles des couples sans enfant.
Henri SterdyniakÉconomiste, professeur d’économie à Science Po et membre du collectif des “économistes atterrés"
Le second objectif est de « sortir tous les enfants de la pauvreté ». L’universalité n'empêche pas cet objectif. « Il est primordial de ne pas opposer les familles riches aux familles pauvres, confie Sterdyniak, ce qu’il faut c’est distinguer les familles des couples sans enfant ».
Non, ne changeons rien !
Les défenseurs du statu quo affirment que cette modulation des aides en fonction des revenus permet une certaine redistribution.
Pour eux, les ménages les plus aisés n’ont à priori pas de soucis financiers, et donc il paraît juste qu’ils ne touchent plus ces aides. En 2017, lors des différents débats menés au Sénat, Laurence Rossignol, sénatrice au parti socialiste de l’époque et ancienne ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, soutiendra ce propos en disant qu’il s’agit d’une perte « indolore » pour ces ménages.
« Je l'ai déjà dit, à titre personnel, que j'étais d'accord pour qu'un couple qui perçoit plus de 8000 euros et qui a encore 32,40 euros d'allocations par mois ne les perçoive plus »
Olivier VéranEn 2017, Bruno Le Maire a reconnu « ne pas être choqué » par la modulation de l'universalité. Olivier Véran s’est lui aussi attardé sur ce thème : « Je l'ai déjà dit, à titre personnel, que j'étais d'accord pour qu'un couple qui perçoit plus de 8000 euros et qui a encore 32,40 euros d'allocations par mois ne les perçoive plus », confiait en 2017 chez RMC l’actuel ministre de la santé.
Cette réforme de modulation a permis de baisser 10% du montant total accordé aux familles, soit une économie de 760 millions d’euros. Environ 500 000 familles ont vu leurs allocations familiales baisser. L’objectif budgétaire est assumé : réduire les dépenses publiques.
Une autre politique familiale est possible pour les opposants à l'universalité des allocations. Il n’est pas nécessaire, selon eux, de poursuivre absolument une politique nataliste. Ils pointent du doigt deux effets pervers d'une politique qui prône à tout prix un taux de natalité élevé.
Premier argument : la natalité va faire baisser l’intensité capitalistique de l’économie, ce qui affaiblira la croissance potentielle. L'intensité capitalistique est le ratio entre le capital productif (nombre de machines) et le nombre de travailleurs. Si le nombre de travailleurs augmente (du fait d’une forte natalité), le dénominateur augmente, ce qui fait baisser ce ratio.
Deuxième argument : augmenter le taux de natalité, cela fait baisser les investissements d’éducation par enfant. Ce qui affecte également la croissance à long terme car les investissements dans l'éducation ne suivent pas le rythme de la natalité.
Certaines conséquences de la modulation sont néfastes. Celle-ci pourrait être perçue comme une incitation à ne pas fonder une famille et à faire des enfants. Avec à la clé un vieillissement de la population et un déséqluibre du régime de retraite (plus pensions à verser avec de moins en moins d’actifs pour les financer. Cependant, Ronald Lee, chercheur à l’université de Berkeley et Andrew Mason, chercheur à l’université de Hawaï ont montré dans une étude que ces coûts étaient largement compensés par les effets positifs sur la croissance économique d'une baisse de la natalité.
L'essentiel est de se concentrer sur le bien-être et l'éducation des enfants en donnant la priorité aux enfants pauvres.James Heckman, prix Nobel d'économie en 2010, a montré dans ses travaux que l'investissement public dans l'éducation était d'autant plus efficace qu'il était concentré sur des enfants pauvres, avec un rendements supérieur à 15 % par an.