
Pourquoi elle ? Sandra Laugier est professeure de philosophie à l’université Paris-I Panthéon Sorbonne. Elle a notamment écrit Pourquoi désobéir en démocratie ? (La Découverte, 2010) et Le Nouvel Âge de la désobéissance civile, (Les Grandes Idées politiques, coll. Sciences humaines, 2017).
Comment la désobéissance civile s’est-elle imposée comme moyen de lutte, notamment dans la lutte climatique ?
Depuis Henry David Thoreau, philosophe, naturaliste et poète américain, qui refusa de payer ses impôts pour protester contre l’esclavagisme au XIXe siècle, puis Rosa Parks, Martin Luther King, Gandhi et Nelson Mandela, le modèle de la désobéissance civile a été plutôt constant. Je parle néanmoins d’un nouvel âge de la désobéissance civile parce qu’au XXIe siècle, les grandes causes que ces hommes et femmes défendaient, ces grands mouvements de libération du début du siècle précédent, ont disparu. Non pas qu’elles soient résolues, mais ce n’est plus là qu’on retrouve des actions de désobéissance civile.
Désormais, ce mode de lutte se situe du côté de la protection des migrants (que je marque comme la nouvelle date importante, le nouvel élan de la désobéissance civile), des questions environnementales, des actions de type WikiLeaks, etc.
Néanmoins, le modèle est vraiment en train de changer. La désobéissance civile, c’est s’opposer à une loi en désobéissant à celle-ci précisément et se faire arrêter ou sanctionner : Rosa Parks qui monte dans le bus et s’assoit sur une place réservée aux blancs par exemple.
Or en l’occurrence, pour le climat, il n’existe pas de lois climatiques obligeant à polluer auxquelles on pourrait désobéir. Dès lors, les actions pour le climat relèvent du désordre global, et par exemple veulent créer un désordre économique. Elles perturbent l’ordre public et rejoignent la désobéissance civile dans le risque encouru par les militants, et par les sanctions auxquels ils s’exposent, mais le terme exact serait plutôt « actions directes ». Leurs actions restent une sorte de refus d’une situation absolument injuste où on obéit à des intérêts économiques au lieu de se soucier de l’avenir de l’humanité et des nouvelles générations pour redresser la situation..
Dans le répertoire d’action des luttes environnementales, pourquoi les militants choisissent-ils la désobéissance civile ?
L’idée, c’est qu’il y a toutes sortes d’événements qui auraient dû faire changer les mentalités et les politiques. Il y a d’abord eu la science et le GIEC, un instrument très important pour le gouvernement et les éléments scientifiques qui ont abouti à un consensus. Depuis, il y a une espèce de volonté verbale qui est exprimée chez les gouvernements. Ils prétendent tous vouloir améliorer les choses. Mais, malgré toutes les raisons pour passer à l’action, on a l’impression que rien n’est fait. Certaines lois continuent de passer alors qu’elles contribuent à la destruction de l’environnement.
Parmi les militants écologistes, cela produit un sentiment, un besoin, de passer à l’illégalité comme dernier recours.

Baromètre de la confiance politique / Vague 12, OpinionWay pour Science Po, Cevipof, février 2021.
Mais alors la méthode est-elle vraiment efficace ?
Tout dépend où on se situe. Extinction Rebellion, mouvement écologiste international fondé au Royaume-Uni en 2018, a obtenu gain de cause dans plusieurs batailles grâce à ce type d’actions, en Grande-Bretagne. En France, les actions des militants ont parfois conduit à une plus grande prudence ou à ralentir une dynamique, mais aucune loi n’a été votée grâce à des actions de désobéissance civile. Le mécanisme de décision français ne prend pas tellement en compte les actions des citoyens. Tout simplement parce qu’on a un système législatif bloqué, très peu réactif, à cause de la structuration de l’Assemblée, des alliances de députés qui forment des groupes en soutien d’intérêts économiques alors que le gouvernement n’y a pas la majorité.
D’ailleurs, Extinction Rebellion a décidé de ne plus utiliser la désobéissance civile.
Les militants dans leur globalité ne se limitent pas à une tactique. Extinction Rebellion a permis d’orienter le débat sur certains sujets grâce à des actions choquantes, très médiatisées, mais maintenant que l’opinion publique est avertie, ils estiment que la désobéissance civile n’est plus le moyen adéquat pour défendre leur cause et que c’est aux politiques d’agir.