
Pourquoi lui ?
Stéphane Callens est professeur en sciences économiques à l’Université d’Artois et chercheur au laboratoire LEM du CNRS. Il est spécialisé dans le domaine des risques majeurs et a publié Migration et changement climatique, de l’émergence des cultures humaines au management contemporain (Iste, mars 2021).
Pour l'Éco. Comment, dans les faits, gère-t-on les risques climatiques ?
Stéphane Callens. Contre les inondations, certains pays font des prévisions budgétaires jusqu’à l’horizon 2150. D’autres établissent des crash-tests avec des scenarii fictifs de tempêtes de trois mètres. Les maires des communes françaises, eux, ont en charge les décisions d’expulsion des habitations en péril immédiat. Prenons la région des Hauts-de-France comme exemple : une commune sur deux déclare régulièrement des inondations. Certaines en déclarent 12 dans l’année. La mer avance, et c’est la municipalité qui gère de façon « non structurelle », en l’absence de politiques de long terme face au changement climatique.
Que faut-il changer ?
Nous devons passer des politiques d’atténuation, qui consistaient jusque-là à faire baisser nos émissions de gaz à effet de serre, à des politiques d’investissement. Or actuellement, la dimension de développement durable n’existe pas dans les procédures budgétaires nationales. Concrètement : la ville de Wimereux, dans le Pas-de-Calais, subit régulièrement l’avancée des eaux et doit en gérer les dégâts, mais elle est mise à l’index par la Cour des comptes, car considérée comme une commune très dépensière. C’est logique, puisqu’elle est la seule à supporter les coûts. Les juges de la Cour des comptes auraient besoin d’un mandat, d’un cadre réglementaire de dispositions pour prendre en considération la dimension de développement durable.
À cause de ce manquement, les responsables politiques et les juristes ne travaillent pas dans les mêmes temporalités que les économistes, les météorologues et autres scientifiques. En l’occurrence, dans le cas de Saint-Martin-Vésubie, dans les Alpes-Maritimes, on sait que la transformation morphologique des lits de rivières induite par le changement climatique et les aménagements urbains récents ont augmenté le risque d’inondation. La vision large du changement climatique est difficile à percevoir, en particulier pour les juristes, car ce qui les intéresse, ce sont les effets de proximité, une responsabilité engagée, par exemple : quelqu’un a oublié de fermer son robinet et ça a coulé dans la maison. Mais dans le cas des dégâts environnementaux à large échelle, le juge finit par se déclarer incompétent. Résultat : nous sommes encore trop souvent dans un système où les coûts sont supportés par les victimes.
Quels sont les meilleurs instruments économiques ?
Des solutions courageuses ont prouvé leur efficacité, par le passé, dans la gestion des crises climatiques. Les taxes pigouviennes ont été appliquées pour lutter contre les pluies acides à partir des années 1960. Partant de ce principe : plus je pollue, plus je paie. Avec ce système, les instruments économiques adaptés ont été efficaces et on a su sortir de cette situation.
Ce principe « pollueur-payeur » de taxation à la source, c’est la base du droit de l’environnement. Mais il y a beaucoup d’obstacles juridiques à la généralisation de droit à l’échelle internationale. La responsabilité sociale dépend encore aujourd’hui d’une décision volontaire des États. Or pourquoi diffère-t-on ? Quelles en sont les raisons ? Cela s’appelle… la procrastination sociale. Même les économistes mettent de l’eau dans leur vin pour éviter d’être rejetés par l’opinion publique. Il est certes plus facile de prévoir les finances publiques que les événements météorologiques, mais, à cause de ces politiques court-termistes, nous nous retrouvons dans une situation de paralysie.