Le mot « blockchain » est né en 2008, mais la gloire et la fortune, il les a connues en 2018. En janvier de cette année-là, le quotidien britannique The Guardian l’intronise « buzz word » technologique de l’année.
Très rapidement, ce terme largement incompris (80 % des personnes dans le monde et 83 % des Français sont incapables d’en donner une définition1) est sur toutes les lèvres, dans les médias, les conférences, les cabinets de conseil. En mai, il fait son entrée dans le Petit Larousse.
Cette aura attise les convoitises : sur les trois premiers trimestres de 2018, les startups spécialisées dans la blockchain lèvent près de 3,9 milliards de dollars (3,59 milliards d’euros), soit une hausse de 280 % par rapport à 20172.
Agent anti-fraude
Khojiakbar Abdullazoda, étudiant à l’ESGI et développeur blockchain chez Accenture, a perçu dès 2015 le potentiel de cette technologie.
Alors âgé de 20 ans et étudiant en DUT Informatique, il s’amuse de voir un de ses camarades de classe enrager devant le cours du Bitcoin qui s’envole. « J’aurai dû en acheter », ne cesse-t-il de répéter à Khojiak.
Ce dernier, curieux, veut comprendre comment ça marche. Il rencontre alors la blockchain. Le Bitcoin est la première application de cette technologie. « Plus je me renseigne, plus je comprends que les monnaies virtuelles ne sont que la face immergée de l’iceberg », confie-t-il.
« Une blockchain est une sorte de grand livre comptable numérique, ultra-sécurisé par des méthodes de cryptage, partagé et infalsifiable. Toutes les transactions effectuées y sont notées selon un protocole précis : montant, dates, noms des vendeurs et des acheteurs. Ces informations ne sont pas conservées en un seul endroit. Il en existe des milliers de copies stockées dans différents ordinateurs », explique Saïd Assar, enseignant-chercheur spécialisé en systèmes d’information à Mines-Télécom Business School. Comme il est impossible de falsifier toutes les copies, ce système empêche les fraudes.
Il tue aussi dans l’œuf les conflits. C’est d’ailleurs dans ce but qu’Axa a intégré cette technologie dans Fizzy, un produit d’assurance pour les retards et annulations de vols. L’heure prévue du décollage et l’heure réelle sont inscrites automatiquement dans une blockchain par les compagnies aériennes. L’assuré ne peut pas mentir pour être indemnisé. L’assureur ne peut pas se défiler.
Danone, de son côté, s’est penché sur la technologie « suite au scandale du lait infantile coupé à la mélanine par des fabricants chinois peu scrupuleux. Le groupe cherchait le moyen de garantir une meilleure traçabilité de ses produits", rapporte Rouslan Nejnov, cofondateur de Blooo, qui accompagne les entreprises dans leurs projets blockchain. Dans la blockchain, toutes les transactions entre intermédiaires, de l’éleveur de vaches laitière aux hypermarchés, sont inscrites. En cas de contestation, le donneur d’ordre pourra remonter la chaîne pour trouver l’origine du problème et rappeler uniquement les produits défectueux.
Décliner les enjeux d’un client en technologie
« Il reste un énorme travail d’évangélisation à faire auprès des industriels et des distributeurs pour qu’ils se saisissent de cette technologie. Car il y a un malentendu : 90 % de ce qu’on entend sur la blockchain concernent les crypto-monnaies, mais 90 % des opportunités de déploiement sont ailleurs et peu le savent. On a besoin de bons développeurs blockchain pour faire passer le message », affirme Mickaël Gaborit, cofondateur de Blooo et responsable pédagogique de la filière en alternance Ingénierie blockchain de l’ESGI.
Un développeur blockchain, embauché par un cabinet de conseil en ingénierie, analyse le besoin des entreprises et choisit la blockchain la plus adaptée.
Il y a les blockchains publiques comme Bitcoin ou Etherum, des privées comme Corda. Le « dev » la personnalise, ajoute des fonctionnalités, la teste et la livre chez le client.
« Un développeur de site e-commerce n’a pas besoin de savoir ce qui sera vendu pour travailler. Un développeur blockchain, à l’inverse, doit connaître la finalité, les enjeux du client, avant de les décliner en technologie. C’est ce qui me plaît dans le métier », confie Khojiakbar Abdullazoda.
Un thriller nommé Bitcoin
La naissance du Bitcoin est entourée de mystère. Un Japonais de 23 ans – ou de 40 ans, ou une équipe – aurait créé en 2008, sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, cette nouvelle monnaie.
Nous sommes en pleine crise financière, de grandes banques font faillite, les autres sont soutenues à bout de bras par des États ou des banques centrales.
Pour Nakamoto, l’heure est donc venue de court-circuiter ces intermédiaires indignes de confiance. Ça tombe bien, une toute jeune technologie le permet. Elle s’appelle « blockchain ».
Dans le système monétaire classique, centralisé, les États et les banques centrales valident et enregistrent les transactions. Avec le Bitcoin, ce sont des dizaines de milliers de « mineurs », c’est-à-dire des individus mettant à disposition la puissance de calcul de leurs ordinateurs turbinant 24 heures sur 24 afin de valider et enregistrer les achats de Bitcoins.
Cette méthode révolutionnaire ne prend pas immédiatement mais, à partir de 2015, c’est l’euphorie. Le cours du Bitcoin s’envole, d’autres crypto-monnaies voient le jour (on en dénombre aujourd’hui près de 2 000 !). Banques, fonds d’investissement, boursicoteurs, tous veulent en croquer.
Depuis 2018, pourtant, l’hésitation est palpable. Au point que le 3 avril dernier, à New York, 11 class actions ont été déposées au parquet à l’encontre de grands acteurs spécialisés dans la vente de crypto-actifs.