Pourquoi elle ?
Nathalie Chusseau est professeure à l’Université de Lille et économiste de l’éducation. Ses thèmes de recherche portent sur l’économie des inégalités, le capital humain, la mobilité sociale intergénérationnelle, la formation professionnelle et la macroéconomie internationale. Sa note 'Remettre l’éducation et la formation au cœur du débat' publiée dans le cadre des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, a interpellé le gouvernement et les pouvoirs publics, par ses constats chiffrés, implacables.
L’effondrement du niveau scolaire en France, est-ce un mythe ou une réalité statistique ?
Malheureusement c’est une réalité statistique indéniable que l’on observe dans les enquêtes internationales. Dans l’enquête Pisa, où l’on évalue la performance scolaire des élèves de quinze ans, nous étions plutôt performants en matière d’éducation, et notamment en mathématique. Notre maternelle par exemple, était enviée à travers le monde. Mais depuis le début des années 2000, la France a dégringolé dans les classements internationaux.
Sur la moyenne des compétences évaluées, les jeunes français se retrouvent vraiment en bas du tableau. Et ce n’est pas seulement PISA. Les résultats à l’enquête Timss, qui regarde les compétences en mathématiques des élèves entre le CM1 et la quatrième sont également catastrophiques.
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On se retrouve même derrière des pays de l’OCDE qui n’ont pas du tout le même développement économique que nous. Par exemple, on s’est rendu compte en accueillant des enfants ukrainiens qu’ils avaient plusieurs classes d’avance en mathématique et possédaient une aisance avec la conceptualisation que nos élèves n’ont pas.
Le deuxième problème majeur, c’est qu’en plus la France se trouve être l’un des pays les plus inégalitaires du monde en matière d’éducation. Le milieu social d’origine compte pour plus de 20 % en moyenne dans les résultats scolaires des élèves de 15 ans.
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Pour vous donner une image, si vous faites courir un 100 mètres, les élèves de milieux favorisés partent sur la ligne de départ et les autres 20 mètres derrière. L’égalité des chances, aujourd’hui en France, est une escroquerie intellectuelle.
Égalité des chances
Vision de l’égalité qui cherche à faire en sorte que les individus disposent des “mêmes chances” et des mêmes opportunités de développement social, c'est-à-dire qui fasse en sorte que le statut social des individus d'une génération ne dépende plus des caractéristiques ethniques, religieuses ou sociales des générations précédentes.
Est-ce possible de remonter dans les classements ?
Oui, il est possible de réformer son système scolaire. Le Portugal l’a fait dans les années 2000 par exemple, en mettant en place des politiques éducatives ciblées sur les enfants de milieux modestes. Cela a payé : ils ont fait un bond dans les classements internationaux. Et, par ricochet, cela a eu des effets considérables sur leur croissance. Ce n’est pourtant pas une surprise : les investissements dans la recherche et l’éducation sont très fortement corrélés au niveau de développement d’un pays.
Croissance potentielle
Estimation du taux de croissance du PIB (Produit intérieur brut) lorsque les facteurs de production (travail, capital) sont utilisés de manière optimale, en l'absence de tension sur le marché des biens et services et sur celui du travail (c'est-à-dire avec une inflation stable). Elle est influencée par plusieurs facteurs, tels que la productivité, la main-d'œuvre et les investissements en capital. De fait, un système éducatif de qualité est crucial pour la maximiser : il améliore la productivité en formant les futurs travailleurs aux compétences et aux connaissances nécessaires pour exceller dans leur domaine, stimule la croissance en encourageant l'innovation...
Comment redresser la barre ?
Il faut favoriser le préprimaire et absolument imposer la scolarisation dès l’âge de deux ans, en particulier pour les enfants de milieux modestes et dans les territoires où ces familles sont concentrées. Parce qu’en plus des inégalités d’éducation, vous avez en France de fortes inégalités de territoire, avec une concentration des familles modestes dans certaines zones précises.
Or, la réussite scolaire du pays passe nécessairement par plus de la mixité sociale à l’école. Il faudrait réformer la carte scolaire en ce sens. Son assouplissement sous Nicolas Sarkozy a été une catastrophe.
Des études ont montré qu’en mélangeant les enfants, vous générez des externalités positives en permettant à ceux issus de milieux modestes de capter des compétences et du capital humain en côtoyant ceux de milieux plus favorisés. Ils vont améliorer leur façon de parler, leur vocabulaire… leur donnant plus de chance de réussir.
Externalités positives
Situation dans laquelle un agent économique profite des effets positifs d’une activité économique sans en payer le prix. La consommation des spectateurs d’un match de foot dans une ville a des retombées sur les hôtels, les transports, les restaurants. L’externalité est dite négative quand un agent subit les effets négatifs d’une activité économique sans être indemnisé.
Capital humain
Patrimoine immatériel de chaque individu susceptible de procurer un revenu, ou dit autrement, le stock de connaissances et d'expériences, accumulé tout au long d’une vie par des investissements. L'économiste et Prix Nobel Gary Becker part du principe que chacun cherche à accroître son potentiel productif, sa productivité future et donc son salaire.
Et puis, il y a aussi, comme tout est lié, un effort à faire sur la répartition des logements sociaux sur le territoire. Certaines villes préfèrent payer des amendes, bien trop faibles, que de favoriser la mixité sociale. Cela doit changer.
Doit-on aussi d’une façon générale, augmenter les moyens accordés à l’éducation nationale ?
Oui, sans aucun doute. Nous en sommes à organiser des jobs dating par les rectorats et à embaucher des gens non formés… La pénurie de recrutement confirme l’existence d’un problème de salaires. Les enseignants français sont payés en moyenne 20 % de moins que leurs équivalents dans les autres pays de l’OCDE. Il faut a minima rattraper ce retard.
Et puis il y a le problème plus spécifique des professions scientifiques, où vous êtes payés cinq fois plus en allant dans le privé qu’en devenant professeur de mathématique ou de physique-chimie. Nous pourrions réfléchir à mettre en place des systèmes de primes spécifiques pour attirer ces profils, sous peine de n’avoir personne.
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Cela a un coût pour les finances publiques d’augmenter autant plus de 800 000 enseignants…
Bien sûr, et il ne faut pas éluder la question du poids sur les dépenses publiques. En effet, il y a là un coût massif qu’il va falloir programmer. Mais nous n’avons pas le choix en réalité : c’est l’avenir du pays et la compétitivité de demain.
Regardez les plaintes récurrentes des entreprises sur le manque de main-d’œuvre qualifiée. Aujourd’hui, sans un bon niveau éducatif général, il est impossible pour un pays d’avoir une économie compétitive sur le plan international. Être innovant, en particulier dans un contexte de transition technologique, numérique et écologique, passe par une formation correcte de sa population. Et surtout, on sous-estime les effets en matière de croissance de l’investissement éducatif. À moyen terme, les rendements sont colossaux !
Cela pose une vraie question : comment on finance ? Tout ne sera pas possible. Il y a un arbitrage de société à faire. Par exemple, doit-on continuer à avoir un poids aussi élevé des retraites dans le produit national ? Ou est-ce que l’on préfère financer l’avenir de notre pays et de nos enfants ?