Science Politique
Élections : les politiques mentent-ils de plus en plus pour conquérir le pouvoir ?
Sélection abonnésLe mensonge, en économie, est une pratique vieille comme le monde. Mais la montée du populisme semble avoir fait entrer les élections dans l’ère de la « post-vérité ». Ment-on plus désormais pour conquérir le pouvoir ?
Yves Adaken
© Brian Cahn/ZUMA Press/ZUMA/REA
Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d’achat. À retrouver en kiosque et en ligne.
« Jamais, probablement, un homme ou une femme politique n’a menti autant que Donald Trump. » Cette sentence de la juriste et américaniste Anne Deysine n’est pas une simple opinion. Elle s’appuie sur un décompte du Washington Post, qui s’était donné pour mission de relever le nombre de « déclarations fausses ou trompeuses » proférées par l’ex-président des États-Unis.
D’après le quotidien américain, le bilan – astronomique –, s’élève à 30 573 propos mensongers en quatre ans ! Une telle pratique du mensonge a-t-elle permis à Donald Trump de gagner l’élection de 2016 ? Pas si simple. Mais deux constats s’imposent : elle ne l’a pas empêché de se faire élire ; et elle n’a pas été sanctionnée.
Malgré sa défaite en 2020, l’homme d’affaires a en effet gagné 11 millions de votes entre les deux scrutins. Autrement dit, s’il a mobilisé une majorité d’Américains contre lui, il a aussi considérablement renforcé le camp de ses partisans. Donald Trump n’est pas le seul représentant de cette ère de la « post-vérité », qui serait en train de modifier les règles du jeu politique.
Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d’achat. À retrouver en kiosque et en ligne.
« Jamais, probablement, un homme ou une femme politique n’a menti autant que Donald Trump. » Cette sentence de la juriste et américaniste Anne Deysine n’est pas une simple opinion. Elle s’appuie sur un décompte du Washington Post, qui s’était donné pour mission de relever le nombre de « déclarations fausses ou trompeuses » proférées par l’ex-président des États-Unis.
D’après le quotidien américain, le bilan – astronomique –, s’élève à 30 573 propos mensongers en quatre ans ! Une telle pratique du mensonge a-t-elle permis à Donald Trump de gagner l’élection de 2016 ? Pas si simple. Mais deux constats s’imposent : elle ne l’a pas empêché de se faire élire ; et elle n’a pas été sanctionnée.
Malgré sa défaite en 2020, l’homme d’affaires a en effet gagné 11 millions de votes entre les deux scrutins. Autrement dit, s’il a mobilisé une majorité d’Américains contre lui, il a aussi considérablement renforcé le camp de ses partisans. Donald Trump n’est pas le seul représentant de cette ère de la « post-vérité », qui serait en train de modifier les règles du jeu politique.
Forgée en 2004 par l’auteur américain Ralph Keyes, cette notion fait référence à une période où les faits ont moins d’influence sur l’opinion publique que les émotions ressenties ou les opinions. Ce terme a été désigné « mot de l’année 2016 » par le dictionnaire Oxford, soit l’année où s’est également déroulé le référendum du Brexit.
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La vérité, valeur déclassée
L’Histoire retiendra en effet que le principal promoteur de la sortie de l’Union européenne, Nigel Farage, admettait, une heure après sa victoire, que son argument phare, inscrit en toutes lettres sur son bus de campagne, était mensonger. Et que les fameux 350 millions de livres non versés chaque semaine à l’UE ne serviraient jamais à financer la Sécurité sociale britannique. Cet aveu spectaculaire n’a pourtant en rien troublé les partisans du Brexit, dont l’immense majorité ne regrette toujours pas son choix.
Comment expliquer une telle tolérance au mensonge ? Sans doute parce que la vérité ne saurait être érigée en valeur politique absolue, estime le politologue canadien André Blais, co-auteur d’une étude sur le sujet. Les électeurs seraient prêts à pardonner, pour peu que soient défendus d’autres enjeux jugés supérieurs.
De fait, Donald Trump a bien appliqué le programme protectionniste, anti-immigration, anti-élites énoncé durant sa campagne. Et peu importe si les emplois industriels ne sont pas revenus ou si le mur avec le Mexique n’a pas été construit. De l’autre côté de la Manche, même constat. Le Brexit, réputé impossible à réaliser, a bien eu lieu. Et tant pis si l’économie du Royaume-Uni continue de faire appel à des travailleurs étrangers.
Il y a toutefois une différence. Certains Brexiters ont menti en connaissance de cause. Donald Trump, lui, ne se contente pas de mentir. Il dit des « conneries », selon la distinction établie par le philosophe américain Harry Frankfurt, dans son essai On Bullshit1. Un menteur fait délibérément des déclarations fausses alors que le « diseur de conneries » est indifférent à la vérité. Ce qui est plus grave. Car aux faits qu’on lui oppose, il oppose sa vérité « alternative ». On sort du cadre politique traditionnel dont le mensonge fait partie intégrante.
Attention, clientélisme !
De La République de Platon à L’Art du mensonge politique de Jonathan Swift, en passant par Le Prince de Machiavel, de nombreux auteurs justifient en effet le recours au mensonge pour le bien de la cité, celui du peuple ou par pur cynisme. « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent », synthétisait, plus près de nous, Henri Queuille, véritable pilier de la Troisième, puis de la Quatrième République. Un précepte repris à leur compte par François Mitterrand et Jacques Chirac.
Le mensonges politique n’est pas illégal
Brisons d’emblée le suspense : il n’existe pas, en France, de sanction juridique du mensonge politique. Et c’est heureux, car la parole politique est particulièrement protégée par la liberté d’expression, elle-même défendue par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Seule exception : un témoignage mensonger devant une commission d’enquête parlementaire. Aux États-Unis, la notion de parjure a permis d’impliquer l’ex-président Bill Clinton dans une procédure de destitution. Mais il a été acquitté par un vote du Sénat. C’est donc aux électeurs que revient de sanctionner politiquement les menteurs.
La campagne présidentielle qui s’ouvre en France sera l’occasion de vérifier si le trumpisme a gagné notre pays ou si l’on en reste à une pratique « admise » du mensonge. L’irruption de la thématique du pouvoir d’achat a suscité un véritable concours de promesses.
Hausse du Smic de 10 à 15 % pour la gauche. Cotisations retraites ou primes à l’emploi prises en charge par l’État, pour la droite. Baisse des taxes sur les produits de première nécessité, dont l’énergie, pour le Rassemblement national…
On peut voir la campagne électorale comme une grande confrontation d’idées, où les citoyens arbitrent. Mais il s’agit surtout d’une compétition entre candidats, globalement clientéliste.Thomas Guénolé,
poliologue.
Les propositions balaient tout le spectre politique. Mais une telle diversité interroge. Sont-elles toutes réalisables ? « Il ne faut pas confondre promesse électorale et programme de gouvernement », répond le politologue Thomas Guénolé, auteur d’un Petit Guide du mensonge en politique2 : « Là, on est dans le clientélisme, voire la démagogie. »
Et de poursuivre : Certes, on peut voir la campagne électorale comme une grande confrontation d’idées, de valeurs, d’idéologies, où les citoyens arbitrent. Mais il s’agit surtout d’une compétition entre candidats, globalement clientélistes, qui essayent de se partager des parts du marché électoral avec des propositions répondant à l’intérêt de tel ou tel groupe de consommateurs d’offres politiques ».
L’art de « mentir à 30 % »
« Les politiciens font des promesses parce que les électeurs en veulent, indique pour sa part André Blais. Et toutes les études montrent qu’il tiennent la plupart de celles-ci une fois au pouvoir : de l’ordre de 70 %. » Cela veut-il dire qu’ils mentent à 30 % ?
« Pas nécessairement, estime le politologue québécois. Il y a une zone grise. On peut promettre des choses qu’on n’est pas sûr de tenir, car on a l’intention d’essayer. Les électeurs sont très lucides vis-à-vis des promesses et très cyniques vis-à-vis des politiciens. Ils supposent que le candidat qui l’emportera ira dans la direction qu’il a indiquée, mais pas forcément au bout. »
On ne peut toutefois pas promettre n’importe quoi. Anne Hidalgo en a fait la cruelle expérience avec sa proposition de doubler le salaire des enseignants en cinq ans. La mesure représente un coût de plusieurs dizaines de milliards d’euros qui a aussitôt été taxée de « démagogique » par ses compétiteurs. D’autant qu’elle semble aller au-delà des demandes des syndicats. Résultat : la candidate du Parti socialiste n’a pas décollé dans les sondages. De l’autre côté de l’échiquier politique, c’est la proposition de réduire le nombre de fonctionnaires qui soulève des doutes.
En 2017, c’était une promesse phare du candidat de l’UMP François Fillon, qui fixait le montant de la coupe à 500 000. Les principaux candidats à la succession, cette année, se montrent plus prudents. Valérie Pécresse et Éric Ciotti émettent certes des chiffres, mais plus réduits (respectivement 200 000 et 250 000). Xavier Bertrand et Michel Barnier, eux, ont choisi d’éviter de donner tout objectif précis. C’est qu’entre-temps, le Covid est passé par là. Et le retour de l’État. Emmanuel Macron a d’ailleurs renoncé à sa promesse de 2017 de supprimer 120 000 postes.
Une croyance appelée « conviction »
« Il y a deux catégories principales de mensonges en politique, résume Thomas Guénolé. La plus grande, c’est le mensonge par omission. Par exemple : “Je vais devoir augmenter les impôts mais je n’en parlerai pas pendant la campagne.” C’est le grand classique. »
On pourrait ajouter à cela l’absence de détails sur la mise en œuvre, le financement ou les conséquences d’une mesure. « Et puis il y a la croyance erronée, poursuit Thomas Guénolé. Car la politique est une affaire de croyance – on parle de convictions ou de valeurs, dans le langage courant. Or une croyance peut être contraire aux faits. »
Comment repérer ce type de mensonge ? Réponse : en s’informant. Mais l’électeur est-il prêt à le faire ? Dans sa Théorie économique de la démocratie3, Anthony Downs présente en effet l’idéologie des candidats comme un moyen permettant aux électeurs de se repérer à moindre coût dans l’offre politique et d’aller vers celui ou celle qui partage ses croyances. Même si celles-ci sont fausses…
Notes
1. De l’art de dire des conneries, Mille et une nuits, 2020.
2. First, 2014
3. Dans Politique et sociétés n°33, 2014
Sur la dette, le choc des « vérités »
Ce devait être le thème n°1 de la présidentielle avant que le pouvoir d’achat ne s’impose : la dette et son explosion à cause du Covid. Il oppose les deux côtés de l’échiquier politique, tant sur le constat que sur la gestion. Mais y-a-t-il un camp du vrai et un camp du faux ?
Pour la droite, la situation est catastrophique. La dette a atteint le niveau astronomique de 2 650 milliards d’euros, soit 40 000 euros par Français. Surtout, le taux d’endettement a explosé à 116 % du PIB en 2021 alors que l’Europe a établi un maximum de 60 %. L’analyse de la gauche est beaucoup plus balancée. Elle critique le ratio dette brute sur PIB, car il revient à rapporter un stock (la dette) à un flux (le PIB). Et elle réfute l’idée d’une charge imposée aux enfants dès leur naissance, car ces derniers héritent aussi d’actifs publics financiers et non financiers (maternité, écoles, routes, hôpitaux…), très supérieurs aux dettes.
Le vrai débat, toutefois, est celui de la soutenabilité : autrement dit, de la capacité de la France à rembourser. Or la charge annuelle de la dette ne cesse de baisser (36 milliards d’euros en 2020) grâce à l’effondrement continu des taux d’intérêt. Résultat : les remboursements ne pèsent que 1,5 % du PIB. Le problème, c’est qu’une hausse substantielle des taux pourrait tout remettre en cause. Car les effets se cumulent dans le temps : une hausse de 1 % sur les emprunts de 2021 se traduirait par une charge supplémentaire de six milliards en 2022 et de… 28,9 milliards en 2030 ! Reste à savoir si (et quand) elle va arriver.
Pour la droite, le risque d’attendre est trop élevé : il faut rétablir la rigueur budgétaire au plus vite afin de commencer à rembourser. À gauche, on met en avant une autre priorité : profiter de la fenêtre de taux bas pour continuer à emprunter afin d’investir, notamment dans la transition écologique. Afin de se prémunir de toute hausse des taux, certains vont plus loin. Ils préconisent une annulation de la dette détenue par la BCE. Problème : cet effacement fait débat tant sur sa pertinence, au vu des facilités de refinancement actuelles, que sur sa faisabilité, aux niveaux juridique et politique, car il faudrait en convaincre les partenaires européens.
Et l’électeur dans tout ça ? Que doit-il en penser ? Tous les chiffres sont « vrais » et toutes les positions sont soutenues par des économistes patentés. En fait, il a bien un choix à faire. Mais il n’est pas scientifique. Il est politique.
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