Farine de poisson... pour les poissons !
Ces petites bêtes, riches en protéines, acide gras et minéraux, prennent peu de place – un bac leur suffit – et elles sont résistantes. « Il faut y aller pour les tuer ! », s’exclame Virginie Mixe.
Elles tolèrent des températures allant de 0 °C à 45 °C, même si elles grandissent mieux à 25 °C. Elles mangent peu – du son, une à deux fois par semaine. Enfin, les élever est relativement simple. Il faut les nourrir, les trier (séparer les adultes des œufs), récolter au bout de 10 semaines et enfin, les faire sécher.
Sébastien est ingénieur et docteur en agronomie. « C’est un article de presse qui m’a réveillé. J’ai appris qu’un quart des poissons sauvages (et 75 % des sardines, anchois, maquereaux) sont pêchés pour être transformés en farine et huile pour nourrir les… poissons d’élevage. Une hérésie ! On perturbe la chaîne alimentaire, on met en péril la sécurité alimentaire, et on détruit les écosystèmes », s’agace-t-il.
En créant Invers, en 2018, à Saint-Ignat, dans le Puy-de-Dôme, il voulait faire à son échelle un geste pour la planète et pour les agriculteurs, « afin d’améliorer leurs conditions de vie et leurs revenus », explique-t-il.
Il a donc créé une ferme pilote. Et passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. Cinq fermes de 900 m2 vont être lancées d’ici 2022 chez des agriculteurs du coin. « Nous leur apprenons les bons gestes. À terme, ils produiront 20 tonnes de larves chaque mois, ça leur rapportera 40 000 euros par an. »
Entomologistes 3.0
Virginie Mixe, de son côté, dirigeait un label de musique quand, en 2016, elle s’est lancée dans l’aventure. Comme son mari, elle veut exercer une activité terrienne, mais « sans quitter la ville ». Elle part alors au nord de Bordeaux pour se former pendant deux-trois jours auprès d’une éleveuse d’insectes.
À son retour, elle commence son élevage chez elle, à Marcq-en-Barœul (Nord), au rez-de-chaussée de sa maison. Aujourd’hui, elle a un petit espace à Calais : « C’est rapide et simple d’acquérir les bases. Mais devenir un bon éleveur, savoir optimiser la production et être rentable, cela demande de la pratique et du temps. »
À terme, et quand la loi le permettra, elle veut ouvrir un restaurant pour vendre burgers et boulettes en vers de farine.
Antoine Hubert, ingénieur agronome, est le dirigeant d’Ÿnsect, créée en 2011 et comptant une centaine de salariés : « C’est l’associatif qui m’a conduit aux insectes. J’intervenais dans les écoles pour promouvoir l’alimentation durable. Et puis nous avons décidé, avec mes associés, de passer à la production. » Et quelle production !
Le bâtiment d’Ÿnsect, on ne dirait plus une ferme, mais plutôt une usine du futur, entièrement automatisée et digitalisée. Des robots emportent des piles de bacs de larves grouillantes s’élevant jusqu’à 15 mètres de haut de leur zone d’élevage vers les zones de nourrissage ou de triage.
Derrière leur écran, opérateurs et techniciens en informatique et en automatisme veillent au bon déroulement. La maintenance se charge de prévenir et de réparer les pannes.
Quant aux ingénieurs agronome et entomologistes, ils contrôlent, améliorent et supervisent l’ensemble de la production. Ÿnsect va presque doubler ses effectifs l’année prochaine. « Il y a 10 ans, la filière naissait. Là, elle décolle », s’enthousiasme Antoine Hubert.