L’essentiel
- En dépit des inquiétudes des entreprises, 85,9 % des offres d’emploi publiées sur Pôle emploi ont finalement été pourvues l’année dernière.
- De nombreux freins expliquent ce paradoxe : une inadéquation entre formations et métiers, entre lieu d’habitation et besoin d’emploi, le manque d’attractivité de certaines professions, la difficulté à trouver des logements dans certaines zones…
______
Depuis l’automne dernier, il y a quelque chose qui tracasse le président de la République. Pire, cela « heurte même (son) bon sens ». Au moment « où trois millions de nos compatriotes se trouvent encore au chômage, tous les entrepreneurs disent peiner à recruter » s’étranglait-il en novembre 2021.
Il est vrai que le marché du travail ne s’est pas aussi bien porté depuis au moins 20 ans et les années Jospin. Les carnets de commandes sont pleins (même si dans la construction on s’inquiète un peu depuis l’été), et les entreprises embauchent à tour de bras, beaucoup plus qu’elles ne licencient d’ailleurs.
Ainsi, sur les 6 premiers mois de 2022, l’Insee dénombre 181 200 créations nettes d’emploi. Il y aurait même plus d’emplois sur le marché aujourd’hui qu’avant la crise sanitaire : 767 400 emplois en plus par rapport au 4e trimestre 2019.
Les entreprises recrutant plus et cherchant toutes en même, il n’est pas étonnant qu’elles rencontrent plus de difficultés qu’avant à trouver des candidats et à pourvoir les emplois qu’elles créent. Jusque-là, on suit la logique de la courbe de Beveridge.
Courbe de Beveridge
Cette courbe, du nom de l’économiste britannique William Beveridge (1879-1963), également appelée « courbe U/V », aide à expliquer le processus d’appariement entre les emplois vacants et les chômeurs. Elle établit une relation décroissante entre le taux de chômage (U) et le taux d’emplois vacants (V) c’est-à-dire le nombre d’emplois effectivement occupés par rapport à l’emploi total. Lorsque la croissance est forte, les entreprises créent plus d’emplois qu’elles n’en détruisent, le taux de chômage diminue, le taux d’emplois non pourvus augmente, car il devient plus difficile de recruter. Inversement, en période de récession, ce sont les destructions d’emplois qui l’emportent : le chômage augmente et le taux d’emplois vacants baisse, car l’écart entre le nombre d’emplois occupés et l’emploi total susceptible de l’être s’accroît.
À lire aussi > [Fiche] William Beveridge et la sécurité sociale
L’idée selon laquelle, il y aurait beaucoup d’emplois non pourvus car les chômeurs refusent de les prendre, Éric Heyer et Mathieu Plane n’y croient pas beaucoup. « Déjà, car suite à deux refus d’offre d’emploi raisonnable de la part du demandeur d’emploi, ce dernier peut se faire radier et supprimer son allocation » souligne ce dernier.
À lire aussi > Chômage : qu’est-ce qu’une offre d’emploi raisonnable (ORE) ?
Des freins divers : l’attractivité, la répartition des emplois sur le territoire…
Ensuite, il y a des freins plus importants, et autres que la bonne ou mauvaise volonté, à la reprise d’un emploi. « Toutes les études montrent que le problème, c’est la formation, l’attractivité de ces métiers et la localisation des emplois » pointe Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.
« Ne pas avoir de permis de conduire, rencontrer des difficultés à trouver un logement ou à faire garder son enfant, sont autant d’obstacles au retour à l’emploi, acquiesce Stéphane Carcillo, économiste de l’OCDE. Pour que la modulation de la durée d’indemnisation selon la conjoncture soit efficace, il faut donc accompagner cela par la mise en place d’une structure aidant les demandeurs d’emploi à surmonter ces obstacles ».
À lire aussi > Assurance chômage. Indemniser les chômeurs moins longtemps, est-ce accélérer le retour à l’emploi ?
Soit quelque chose qui ressemble au projet « France Travail » rassemblant tous les acteurs de l’emploi (Pôle emploi, missions locales et associations, collectivités locales) que souhaite mettre en place le gouvernement.
« Le marché du travail est aussi mouvant. Quand on parle d’emplois non pourvus, on parle d’emplois qui à un instant T sont vacants. Cela ne veut pas dire qu’ils vont rester à jamais vacants » souligne Éric Heyer de l’OFCE.
Pôle emploi indique, dans une publication de février 2022, que 85,9 % des offres d’emploi publiées entre avril et septembre 2021, ont été pourvues. Et seulement 6 % des recrutements ont été abandonnés faute de candidats adéquats, contre 4,9 % en 2018.
À lire aussi > Chômage : à quel niveau se situe le plein-emploi en France ?
Qualité de l’emploi en hausse
« Les entreprises trouvent. Simplement, elles mettent plus de temps à trouver et nous pouvons aussi penser qu’elles prennent plus de temps à recruter. Car pour attirer les candidats, les employeurs ont revu à la hausse la qualité des emplois : les embauches en CDI par exemple ont augmenté de 18,5 % par rapport à la fin de l’année 2019. Une entreprise, logiquement, consacre plus de temps à son recrutement pour un poste en CDI qui engage davantage que pour un CDD de moins d’un mois » ajoute Éric Heyer.
Et si elles mettent plus de temps à trouver, c’est aussi car il y a moins de candidats sur le marché. « Au moment du rebond, tout le monde s’est mis à recruter en même temps, et plus qu’avant, cela crée inévitablement des goulots d’étranglement » avance Mathieu Plane.
La crise du Covid a en effet fortement perturbé le marché du travail. Une baisse de productivité est notamment constatée. Elle est peut-être due aux nouveaux modes d’organisation mis en place comme le télétravail, auquel les salariés comme les entreprises ont dû s’adapter. Mais la conséquence est que pour effectuer un même volume de travail, les entreprises ont besoin de plus de personnes qu’avant. Donc elles embauchent plus.
À lire aussi > Loi d’Okun. Croissance en berne, recul du chômage : d’où vient ce paradoxe ?
Productivité
Rapport entre la quantité produite d’un bien ou d’un service et le nombre d’unités d’un facteur de production utilisé (énergie, machines, matières premières, capital, humains, temps). L’indicateur le plus couramment utilisé est celui de productivité du travail : il se définit par le rapport entre un volume de production réalisé et la quantité de travail employée. La productivité du capital mesure le rapport entre le volume de production obtenue pendant une période donnée et le volume du capital fixe utilisé pour le produire.
Mieux former demande du temps
Il y a aussi les travailleurs détachés qui sont rentrés chez eux pendant le Covid et ne sont pas revenus. Il faut donc embaucher d’autres personnes pour faire leur travail. « Elles licencient aussi beaucoup moins qu’avant. Il y a ici des phénomènes de rétention de main-d’œuvre : ‘je ne licencie pas ce salarié, malgré la hausse des prix de l’énergie et des matières premières qui réduit mes marges, car si à l’avenir j’en ai besoin, car mes carnets de commandes sont pleins, je ne suis pas sûr de trouver facilement et rapidement des candidats », ajoute Éric Heyer qui en poussant son raisonnement, émet l’hypothèse que l’un des effets de la réforme du gouvernement pourrait même être d’augmenter soudainement les licenciements et donc le taux de chômage, soit le contraire de l’objectif visé. « Si le message envoyé est ‘grâce à cette réforme, on supprime les pénuries et les difficultés de recrutements’, les entreprises pourraient être incitées à licencier, plutôt qu’à retenir leurs salariés ».
Enfin, les demandeurs d’emploi n’ont pas nécessairement les compétences, le bagage professionnel pour accéder aux emplois créés. Certains devront être formés, se reconvertir passant d’un secteur sinistré à un secteur d’avenir. « Les besoins sont immédiats, par contre adapter l’offre à la demande prend nécessairement du temps » conclut Mathieu Plane de l’OFCE.
À lire aussi > Former les chômeurs permet-il de diminuer le chômage ?
Dans le programme de SES
Terminale. « Comment lutter contre le chômage ? »