C’est une rentrée 2023 pleine de nouveautés qui attend Johannes. À 20 ans, il va débuter une formation de technicien du froid en contrat d’apprentissage – loin de ce qu’il avait envisagé.
Après avoir obtenu son Abitur – le bac allemand – Johannes a suivi pendant un an des études de gestion, mais il ne le sentait pas. Alors, comme beaucoup de jeunes ici, il a choisi de faire un stage. Le premier, comme paysagiste, en juin dernier, a duré cinq jours : bof. Puis, début juillet, il a tenté un stage de quelques jours comme technicien du froid. Bingo !
En Allemagne, pas besoin de convention tripartite pour faire un stage de découverte d’un métier, et pas d’obligation de le faire dans le cadre d’un diplôme. « Souvent, pour un jeune, il manque une expérience concrète pour se décider. Je les pousse à aller tester des environnements grâce à des stages d’observation courts, pour voir ce qui leur plaît réellement », explique Julien Robichon, conseiller d’orientation à l’Agence fédérale pour l’emploi de la ville de Sarrebruck.
Sa mission ? Informer 1 000 jeunes sur les métiers et l’orientation. Il assure notamment des interventions et des permanences au lycée franco-allemand de Sarrebruck, en Sarre, une région frontalière de la France.
L’exemple de Johannes illustre combien l’expérience concrète est encouragée en Allemagne. « S’informer, lire, ça ne suffit pas. Il faut tester, essayer, rencontrer des gens, se mettre en condition réelle », fait valoir Julien Robichon. Bien que la compétence éducation soit régionalisée en Allemagne, et donc organisée différemment selon les Länder, chacun d’entre eux accueille des représentants de l’Agence pour l’emploi (Bundesagentur für Arbeit).
L’orientation scolaire est une responsabilité partagée entre les professionnels des établissements scolaires et les conseillers de ces agences. Cet accompagnement est gratuit, et il se veut le plus proche possible de la réalité du marché de l’emploi afin de guider les jeunes selon les besoins des entreprises. « On propose des offres d’apprentissage, on explique les différents métiers en fonction des centres d’intérêt et des lieux où souhaite vivre le jeune », détaille Julien Robichon. On peut devenir apprenti à l’âge de 16 ans, mais aussi vers 19 ou 20 ans.
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Dès 10 ou 11 ans
Ces conseillers interviennent dès le début de l’adolescence. Grande différence avec la France : en Allemagne, il n’existe pas de collège unique. On encourage les jeunes à réfléchir à leur orientation dès l’âge de 10-11 ans. « C’est le cas de mon fils : il n’a pas encore terminé l’école élémentaire et on le pousse déjà à réfléchir aux cycles qu’il va suivre », confie le Français Adrien Guinemer, enseignant en mathématiques installé à Sarrebruck, et chargé de mission « hors de France » à la fédération syndicale UNSA Éducation.
Après l’école élémentaire, les jeunes scolarisés en Allemagne ont le choix entre trois cycles : la Hauptschule (formation professionnelle courte), la Realschule (formation professionnelle de durée intermédiaire) et le Gymnasium (études générales qui conduisent au baccalauréat).
Leurs résultats scolaires sont scrutés pour leur proposer une orientation et un établissement scolaire. « Le cycle le plus court a tendance à disparaître. C’est déjà le cas dans certains Länder : il est remis en cause suite à des études PISA montrant qu’il favorise trop la reproduction des inégalités sociales », précise Werner Zettelmeier, chargé de recherches au Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (CERAC) au sein de l’université de Cergy-Pontoise.
Mais ce n’est pas parce qu’un jeune Allemand est orienté vers la Realschule qu’il n’obtiendra pas son bac. « Il reste possible de basculer du Realschule vers le Gymnasium à l’âge de 16 ans », assure Werner Zettelmeier. Cela requiert toutefois un très bon niveau scolaire. Et si l’élève ne passe pas son bac, cela ne présage en rien de sa carrière, car la voie professionnelle est très valorisée en Allemagne. Il est possible de progresser vers des fonctions à haute responsabilité en commençant comme apprenti.
« En matière de progression de carrière, j’aime comparer le parachutiste français au grimpeur allemand, raconte Julien Robichon. Ici, c’est très bien vu de commencer par une expérience professionnelle concrète avant d’aller en fac, ou bien de grimper directement les échelons dans une entreprise. Alors qu’en France, on aura tendance à parachuter un employé à un poste de responsabilité simplement sur la base de ses diplômes. »
Ni prépa, ni « grande » école
Les agents comme Julien Robichon font connaître auprès des élèves les formations à 320 métiers (de boulanger à mécanicien automobile, en passant par agent de service public ou d’accueil du tourisme). Ces qualifications professionnelles par métier sont reconnues au niveau national et valables pour un employeur partout sur le territoire d’outre-Rhin.
« Les programmes et objectifs de ces formations sont définis avec le concours des partenaires sociaux, c’est-à-dire les représentants du patronat et des syndicats, et ces formations durent trois ans, ou seulement deux années pour les élèves déjà diplômés de l’Abitur, l’équivalent du bac », explique Werner Zettelmeier.
Dans tous les cas, il est toujours possible de poursuivre ses études ensuite à l’université. Il n’y a pas de grandes écoles en Allemagne. Alors qu’en France, les élèves peuvent entrer en école d’ingénieur ou de commerce, ici, ils étudient à l’université, pour un coût très faible. Les classes préparatoires n’existent pas.
En Allemagne, « 57 % des élèves décrochent le bac, contre 80 % en France », note le chercheur du CERAC. Le bac n’a pas la même importance en Allemagne qu’en France, et la pression de l’orientation y est bien plus étalée dans le temps.
« C’est une grosse différence culturelle. Ici, pas d’urgence à choisir son orientation. L’université est construite de telle manière qu’on peut étudier à son rythme, par briques de compétences, estime l’enseignant français, Adrien Guinemer. Et puis, il n’est pas rare de voir un jeune bachelier allemand prendre une année de césure avant de commencer la fac, pour faire un service civique, voyager ou s’investir dans une association. C’est courant et très bien vu », glisse Julien Robichon.
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