
NON, l’épargne est vertueuse
Morgane BIHORÉ, étudiante en deuxième année de CPGE ECT au lycée Chevrollier à Angers.
L'épargne correspond à la partie du revenu qui n'est pas consommée immédiatement. Au niveau d'une économie, l'épargne peut notamment venir des ménages. Ce capital est mis de côté dans le but d’être dépensé ultérieurement sous forme de consommation, d’investissement, de leg… La crise du Covid a fait grimper l’épargne à son plus haut niveau depuis 1978. Le taux d’épargne des ménages sera d’après l’Insee de 20,3 % en 2020 (contre 15 % en 2019).
Cependant, on peut penser que sur le long terme, cette épargne n’est pas excessive. La France va subir une crise sans précédent, et beaucoup de personnes vont se retrouver au chômage. Cette épargne répond à un besoin de protection. Or, on ne se protège jamais trop.
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Au niveau macroéconomique, cette épargne peut permettre aux ménages de consommer durant la crise, soutenant le niveau de la consommation malgré la baisse des revenus.
De plus, un des motifs de l’épargne est celui de l’altruisme intergénérationnel : les parents ou grands-parents épargnent dans le but de subvenir aux futurs besoins de leurs enfants ou petits-enfants qui vont peut-être se retrouver en difficultés durant cette période difficile, les aidant ainsi à conserver un certain pouvoir d’achat.
Enfin, le recul de l’âge de la retraite en France n’est pas anodin, les ménages travaillent et épargnent plus longtemps puisque l’épargne se construit généralement au cours de la vie active.
Toute cette épargne n’est pas inutile. Elle permet aux entreprises et à l’État de se financer par le biais des marchés financiers ou du système bancaire. Or ces deux agents vont avoir de grands besoins d’investissement. Investir dans les hôpitaux, la R&D, la transition énergétique… s’avère nécessaire pour l’avenir. Les théories classiques et néoclassiques soulignent que l’épargne finance l’investissement, l’épargne des uns est l’investissement des autres, plus d’épargne signifie plus d’investissements.
Or — et ce sujet met d’accord tant les libéraux que les keynésiens —, l’investissement permet aux entreprises de rester compétitives sur les marchés mondiaux et de suivre le progrès technique. L’État aussi a besoin d’investir ne serait-ce que pour permettre aux entreprises de travailler grâce aux infrastructures qu’il construit et entretient, pour financer l’innovation…
De ce fait on ne peut pas dire que l’épargne est trop importante puisqu’elle permet à l’économie de fonctionner. À l’État de trouver les moyens pour drainer l’épargne vers les investissements utiles. Mais les ménages français, eux, n’épargnent pas trop.
D’ailleurs, le taux d’épargne de l’Allemagne est supérieur à celui de la France tout comme celui de la Chine, qui atteint 44 % du PIB. La comparaison internationale nous montre bien qu’un taux d’épargne seul ne veut rien dire, d’autant plus que la moyenne mondiale du taux d’épargne est à peu près équivalente au taux de la France. L’augmentation de l’épargne n’est donc pas affolante.
Taux d’épargne
Le taux d'épargne mesure la part du revenu disponible brut qui n'est pas utilisée par les ménages en dépense de consommation finale. Il est égal au rapport entre l'épargne des ménages et le revenu disponible brut (INSEE).
OUI, les ménages doivent dépenser plus
Moïse BRUNET, étudiant en deuxième année de CPGE ECT au lycée Chevrollier à Angers.
130 milliards d’euros. C’est le montant colossal épargné par les Français en 2020 d’après la Banque de France. 26,4 milliards, rien que pour le livret A ! Cet argent ne sert pourtant quasiment à rien ni à personne : il dort.
L’épargnant lui-même n’y gagne pas, puisque la faiblesse des taux d’intérêt fait que l’épargne est peu rémunérée. C’est une épargne “stérile”. En effet, une grande partie de l’épargne est placée sur le Livret A qui rapporte très peu aux ménages (0.5%), aux banques, tout comme à l’État, car ce livret est défiscalisé. Le taux d’intérêt nominal du livret A est proche du taux d’inflation, donc le taux d’intérêt réel est quasiment nul.
Surtout, dans le contexte actuel, cette épargne est clairement un frein pour la relance économique et complique la politique de soutien de la demande des pouvoirs publics. Dans une vision keynésienne, cette épargne est très négative, néfaste pour l’activité à court et moyen terme, car elle pénalise la consommation sans financer pour autant l’investissement, ce qui lui confère un rôle procyclique.
La demande intérieure, qu’elle soit privée ou publique, est un élément primordial pour sortir de la crise (d’autant plus qu’en ce qui concerne la demande extérieure, la France fait face à un problème de compétitivité). Les ménages serviraient donc l’intérêt général en dépensant leur magot.
Si l’on s’intéresse à la structure de l’épargne, on s’aperçoit de surcroît que les formes privilégiées par les ménages (épargne sans risque, liquide et immobilière) ne sont pas les plus adaptées aux besoins de l’économie (besoin de financement à long terme de la « nouvelle économie » : les startups et l’innovation, le risque, le développement durable…).
De plus, ce sont les plus riches qui épargnent, ceux qui potentiellement auraient davantage de moyens pour soutenir la relance. Tout cela peut mener à une augmentation des inégalités.
Les ménages peuvent se cacher derrière la situation actuelle (confinement, couvre-feu…) peu propice à la consommation (épargne forcée), ou bien derrière un manque de confiance en l’avenir (épargne de précaution). Cependant, il y a aussi de nombreuses conditions favorables à la dépense, comme les taux très bas appliqués par la BCE.
En outre le manque de confiance devrait désormais disparaître progressivement au vu des différentes aides apportées par l’État et de la vaccination de la population.
Taux d’intérêt directeurs de la BCE
Il existe le taux de refinancement qui est actuellement de 0%, son plus bas niveau. Mais aussi, le taux de rémunération des dépôts (-0.5 %) et le taux de prêt marginal (0,25 %).
Si l’épargne restait élevée, nous pourrions souhaiter une intervention plus grande de l’État afin de désinciter à l’épargne, avec par exemple des taxes sur celle des plus riches. Le contexte exige en effet que l'économie française s’appuie sur la consommation, premier moteur de la croissance. À défaut, il y a un manque de débouchés pour les entreprises, et la crise perdure.