Cet article est extrait de notre magazine consacré aux super-pouvoirs économiques des politiques. À retrouver en kiosque et en ligne.
Dans une vidéo de propagande diffusée sur Twitter début février, le Premier ministre Boris Johnson fait une fois de plus des promesses pour « mettre à niveau » (“levelling up”) le Royaume-Uni. Par exemple, en investissant 230 millions de livres dans des terrains de foot.
Le but affiché : réduire les déséquilibres, essentiellement économiques, entre les différents territoires et groupes sociaux du pays, deux ans après l’entrée en vigueur du Brexit.
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Outre-Manche, la région de Londres se paye une part du gâteau démesurée quand d’autres se contentent de miettes. Quelques mois plus tôt, l’État est aussi venu au secours de Bulb, fournisseur d’électricité au bord de la faillite.
L’été dernier, en pleine pandémie, l’État a décidé de nationaliser Sheffield Forgemasters, une entreprise chargée de fournir des pièces détachées à la Royal Navy.
Les « secs » et les « mouillés »
Au Royaume-Uni, l’interventionnisme est à la mode. Dirigé depuis une douzaine d’années par les conservateurs, hanté par l’ère Thatcher, le pays aurait, dans l’imaginaire collectif, naturellement tendance à pencher vers le laisser-faire économique.
La stratégie du gouvernement actuel bouscule ces croyances. Boris Johnson, en place depuis 2019, veut montrer que l’État est là pour donner un coup de main. Mais les raisons qui l’ont poussé à de tels choix économiques sont-elles purement structurelles ? Quelle place tient ici l’idéologie politique ? Une chose est sûre : l’idéologie libérale s’efface, en temps de crise, devant un interventionnisme pragmatique.
D’abord, il faut comprendre que « le conservatisme britannique est fluctuant », explique la politiste Agnès Alexandre-Collier. « Ce n’est pas un cadre rigide qui guide l’action politique, mais presque une façon de concevoir le rôle de l’individu, de la société. »
Sa flexibilité et la structure du parti lui permettent d’accueillir différentes factions en son sein, comme ce que l’on appelle communément les « dries » (secs) et les « wets » (mouillés). Les premiers sont des défenseurs de l’économie de marché, les autres ont une vision… plus keynésienne.
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, par exemple, l’interventionnisme fait consensus. Il faut réparer à tout prix. « La culture politique britannique est beaucoup plus pragmatique qu’en France. Elle s’adapte aux circonstances. »
La main de l’État… quand ça l’arrange
L’hégémonie du discours thatchérien n’est pas en granit, mais il devient majoritaire dans les années 1980. Les gouvernements conservateurs se succèdent, maniant un savant mélange de néo-libéralisme et d’austérité. Jusqu’au choc de la sortie de l’Union européenne.
Pour l’économiste James Meadway, « le Brexit a été le catalyseur, d’abord sous Theresa May, puis avec Boris Johnson, pour “se souvenir du bien que le gouvernement peut faire” [Theresa May, en 2016, NDLR] ». On promet alors monts et merveilles (soutien à l’industrie, aux télécoms, à la biotechnologie, etc.) en vantant les bienfaits de la sortie du cadre légal communautaire.
En 2020, la pandémie frappe dans un contexte économique déjà compliqué. Le gouvernement met en place des mesures de chômage partiel, chose jusque-là impensable. « L’aide de l’État a été considérable, assure l’universitaire David Bailey. Mais c’était moins ciblé qu’en France. »
De son côté, James Meadway décrypte l’action de Boris Johnson : « Il a favorisé les dépenses d’urgence quand c’était nécessaire, mais il a aussi assoupli les restrictions le plus rapidement possible. » La main de l’État sur l’économie, mais quand ça l’arrange.
« Le parti conservateur est une machine à remporter des élections », rappelle en ce sens Agnès Alexandre-Collier. « C’est un parti de masse. » Les élections générales de décembre 2019 fournissent un exemple frappant. « Se présentant comme l’homme fort du Brexit, Boris Johnson vend un programme orienté vers la conquête de nouveaux sièges, en particulier ceux du Red Wall, des circonscriptions nordistes historiquement travaillistes. »
Depuis l’effondrement financier de 2008, l’austérité n’est plus à la mode. « Bojo » va s’en servir et assurer la victoire de son parti. James Meadway renchérit : « Johnson a peu de convictions politiques évidentes, mais il a, en revanche, un sens aigu de ce qui est nécessaire pour être élu et réélu. »
Appeler à la hausse des dépenses publiques semble alors une stratégie incontournable et a priori payante.
+ 700 livres sur la facture d’électricité
Si Johnson perd son poste en raison du Partygate, ces fêtes organisées au 10 Downing Street pendant les confinements et qui font l’objet d’enquêtes, sera-t-il remplacé par son contraire ? Difficile de décrire ce que serait l’opposé d’un conservatisme économique aussi louvoyant.
Son successeur le plus probable n’est autre que le richissime Rishi Sunak, ministre des Finances, avec qui le bras de fer dure depuis des mois. Ultra-libéral convaincu, combattant avec férocité l’augmentation des dépenses publiques, Sunak semble bien le contraire de Johnson version Covid.
En témoigne sa réticence, début février, à contrer une très forte augmentation du prix de l’énergie.
Alors qu’en France, on plafonne les tarifs réglementés, certains ménages britanniques pourraient voir leur facture d’électricité exploser (+54 %, soit 700 livres de plus par an en moyenne). « Entre Boris Johnson qui veut faire intervenir l’État si c’est populaire et Rishi Sunak, il y a des différences fondamentales au sein du gouvernement actuel », explique David Bailey.
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