Et en 2020 éclata la Troisième Guerre mondiale. Contrairement aux deux précédentes, elle n’oppose pas deux blocs de nations et leurs armées. Tous les pays combattent à coups de confinements, couvre-feux et campagnes de vaccination un même ennemi, invisible à l’œil nu : le Covid-19.
Dans cette « guerre », pour reprendre les propos présidentiels, ce ne sont pas les généraux qui jouent les premiers rôles, mais les épidémiologistes. Voilà près de deux ans que les gouvernements sont pendus à leurs lèvres.
Alors que le médecin se concentre sur l’individu, l’épidémiologiste, lui, se préoccupe des populations.
Laura Temime,responsable de l’unité d’enseignement « Épidémiologie et évaluation quantitative des risques sanitaires » au Cnam.
Qui sont-ils ? Acteurs clés de la santé publique, ils étudient les maladies. Mais « alors que le médecin se concentre sur l’individu, l’épidémiologiste, lui, se préoccupe des populations », pose Laura Temime, professeure des universités et responsable de l’unité d’enseignement « Épidémiologie et évaluation quantitative des risques sanitaires » au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).
Qui sont-ils ? Acteurs clés de la santé publique, ils étudient les maladies. Mais « alors que le médecin se concentre sur l’individu, l’épidémiologiste, lui, se préoccupe des populations », pose Laura Temime, professeure des universités et responsable de l’unité d’enseignement « Épidémiologie et évaluation quantitative des risques sanitaires » au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).
Peu importe que la maladie soit contagieuse ou pas : pour intéresser l’épidémiologiste et entrer dans son champ d’études, il suffit que le mal concerne un groupe conséquent d’individus.
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Quelle(s) formation(s) ?
Pour devenir épidémiologiste, il faut aimer les mathématiques, les statistiques, avoir une appétence pour le milieu de la santé et de la patience. Car, les études sont longues… Au minimum cinq ans. Les masters « Santé publique » avec une spécialisation en épidémiologie ouvrent l’accès au métier.
Leurs étudiants, sont titulaires pour moitié d’une licence en biologie, statistiques ou mathématiques. Les autres ont fait médecine ou des études de pharmacie. Une fois le master en poche, les plus téméraires poursuivent avec un doctorat en santé publique et épidémiologie.
Les épidémiologistes se divisent en deux groupes.
« Il y a ceux qui observent comment une maladie se propage. S’appuyant sur de multiples données et des modèles mathématiques, ils construisent des indicateurs afin de suivre l’évolution de la maladie, d’alerter en cas de phénomène inattendu et d’évaluer les actions de santé publique. On parle de “surveillance épidémiologique” », explique Karen Leffondré, responsable pédagogique du master 2 « Santé publique, parcours épidémiologie » à l’Institut de santé publique d’épidémiologie et de développement (Isped) de l’Université de Bordeaux.
Rôle clé dans les politiques de santé
Il y a également ceux qui s’intéressent aux causes des maladies. On parle alors d’épidémiologie analytique. Richard Doll, médecin britannique et Austin Bradford Hill, épidémiologiste et statisticien anglais, font partie de ce groupe.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Medical Research Council – l’équivalent britannique de l’Inserm – les chargea de trouver la cause de la hausse du nombre de cancers du poumon.
« Ils ont interrogé des centaines d’Anglais atteints de ce cancer sur leurs habitudes de vie : lieu de résidence, de travail, régime alimentaire, etc. Ils ont comparé leurs réponses à celles d’un autre groupe composé de personnes ayant sensiblement le même mode de vie, mais n’étant pas atteintes de cancer du poumon. Dans le premier groupe, tous les individus sont ou ont été fumeurs. Dans le second groupe, en revanche, les fumeurs sont quasi absents. Ainsi ont-ils établi un lien entre le tabac et le cancer du poumon », confie Laura Temime.
À partir de là, les médecins se sont mis à demander à leurs patients s’ils fumaient pour établir leur diagnostic. Quelques décennies plus tard, les gouvernements augmentèrent fortement le prix du tabac et les industries concernées furent priées d’informer leurs clients que « Fumer tue ! ».
Ces scientifiques employés des centres de recherches (Inserm, Institut Pasteur) et des organismes de santé publique (ARS, Santé Publique France) jouent donc un rôle clé dans la définition des politiques de santé et des protocoles de soin. Mais, pour leur grand malheur, c’est la difficulté majeure du métier, la réalité n’est pas aussi rigoureuse et ordonnée qu’eux.
Enquêter faute de données
Dans l’idéal, l’épidémiologiste aimerait pouvoir constituer deux groupes identiques (même âge, milieu social, lieux de résidence et travail, régime alimentaire, etc.) : l’un atteint par une maladie et l’autre non, afin de pouvoir les comparer. Ne vivant pas dans un monde de clones, tout le défi est donc de constituer des groupes les plus semblables possibles.
Autre défi qui fait aussi appel à sa rigueur : l’absence de données. « Le sujet de mes recherches, c’est l’impact du milieu social sur la réussite d’une greffe de rein sur les enfants. Je n’ai ni la catégorie socioprofessionnelle des parents des patients, ni leurs niveaux de revenus. Je n’ai que leur adresse. Je complète ces données par des interviews de personnel soignant sur leurs pratiques. Je m’appuie aussi sur tous les travaux similaires menés par d’autres épidémiologistes pour d’autres maladies chroniques (comme le diabète) » explique Bénédicte Driollet, jeune épidémiologiste qui espère ainsi, pas à pas, s’approcher de la vérité.
Il y a deux siècles, l’intuition méthodique de John Snow
Dans la première moitié du XIXe siècle, Londres était sale, les taudis y pullulaient. On attrapait le choléra en respirant l’air, qui charriait notamment l’odeur putride des abattoirs. Du moins, c’est ce que tout le monde pensait. John Snow, qui terminait son apprentissage en médecine, lui, doutait.
Lors de l’épidémie de choléra qui frappa la ville en de 1831-32, les employés des abattoirs ne furent pas tous, ni les premiers, à tomber malades, constata le futur médecin. Le mal devait venir de l’eau que les familles puisaient dans la Tamise, soit en amont, soit en aval des égouts.
Pour vérifier sa théorie, il plaça sur une carte de Londres tous les cas de choléra. Le verdict fut sans appel : la grande majorité des cas étaient situés en aval des égouts. Les Londoniens se contaminaient par l’absorption de matières fécales contenues dans l’eau pompée en aval des égouts, avança John Snow.
Personne ne le crut. Il était encore trop jeune pour se faire entendre. Vingt ans passèrent, et en 1853, le choléra frappa à nouveau. John Snow, devenu un médecin aguerri, tenta à nouveau sa chance. Il cartographia les lieux de résidence et de travail des malades et des 578 morts. Tous les décès pointaient du doigt une pompe à eau publique. John Snow fit enlever le bras de la pompe à eau… et l’épidémie disparut.