Sociologie

États-Unis : L’école obligatoire jusqu’à 18 ans, une politique efficace contre la délinquance

Une étude de Vox.eu indique que la durée minimale de scolarité réduit le potentiel criminel de l’élève, à condition qu’il soit encore à l’école à 18 ans. La prison, elle, s’avère un accélérateur de criminalité.

André Zylberberg, directeur de recherche émérite, centre d’économie de la Sorbonne
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© William WIDMER/REDUX-REA

Pour comprendre les liens entre éducation et criminalité, de nombreux travaux ont examiné les conséquences des lois augmentant la durée de la scolarité obligatoire. Une conclusion constante en ressort : la prolongation de la durée des études réduit la criminalité.

La manière traditionnelle d’expliquer ce résultat repose sur la « théorie du crime » de Becker, selon laquelle un individu arbitre entre les coûts et les avantages des activités criminelles. Or une scolarité plus longue a tendance à accroître les revenus (légaux) futurs de celui qui bénéficie de cette prolongation. Les avantages d’une activité criminelle s’en trouvent réduits.

Le délinquant rationnel selon Becker

Pour Gary Becker (1930-2014, prix Nobel d’économie en 1992), toute personne ayant l’intention de commettre un acte délictueux agit comme n’importe qui : elle se livre à un calcul « rationnel ».

Avant de commettre son forfait, elle va en soupeser les coûts et les avantages. Le délinquant potentiel calcule les gains matériels attendus de son forfait, la probabilité d’être repéré et la lourdeur des peines ou sanctions encourues.

Par conséquent, la répression de la délinquance devient « efficace » si, d’une part, la sévérité du système des peines et des sanctions dépasse les gains espérés d’une activité délictueuse et que, d’autre part, la probabilité d’être repéré est élevée, ce qui suppose un appareil policier et de surveillance important.

Dans cette perspective, l’augmentation de la durée de la scolarité obligatoire aura un impact de long terme dans la mesure où un plus grand nombre de personnes abandonneront l’idée de se livrer à des activités criminelles pour vivre.

Une explication alternative, plus prosaïque, avance que les lois augmentant la durée de la scolarité obligatoire obligent les délinquants « potentiels » à rester plus longtemps à l’école.

Données du FBI

Ces derniers ont alors simplement moins de temps et moins d’opportunités de se consacrer à des activités criminelles. Il s’agit d’un effet d’incapacité. Dans ce cas, l’augmentation de la durée de la scolarité obligatoire n’aura qu’un impact de court terme. Elle ne fait que reporter le moment où certains individus accompliront leurs méfaits, mais une fois sortis de l’école, ils retomberont dans la délinquance.

Pour discerner l’importance relative de ces deux mécanismes, une étude1 a utilisé les données du FBI sur les arrestations en les reliant aux lois qui ont réformé la durée de la scolarité obligatoire dans les États américains, entre 1980 et 2010.

Plus précisément, cette étude a comparé les taux d’arrestation à court et long terme des élèves touchés par une réforme avec ceux des élèves ayant quitté l’école juste avant la réforme.

En accord avec les résultats habituels sur ce sujet, l’étude établit une relation de causalité entre la prolongation de la scolarité et la réduction de la criminalité : pour les personnes de sexe masculin âgées de 15 à 24 ans, il est estimé qu’une augmentation d’un an de l’âge de fin de scolarité réduit en moyenne le taux d’arrestation de 6 % au cours d’une vie.

Mais l’étude fait également ressortir que cette réduction se produit principalement pendant la période de prolongation de la scolarité. L’effet d’incapacité explique donc en grande partie la réduction de la criminalité par la fréquentation de l’école.

La prison, université du crime

Par ailleurs, cette étude constate que le taux d’arrestation des individus touchés par les réformes baisse néanmoins continûment tout au long de leur vie active.

Doit-on y voir un effet de la hausse du niveau éducatif dû à la hausse de la durée obligatoire de scolarisation ?  Probablement pas.

Ainsi, cette étude met aussi en évidence que les salaires et l’emploi ultérieurs des personnes touchées par les réformes ne présentent guère de différence avec les salaires et l’emploi des personnes n’ayant pas été touchées par elles.

Ce résultat s’explique vraisemblablement par le fait qu’après les années 80, une hausse de l’âge minimum de la durée de la scolarité touche un public très restreint. La grande majorité des jeunes poursuivent leurs études bien au-delà de l’âge plancher.

Pour la petite minorité qui ne le fait pas – et parmi laquelle se trouvent la plupart des délinquants « potentiels » –, les problèmes d’insertion dans la vie sociale ne sont pas résolus par une augmentation de la durée de la scolarité obligatoire.

La réduction de la criminalité propre aux individus touchés par la prolongation des études proviendrait plutôt d’un effet d’incapacité dynamique. Le graphique montre que pour l’ensemble de la population masculine, le taux des arrestations présente un pic autour de 18 ans.

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Ainsi, les lois augmentant la durée de la scolarité empêchent surtout l’exposition des adolescents à la criminalité pendant cette période cruciale. Autrement dit, la prolongation de la scolarité est efficace, car elle maintient plus longtemps à l’école les jeunes à l’âge où ils ont le plus de probabilités de devenir des délinquants.

Cette solution est très certainement préférable à la prison, car il est bien documenté que, pendant cette même période cruciale, la prison s’avère, à l’inverse, « l’université du crime ».

Source

1. Why education reduces crime, Brian Bell, Rui Costa et Stephen Machin, VOX, CEPR Policy Portal, 14 octobre 2018

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