Si la France était une classe de 29 élèves, 24 d’entre eux seraient des élèves de l’enseignement public, et 5 des élèves du privé. Avec 7 500 établissements, et 2 millions d’élèves scolarisés de la maternelle au lycée, l’enseignement privé sous contrat est en France un acteur important et indiscutable de l’éducation.
Il est présent sur tout le territoire, mais avec de grandes variations d’une région à l’autre, et d’un type d’établissement à l’autre : ainsi plus de 51% des élèves vendéens sont scolarisés dans le privé, tout comme 30% des petits parisiens, mais moins de 2% dans la Creuse; de même l’enseignement privé accueille 56% des élèves de l’enseignement agricole, contre 17,6% en moyenne tous types d’enseignements confondus.
Parmi ces établissements privés, deux catégories sont à distinguer : hors-contrat et sous contrat. Les seconds, plus nombreux, ont passé un contrat avec l’État, lequel découle de la loi Debré de 1959. Ce « contrat d’association au service public de l'État », c’est son nom, implique notamment que l’établissement concerné suive les programmes de l’éducation nationale, et que les élèves soient accueillis « sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance ».
En échange, l'État paie les salaires des enseignants, et les collectivités publiques financent les collèges et lycées privés sous contrat dans les mêmes conditions qu’elles financent les établissements publics. Au final, 73% du budget des établissements d’enseignements privés sous contrat provient donc de l'État - soit 8 milliards d’euros d’argent public en 2022.
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Avec quel contrôle ? « En lisant le rapport de la Cour des comptes, j’ai réalisé qu’en tant qu’élus, nous n’avions jamais vraiment fait notre travail de contrôle de l’utilisation de cet argent par l’enseignement privé, alors que nous le faisons pour l’enseignement public », glisse Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts de Seine, et vice président de la commission Culture, éducation et communication du Sénat.
Trop peu de moyens pour les inspections
Mais outre le contrôle exercé par la représentation nationale, l’État lui aussi a un rôle à jouer. Or, dans son rapport paru début juin, la Cour des comptes a dénoncé un contrôle pédagogique « exercé de manière minimaliste », ainsi qu’un contrôle administratif « qui n’est mobilisé que ponctuellement en cas de problème ».
« Nous ne demandons pas mieux que d’être davantage contrôlés !, contre attaque Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique (SGEC). Il est logique que l’utilisation de l’argent public soit examinée mais nous sommes en paix, la Cour des comptes n’a pas constaté d’irrégularité sur ce point ».
Pour assurer ce contrôle, chaque année, les établissements privés sous contrat doivent présenter leur budget et l’envoyer à la préfecture dont ils dépendent, laquelle fait suivre au rectorat. Mais une partie de ces documents doit se perdre en cours de route puisque les sages écrivent dans leur rapport que « le suivi des contrats se révèle peu rigoureux, certains rectorats ne possédant pas ces documents sur la base desquels des sommes conséquentes sont pourtant versées ».
Autre outil de contrôle des établissements privés, les inspections, ou “points de carrière”, qui doivent jalonner le parcours des enseignants du privé comme de ceux du public. Seulement, il y a trop peu de moyens et de personnels pour assurer ces inspections, « c’est d’ailleurs un problème qui touche le privé comme le public », souligne Laurent Lamberdière, enseignant dans un lycée professionnel privé et secrétaire général du syndicat FEP-CFDT. « Il y aurait aussi davantage de contrôles à faire sur la façon dont sont respectés les principes de la laïcité, ou dont est assurée l’éducation à la sexualité, qui fait partie des programmes », souligne Alexis Torchet, pour le syndicat enseignant SGEN-CFDT.
Face aux critiques que le rapport de la cour des comptes a fait renaître, le SGEC met en avant sa liberté pédagogique, garantie par la loi Debré, mais aussi l’argent qu’il fait économiser à l'État. « Le privé sous contrat coûte moins cher que le public, reconnaît M. Lamberdière, mais c’est grâce à une forte proportion d’enseignants non titulaires: 17% des enseignants du privé sont des contractuels, contre seulement 5% dans le public, on ne peut pas s’en satisfaire ».
De même le public accueilli, plus favorisé, permet un suivi moins proximal, explique Alexis Torchet, moins coûteux en heures d’enseignement. Dans leur rapport, les Sages de la cour des comptes dénoncent d’ailleurs un recul de la mixité scolaire, déjà toute relative dans certains établissements privés parmi les plus élitistes. « Dans mon département des Hauts de Seine, les 10 collèges qui ont les IPS (indices de position sociale) les plus élevés sont tous des collèges privés », pointe ainsi le sénateur Ouzoulias.
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Raison pour laquelle le SGEN-CFDT et la FEP-CFDT ont demandé en novembre dernier que « les dotations des établissements d’un bassin de formation, publics comme privés, soient modulées en fonction de l’écart par rapport à l’IPS moyen du territoire ». Un système de bonus-malus qui nécessiterait un contrôle accru de l'État, et donc des moyens.
En attendant, le ministre de l’éducation nationale Pap N’Dyaye a signé à la mi-mai un protocole d’accord avec le SGEC, représenté par Philippe Delorme, pour faire progresser la mixité scolaire dans le privé sous contrat. « L’enseignement catholique est prêt à prendre sa part sur cette question, commente M. Delorme. D’ailleurs certains de nos établissements, notamment à Lille ou Marseille, pourraient tout à faire partie de l’enseignement prioritaire par le profil des élèves qu’ils accueillent ».
Reste que les établissements d’enseignement privés sous contrat n’ayant pas d’autorité unique de laquelle ils dépendent - l’équivalent du rectorat pour le public -, cet engagement dépendra beaucoup de la volonté des responsables d’établissements, et des familles, qui pour beaucoup choisissent justement le privé pour échapper à la mixité sociale du public.
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