Economie

Faut-il davantage taxer l'héritage ?

Il existe une opposition entre deux principes légitimes, mais irréconciliables : le respect de la propriété privée qui exige une intervention minimale de l'État dans les affaires d'héritage, et l'impératif méritocratique qui justifie sa taxation ou son abolition.

Maxime Sbaihi, économiste, auteur de Le Grand Vieillissement (Éditions de l’Observatoire).
,
Illustration de l'article Faut-il davantage taxer l'héritage ?

© Marta NASCIMENTO/REA

La question de l’héritage traverse à la fois chaque famille et toute la société. C’est ce nœud entre l’intime et le collectif qui la rend si fascinante, au point d’inspirer nos plus grands auteurs, de L’Avare de Molière au Père Goriot de Balzac, et d’alimenter depuis la Révolution française d’intenses controverses philosophiques.

Deux principes aussi légitimes qu’irréconciliables s’opposent depuis toujours : d’un côté, le respect de la propriété privée et de la famille, qui dicte une intervention faible, voire nulle, de l’État dans les affaires d’héritage ; de l’autre, un impératif méritocratique qui justifie sa taxation, voire son abolition.

Redistribuer la rente ?

Deux lignes tellement éloignées qu’elles produisent d’improbables alliés de circonstance, certains libéraux particulièrement allergiques aux rentes s’accordant avec des socialistes pour vouloir redistribuer les richesses après la mort tandis que d’autres libéraux et socialistes veulent eux, à l’inverse, protéger respectivement les fruits d’une vie et le lignage familial.

Le débat politique actuel semble loin de ces fascinantes controverses. Il s’est appauvri à force d’aborder l’héritage par le petit bout fiscal de la lorgnette, à savoir s’il faut plus ou moins taxer les transmissions. Une réflexion plus large s’impose, car l’héritage a radicalement changé d’âge et de nature en quelques décennies.

Alors qu’on héritait de ses parents à 25 ans au début du XIXe siècle puis autour de 35 ans à la Libération, l’âge moyen à l’héritage est aujourd’hui supérieur à 50 ans et va continuer d’augmenter. Il est même de plus en plus commun que des retraités héritent de retraités.

L’héritage a également changé de nature, le patrimoine étant aujourd’hui principalement constitué d’actifs immobiliers et financiers. Or, avec l’envolée des prix immobiliers et l’activisme des banques centrales, la valeur du patrimoine des Français s’est mise à augmenter plus vite que leurs revenus.

Concentration chez les seniors

Ce phénomène de patrimonialisation, couplé à celui du vieillissement démographique, aboutit à une répartition inédite du patrimoine : les plus de 60 ans détiennent aujourd’hui 60 % du patrimoine alors qu’ils ne représentent que 25 % de la population. Une telle autoconcentration du patrimoine dans des mains âgées est sans précédent. Les effets sont néfastes sur la vigueur de la croissance, les finances publiques, l’accès au logement.

Plus grave, c’est la courroie de transmission patrimoniale entre les générations qui est cassée. Nous n’avons pas encore pris l’entière mesure des conséquences car la recherche économique se retrouve aujourd’hui dépassée par une situation inédite.

La hausse continue du patrimoine avec l’âge entre en pleine contradiction avec la théorie du cycle de vie, développée par l’économiste Franco Modigliani (1918-2003), qui stipule que le capital accumulé pendant la vie active serait entièrement consommé au moment de la retraite.

Une hypothèse spectaculairement démentie, mais qui continue d’influencer bon nombre de prévisions économiques à long terme. Il est devenu urgent de l’actualiser pour réconcilier science économique et vieillissement démographique.

  1. Accueil
  2. Politique économique
  3. Inégalités
  4. Faut-il davantage taxer l'héritage ?