
« Aujourd’hui, on se forme via le micro-learning, c’est-à-dire en suivant de courts modules en ligne. Demain, on utilisera des programmes personnalisés conçus par l’Intelligence artificielle, l’adaptive learning. Après-demain, chacun aura son assistant digital de formation, capable d’analyser ses besoins propres, de suggérer des cours adéquats et de mettre en relation avec des “personnes ressources”. » Voilà comment Jean-Baptiste Audrerie, psychologue organisationnel et auteur du blog FutursTalents, voit l’avenir de la formation.
Ce Français installé à Montréal depuis 2006 s’est spécialisé dans l’accompagnement des entreprises sur ce secteur. « La formation, comme tous les domaines, est touchée par les grandes transformations de notre économie – technologies numériques, évolution des modes de management, individualisation des besoins », souligne-t-il.
Cela explique le foisonnement d’initiatives observé au niveau mondial et en particulier outre-Atlantique : académies ou campus innovants au sein des grands groupes, start-up spécialisées dans le partage de compétences ou e-learning, plateformes d’apprentissage créées par des universités, coachs spécialisés…
Retourner à l’école… en entreprise
En France aussi, cette évolution est en marche. Le groupe Thales a été pionnier dans le transfert de savoirs entre tuteurs et filleuls afin de faciliter l’intégration de nouveaux salariés, d’accroître la mobilité professionnelle et d’éviter la perte de compétences avec le départ de collaborateurs.
L’IFCAM, l’université d’entreprise du groupe Crédit Agricole, propose diverses méthodes : des formations sous forme d’escape games, des MOOCs (Massive Open Online Course) dernier cri sur l’assurance, et un outil – Scan’Up – qui évalue, à travers un quiz de 15 questions, le besoin de formation d’un collaborateur sur un thème donné.
MOINS DE FORMATION POUR LES CHÔMEURS ET LES MOINS DIPLOMÉS
Chez Veolia, des techniciens munis de casque de réalité virtuelle s’entraînent à réaliser des opérations délicates sur des canalisations souterraines. Lancée en 2013, la start-up Domoscio, spécialisée dans le big data et l’Intelligence artificielle, a créé un outil qui analyse la manière d’apprendre de chacun et propose le bon savoir au bon moment, une technologie utilisée par des entreprises (SNCF, Banque de France, Bouygues Telecom, Castorama) et des universités (Paris-Est, Paris-Descartes).
Une nécessité : cultiver la capacité à remettre en question ses pratiques en permanence.
.Se former au jour le jour et sur mesure
« Le format classique – un groupe de personnes dans une salle pendant une journée à écouter des intervenants – est de moins en moins utilisé », souligne Clarence Thiery, fondatrice de Sydo, agence lyonnaise de conseil en pédagogie. « À l’avenir, la formation sera plus diffuse. Elle se réalisera au quotidien et tout au long de la vie professionnelle. »
Grâce aux nouvelles technologies, elle sera davantage personnalisée : chacun choisira le mode d’apprentissage qui lui convient le mieux et surtout les combinera pour plus d’efficacité. « Il y aura autant de moyens de se former que de personnes », résume Clarence Thiery. Multicanal, la formation sera aussi plus horizontale, comme en témoigne l’essor des plateformes de partage de compétences comme SmartUp, Degreed, Valamis ou EdCast. Dans le domaine industriel, Speach.me, créée par la Nantaise Najette Fellache, permet à des salariés de partager des vidéos de gestes techniques puis de vérifier leur bonne assimilation avec des tests. « Demain, chacun de nous sera à la fois apprenant et maître d’apprentissage », prédit depuis Montréal Jean-Baptiste Audrerie.
Apprendre à apprendre
Le contenu même de la formation va changer. Certes, il faudra toujours développer les compétences techniques propres à chaque métier, le savoir-être en entreprise ou les qualités managériales. Mais dans un environnement économique en perpétuelle mutation et face à la rapide obsolescence des compétences, il s’agira surtout de donner les clés à chacun pour apprendre à apprendre. Cela passe d’abord par un changement des mentalités.
Danone a par exemple mené une campagne de sensibilisation en interne – One Learning a Day pour « apprendre chaque jour quelque chose de nouveau » – avant de mettre en place la Danone Academy 2.0, une plateforme accessible à ses salariés partout dans le monde.
Une fois intégrée la nécessité de se former au jour le jour, il faut ensuite savoir utiliser les différents outils. L’e-learning est attractif, mais requiert une certaine maîtrise du numérique, de la discipline et de la motivation. Il ne convient donc pas à tout le monde. L’extrême diversité de l’offre de formations suppose d’être capable de vérifier leur qualité pour séparer les contenus solides des plus superficiels. Cette sélection nécessite du temps.
Dernière compétence pour coller à cette philosophie du « apprendre à apprendre » : cultiver la capacité à anticiper l’évolution de son métier et les futures compétences requises, autrement dit à remettre en question ses pratiques en permanence.
En Chiffres
2,5 % du PIB
C'est la hausse du PIB que produirait un programme de formation de 6 mois visant 3 millions de personnes, soit 10 % de la population active française.
Un besoin bien français
L’enjeu est de taille. La formation ne joue pas seulement au niveau du travailleur et de l’entreprise. Elle a un impact sur le plan macroéconomique, alimentant l’innovation, la productivité et la croissance. « Si l’on forme trois millions de personnes (soit 10 % de la population active française) sur une durée de six mois, on obtient une augmentation de 2,5 % du Produit intérieur brut (PIB). Si la durée de la formation atteint un an, le PIB progresse de 3,4 % », soulignent les professeurs d’économie Nathalie Chusseau et Jacques Pelletan dans une étude publiée en mars 2019.
Ils utilisent ces résultats pour appeler à investir davantage dans la formation continue en France. « Seuls 36 % des adultes ont accès à une formation chaque année, contre 53 % en Allemagne et 56 % au Royaume-Uni, ajoutent-ils. En outre, la formation professionnelle ne bénéficie ni aux actifs peu qualifiés ni aux seniors, les deux catégories les plus vulnérables au chômage. » Deux écueils auxquels il faut remédier si l’on veut faciliter le retour à l’emploi.
Alors, la France doit-elle changer son modèle de formation ? C’est l’ambition de la réforme adoptée en septembre 2018 dans le cadre de la loi pour la « Liberté de choisir son avenir professionnel ».
Entrée en vigueur le 1er janvier 2019, elle prévoit que le Compte personnel de formation (CPF) ne soit plus crédité en heures (24 par an), mais en euros (500 par an, 800 pour les non qualifiés) et qu’il soit directement utilisable par le salarié via une application mobile, sans passer par les Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) comme c’était le cas jusqu’à présent. Cela doit faciliter l’accès à la formation et son individualisation.
PLUS D'UN QUART DES SALARIÉS FRANÇAIS PESSIMISTES SUR LEUR AVENIR PROFESSIONNEL
En outre, la réforme crée un CPF de transition pour remplacer l’actuel Congé individuel de formation (CIF) jugé peu efficace pour accompagner les reconversions. Un autre changement de taille concerne le financement. Ce sont les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf), organismes privés avec une mission de service public, qui collecteront la cotisation professionnelle à la place des OPCA, réorientés sur la gestion des compétences et les plans de formation des petites et moyennes entreprises.
En contrepartie de cette libéralisation, la réforme instaure deux organismes de contrôle. D’une part France compétences (gérée par l’État, les régions et les partenaires sociaux) pour vérifier la qualité et le coût des formations, d’autre part une institution chargée de la certification des organismes formateurs. Si la réforme doit dynamiser le secteur et mettre fin à la séparation artificielle entre temps de travail et formation, elle laisse en suspens la question du risque de creuser l’écart entre les plus et les moins qualifiés. Plus globalement, sa réussite dépendra aussi de la capacité à mieux articuler la formation avec le système éducatif et le monde du travail.
« L’apprentissage demeure une expérience sociale »
Pour Antoine Amiel, cofondateur de Learn Assembly, une start-up spécialiste des solutions d’e-learning pour les entreprises créée en 2013, le facteur humain reste fondamental dans l’acte d’apprendre.
La formation professionnelle est en pleine ébullition. À quoi ressemblera ce marché à l’avenir en France ?
Antoine Amiel : Il y a une démultiplication de l’offre ces dernières années. À terme, je parie sur une consolidation du marché avec la constitution de supermarchés de la formation, de très gros acteurs proposant des milliers d’heures de cours en ligne, sur le modèle de LinkedIn Learning ou Coursera. Les acteurs traditionnels devront réagir et faire évoluer leur offre s’ils veulent survivre. Le contenu des formations va aussi changer vers des modules plus courts et davantage axés sur l’accompagnement de la reconversion professionnelle.
L’impact des nouvelles technologies sur la formation fait débat. S’achemine-t-on vers une révolution ?
La technologie rend la formation plus accessible, elle la démocratise. Elle permet aussi de créer toute une palette d’outils dans laquelle chacun peut aller piocher. Mais elle ne résout pas tous les problèmes. Il y a des invariants : la nécessité de donner envie d’apprendre, le fait que la formation demeure une expérience sociale dans laquelle le contact humain est primordial, l’importance des diplômes dans l’évaluation d’un profil. Dernier point, il faudra toujours articuler formation et métier pour obtenir des travailleurs épanouis, c’est-à-dire qui peuvent utiliser les compétences apprises.
Quel sera le rôle de l’IA dans la formation ?
Par sa puissance, l’Intelligence artificielle va permettre de récupérer d’importantes quantités de données sur les apprenants et leurs modes d’apprentissage. Elle pourrait, par exemple, aider à anticiper et donc à lutter contre le décrochage scolaire. Mais elle pourrait aussi déboucher sur le pire, la surveillance. Cela va dépendre des acteurs qui utiliseront les données et de leurs objectifs.
Pour aller plus loin
Comment formerez-vous demain ?, Sydo, Eyrolles, 2017
« Impacts macroéconomiques d’un libre accès à une formation continue », Nathalie Chusseau et Jacques Pelletan, Institut Sapiens, 2019
La loi pour la « Liberté de choisir son avenir professionnel » du 5 septembre 2018, appelée loi Avenir, réforme en profondeur le système de formation professionnelle.