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« La discrimination des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres engendre des coûts économiques et sociaux considérables, par le biais de canaux très divers », explique l’OCDE dans son panorama de la société de 2019. Mais disons-le d’emblée, ce calcul est complexe : que représente le manque à gagner suscité par l’homophobie et la transphobie ? (Spoiler : c’est considérable.)
Lee Badgett, économiste au Williams Institute de l’université UCLA (Californie), s’est attelée à cette lourde tâche. « Après avoir rassemblé toutes les données que j’ai pu trouver, j’ai estimé que l’Inde avait perdu jusqu’à 1 % de son produit intérieur brut (PIB) à cause de l’homophobie et de la transphobie. » Si l'on extrapole à l’échelle mondiale – en considérant prudemment que la communauté LGBT+ représente en moyenne entre 3 % et 5 % de la population d’un pays – « cela équivaut à 880 milliards de dollars en 2019, soit quasiment la taille de l’économie des Pays-Bas (la 17e plus grande économie du monde) ».
En Chiffres
Entre 3 % et 5 %
La part de la communauté LGBT+ dans la population d'un pays.
Comment ce taux de 1 % est-il calculé ? L’économiste prend en compte toutes les phases de la vie. « Les connaissances et compétences de base que les élèves acquièrent à l’école les rendent plus productifs plus tard sur le marché du travail. » Un « capital humain » qui se traduit dans les statistiques puisque les personnes plus instruites gagnent généralement plus d’argent et contribuent davantage à l’économie.
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Or le harcèlement homophobe en milieu scolaire est répandu et nuit aux résultats des élèves. Aux États-Unis, une enquête de 2017 révèle que 70,1 % des élèves LGBT+ âgés de 13 à 21 ans ont subi des menaces et insultes ; 28,9 % ont été harcelés physiquement ; 12,4 % agressés physiquement et 48,7 % victimes de cyberharcèlement. « Des faits courants qui ont évidemment un impact délétère sur les performances scolaires », commente Marie-Anne Valfort, économiste à l’OCDE et à la Paris School of Economics. Et par conséquent, sur la productivité future.
50 % de chances en moins d’être reçu en entretien
Le coût des discriminations gonfle ensuite sur le marché du travail. L’homophobie s’y répand sous différentes formes (refus d’un emploi, d’une augmentation, perte d’une promotion, etc.) Les chiffres sont éloquents : selon l’OCDE, les personnes LGBT + ont 7 % de chances en moins d’occuper un emploi que les personnes non LGBT+. À CV équivalent, les candidats revendiqués homosexuels (via un engagement associatif) ont 50 % de chances en moins d’être invités à un entretien d’embauche par rapport à leurs homologues hétérosexuels. Et si l’on regarde les fiches de salaire, les LGBT+ gagnent en moyenne moins que les hétérosexuels (en France, – 6,5 % pour les hommes dans le secteur privé et -5,5 % dans le secteur public).
Toutes ces discriminations sont lourdes de conséquences : « Si vous ne traitez pas les personnes sur un pied d’égalité, vous allez anéantir leur engagement et passer à côté des opportunités de développement qu’elles auraient pu apporter à l’entreprise », prévient l’économiste Lee Badgett. Cela affaiblit la productivité. Plusieurs enquêtes affirment que les personnes sont moins productives lorsqu’elles subissent une discrimination.
« Bien sûr, les employés apportent des compétences et des connaissances, mais leur environnement de travail détermine leur capacité à utiliser pleinement ce capital humain », détaille la chercheuse. Cette dernière a sorti la calculette : la perte subie par une personne LGBT +, en raison de son manque de productivité causé par des discriminations, équivaut à environ 10 % de son salaire. Sur une paie de 2 000 euros, ce seraient donc 200 euros qui s’envoleraient chaque mois…
Et ça, c’est sans compter les dommages infligés à la santé mentale. Dissimuler son orientation sexuelle, ne pas oser être soi-même, subir des attaques homophobes à l’école ou au travail, cela empêche les personnes d’utiliser tout leur potentiel économique. Qui plus est « la discrimination érode les finances publiques du fait des budgets considérables alloués aux services sociaux et de santé pour remédier aux conséquences de la marginalisation des personnes LGBT + », complètent les spécialistes de l’OCDE.
Des recherches montrent bien que les LGBT+ sont plus exposés à l’anxiété, à la dépression ou aux pensées suicidaires à cause des discriminations subies. La corrélation entre santé et productivité est bien connue : « Les pays où la population est en meilleure santé ont un PIB par habitant plus élevé », insiste Lee Badgett.
Une récession permanente
Ainsi, en additionnant les coûts de la perte de productivité de la main-d’œuvre et les frais de santé, Lee Badgett chiffre finalement les discriminations à 1 % du PIB d’un pays.
L’homophobie et la transphobie mettent les économies dans une récession permanente.
Lee Badgett,économiste au Williams Institute de l’université UCLA.
« Dans un sens, l’homophobie et la transphobie mettent les économies dans une récession permanente, avec une production économique en dessous de leur potentiel, analyse l’experte. Et si la production dans les usines, les magasins, les hôpitaux, les restaurants chutait soudainement de 1 %, le gouvernement, les entreprises, les universités se précipiteraient pour trouver un remède. Mais que se passe-t-il lorsque l’économie mondiale est tirée vers le bas pendant des décennies non pas à cause d’une crise financière ou d’un choc pétrolier, mais en raison de préjugés de la société à l’égard des LGBT+ ? Pas grand-chose », déplore Lee Badgett.
L’OCDE nuance tout de même le tableau final : d’importants progrès ont été accomplis au cours des vingt dernières années pour mieux intégrer les personnes LGBT+. L’inclusion profite à la société entière, pas seulement aux personnes LGBT +. En témoigne l’étude menée par l’OCDE. Elle démontre que les pays les plus avancés en termes d’inclusion juridique des LGBT+ affichent un PIB par habitant supérieur de près de 3 000 euros aux pays les moins avancés.