Qui n’a jamais rêvé d’impressionner et de briller dans des discussions ou des débats, de tenir son auditoire en haleine, de le faire agir ou réagir, de le persuader ou le dissuader et de l’emmener, grâce à une argumentation logique et implacable, vers une conclusion écrite à l’avance ?
L’éloquence est une tradition qui remonte aux grands penseurs de l’Antiquité. Un des plus célèbres modèles d’orateurs, Démosthène (IVe siècle av. J.-C.), était mauvais à ses débuts, mais il a travaillé son élocution et sa forme physique pour s’améliorer. De même, Cicéron (Ier siècle avant J.-C.) accordait tellement d’importance à la parole qu’il a énuméré1 les qualités de l’orateur-citoyen idéal. Dire, oser dire, le dire bien, avec efficacité, c’est un « art » qui s’apprend.
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Quand il s’agit de convaincre ou de défendre sa position, il faut préparer une stratégie. Pour être crédible et convaincant, un discours doit présenter un argumentaire pertinent, être organisé de manière cohérente et prendre en compte les auditeurs et leur logique.
Étape 1 : exordium
Prenons l’exemple du discours prononcé par Jacques Chirac, en 2002, lors du sommet mondial sur le Développement durable, à Johannesburg, en Afrique du sud. La question environnementale est déjà d’actualité, mais rien n’avance vraiment. Il est urgent d’agir, de capter l’attention.
Les premiers mots du discours résonnent encore : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Ils accrochent immédiatement l’auditoire et donnent le ton du discours. Le « nous » indique que nous sommes tous concernés. C’est l’objectif.
La suite du paragraphe introductif cible alors le problème, désastreux et tragique, et pointe bien la responsabilité générale : « La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au nord comme au sud et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. »
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Étape 2 : narratio
Un discours s’écoute. Sa progression, pas trop rapide, doit être ordonnée, claire et simple. L’auditoire doit pouvoir assimiler correctement tout ce qui est exposé. Selon Cicéron, après la thèse de présentation, l’exordium, vient l’exposition des faits : la narratio.
Dans le discours de Jacques Chirac, les faits sont les « signaux d’alerte », c’est-à-dire le diagnostic alarmant qui décrit les situations sanitaires, économique, sociale, écologique présentes partout dans le monde et qu’il organise sous forme d’anaphore : « L’Europe est frappée… » ; « L’Amérique est atteinte… » ; « En Asie, les pollutions s’étendent… » ; « L’Afrique est accablée… ». Ce choix de figure de style, qui repose sur la répétition, crée un effet d’empilement émotionnel et signale l’urgence de l’action.
Étape 3 : confirmatio
La troisième partie d’un discours, ce sont les arguments, la confirmatio. Pour être crédibles, les arguments doivent s’appuyer sur des savoirs irréfutables, pour dire la vérité la plus objective possible. C’est le côté rationnel du discours. L’argumentation repose sur des preuves, des connaissances, des faits, des données, servis par un vocabulaire adapté à la confrontation verbale. Bien choisis, les mots donnent confiance en soi pour convaincre et persuader, ils permettent de mieux échapper aux objections.
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En matière économique, les faits et les chiffres sont utiles, car difficilement réfutables. Par exemple, la plupart des gens pensent que le système universitaire américain est inégalitaire, car trop coûteux quand on veut accéder aux meilleures universités. Pour contrer objectivement cette idée, il faut énoncer les seuils de revenus en dessous desquels les études sont gratuites, ces seuils étant publiés sur le site de chaque université.
Les faits : en 2019, à la prestigieuse Princeton2, un étudiant issu d’une famille gagnant moins de 160 000 dollars par an (135 240 euros) ne payait aucun frais de scolarité ; À Harvard3, le seuil est à 150 000 dollars (126 900 euros). C’est la méthode de la "réfutation directe". Pour toucher l’auditoire, on peut préférer jouer sur l’émotion, comme Winston Churchill en 1940 devant les Communes, pour appeler à la mobilisation contre l’Allemagne nazie : « Je n’ai rien d’autre à vous offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur. »
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Étape 4 : peroratio
La rhétorique est un exercice phare de notre culture, mais il ne faut pas oublier la forme. La voix et l’articulation, la posture et la gestuelle doivent accompagner le fond du discours pour lui donner plus d’impact. La performance d’un discours tient aussi au contact « physique » avec l’auditoire.
C’est particulièrement important dans la conclusion, la peroratio, en fin de discours, quand on formule ce que l’on veut faire admettre. Il faut souligner les enjeux de sa thèse, ouvrir des perspectives et élever le débat. Le discours de Johannesburg se concluait ainsi : « L’humanité a rendez-vous avec son destin […], et quel plus beau lieu que l’Afrique du Sud […], pour franchir cette nouvelle étape de l’aventure humaine. Je vous remercie. »