Elle note quand même une différence : « Les Français sont très à l’aise dans la conversation courante, l’échange informel, mais c’est plus difficile pour eux de prendre la parole face à un client ou un manager. À mon avis, notre éducation ne valorise pas assez la capacité à s’adapter à son interlocuteur, à faire face à quelqu’un de différent.
Cette aptitude semble plus répandue chez les salariés originaires d’Amérique du Nord ou d’Europe du nord. Mon fils aîné est allé à l’école en Allemagne. J’ai pu observer que, dès tout petit, on l’a habitué à prendre la parole en public, à faire des exposés, mais aussi à s’exprimer librement. Peut-être ne le fait-on pas assez dans les écoles françaises. »
À lire Body language : notre corps parle-t-il à notre place ?
Le monolinguisme fraçais
Dans les pays anglo-saxons, la pratique pédagogique du « show and tell » (montrer et dire) permet, elle aussi, de développer l’éloquence en public : il s’agit, dès le primaire, de défendre un objet devant ses camarades. L’équivalent français pourrait être le « Quoi de neuf ? » de la pédagogie Freinet. Elle est pratiquée dans quelques écoles publiques, mais peu courante, même si elle est centenaire !
Audrey Chapot, consultante formée à l’ethnologie en Allemagne, avance une explication surprenante à ces différences d’un pays à l’autre : les facilités à l’oral d’autres cultures seraient liées à leur multilinguisme.
« Quand on a l’habitude, depuis l’enfance, de passer quotidiennement d’une langue à une autre, il est plus facile de s’adapter spontanément à tous ses interlocuteurs. Or en France, le monolinguisme domine, on chasse même les accents qui sont souvent moqués. »
Un monolinguisme ancré dans notre histoire, le français ayant été longtemps la langue officielle des aristocrates de toutes les cours d’Europe : « Dans notre histoire récente, y compris coloniale, ce sont les autres qui apprennent le français, souligne Audrey Chapot. Nous avons inconsciemment hérité de cette situation qui participe à ce qu’en France, la maîtrise de l’oral et l’éloquence ont été moins développées que dans d’autres pays. »
Un léger manque de « smart & fun »
Une autre explication de l’aisance oratoire, notamment celle des Anglo-Saxons et des Américains, pourrait venir d’une habitude bien à eux : faire des petits boulots dès le plus jeune âge, 10-11 ans, ce qui oblige à sortir de sa coquille et à échanger régulièrement avec d’autres adultes que ses parents ou ses professeurs.
Pour Marie Dancer, coach en leadership installée à Taïwan qui travaille avec de multiples nationalités, la culture française survalorise l’écrit et notre système éducatif repose beaucoup sur la sanction des erreurs, les classements, les notations :
« Les Français qui travaillent à l’étranger sont souvent félicités pour leur capacité d’analyse, mais ils donnent moins dans le « smart and fun » que les Anglo-saxons, ils ont peur d’apparaître vulnérables, de faire une bourde, et cette crainte inhibe la prise de parole. »
« Le rapport à l’oral est très culturel, confirme Carole Risler, professeur de français langue étrangère (FLE) qui a travaillé au Chili, en Australie et au Royaume-Uni.
« Étudiante dans une université américaine, à Memphis, j’étais vraiment étonnée de voir les étudiants américains donner leur avis sur tout, s’exprimer à la première personne en disant : « je pense que ». Alors que moi, la bonne élève tout juste débarquée de sa classe prépa, qui avait pourtant l’habitude des colles [interrogations orales, NDLR], je n’osais pas ! Mais j’ai appris à me lancer en suivant là-bas un cours d’effective public speaking. »
La preuve qu’avec les bons outils, tout le monde peut devenir « bon à l’oral ». Même un Frenchie !