L’épineux cas Mc Donald’s
Le dossier Mc Donald’s (6 ans d’enquêtes en France, au Pays Bas, au Luxembourg et aux États-Unis), illustre à quel point est fastidieuse la lutte contre les cabinets et les experts qui exploitent depuis des décennies, pour leurs clients, les failles des régimes fiscaux et la concurrence fiscale entre les États, .
Tout commence en 2015, dans l’Ouest parisien. Les représentants CGT de 16 fast-foods du groupe américain s’étonnent que les salariés ne bénéficient ni de 13e mois, ni de prime d’intéressement au motif que les comptes de l’entreprise sont négatifs. Comment peuvent-ils être dans le rouge alors même que la société augmente chaque année son chiffre d’affaires de 5 % ?
Le comité d’entreprise Mc Donald’s Ouest-Parisien mandate alors un expert financier pour auditer les comptes de la filiale. La direction n’apprécie pas mais après une décision de justice, elle se voit obligée d’ouvrir ses comptes.
« Les multinationales rechignent évidemment à divulguer au public et donc à révéler à leurs concurrents leur fonctionnement, notamment comment elles répartissent leurs bénéfices et leur base d’imposition entre leurs différentes filiales. Cela fait partie de la recette de leur succès. Le partager, c’est risquer de perdre leur avance " décode Antoine Molé, avocat fiscaliste et professeur affilié à l’EDC Business School à Paris.
L’audit met à jour certaines anomalies : par exemple, les bénéfices engrangés en France partent aussitôt vers les Pays Bas avant de terminer leur course au Luxembourg. Là-bas, l’impôt sur les bénéfices des sociétés est de 2 % contre 33 % en France.
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Évasion ou simple concurrence fiscale ?
« Depuis les années 1980, les États européens sont ambigus : d’une main, ils veulent lutter contre les pratiques fiscales jugées dommageables, de l’autre, ils se livrent une concurrence fiscale, chacun étant maître de son régime fiscal dans l’UE », poursuit l’avocat fiscaliste.
La fiscalité relevant de la souveraineté nationale, l’Union européenne ne peut pas imposer au Luxembourg de revoir son régime fiscal qui lèse pourtant d’autres États membres comme la France. Pour instaurer une fiscalité commune, il faudrait un accord unanime des 27. Pas gagné…
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C’est pour cette raison que la Commission européenne, souhaitant avancer sur le sujet et faire payer les gros contribuables, use d’une nouvelle stratégie. Elle attaque Apple, Amazon ou Starbucks en concurrence déloyale. Pour Bruxelles, les avantages fiscaux dont ils bénéficient en Irlande, au Luxembourg ou aux Pays Bas sont, dans certains cas, assimilables à des aides d’État illégales car elles créent une distorsion de concurrence. Mais la justice européenne, jusque-là, a tranché en défaveur de la commission, jugeant que l’exécutif européen « n’a pas réussi à démontrer l’existence d’un avantage sélectif et, partant, d’une aide d’État ».
Prouver la fraude, toute la difficulté est là. Cela a pris 6 ans pour McDo. En décembre 2015, fort des anomalies constatées dans les comptes de Mc Donald’s Paris Ouest, et renseigné par l’expert financier dans un rapport de 217 pages, le comité d’entreprise dépose plainte contre X pour « blanchiment de fraude fiscale » devant le Parquet national financier. Ce dernier ouvre une enquête préliminaire et saisit l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions fiscales et financières.
À Pantin, les contrôleurs de la Direction des vérifications nationales et internationales du fisc (DVNI) enquêtent eux aussi sur les pratiques fiscales douteuses du fast-food. S’ensuivent des allers-retours et échanges d’informations avec les polices néerlandaise et luxembourgeoise, et le fisc américain, pour dérouler la bobine des sociétés en cascade et des montages du groupe, et accumuler assez de preuves pour établir qu’il s’agit bien d’une fraude et pas d’une optimisation.
« La fraude fiscale, c’est la violation par un individu ou une personne morale, des lois fiscales de son pays, afin d’échapper au moins partiellement à l’impôt. Sous-déclarer ses revenus ou exagérer la valeur des travaux thermiques dans sa maison (niche fiscale) c’est de la fraude. L’évasion fiscale c’est un individu ou une entreprise qui pour éviter l’impôt utilise les failles du système fiscal. Une grande fortune qui part s’installer en Belgique pour payer moins d’impôts, c’est légal. Si en revanche, il se fait simplement domicilier là-bas pour éviter l’impôt et continue en réalité à habiter en France, c’est de la fraude. C’est au cas par cas. Au final, c’est la justice qui tranche à partir des éléments qui lui sont soumis » explique Marian Eabrasu, professeur associé en éthique des affaires et théorie des organisations à l’EM Normandie.
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Poursuivre en justice ou négocier avec l’entreprise… le dilemme de l’État
Dans le cas de Mc Donald’s, les enquêteurs devaient donc établir s’il y avait ou non abus de droit. Signe de la complexité du dossier, l’affaire s’est terminée en juin 2022… mais pas au tribunal. Le groupe a préféré négocier un accord avec le fisc français dans le cadre de la procédure de convention judiciaire et d’intérêt public. Sorte de « plaider-coupable » à la française, créée par la loi Sapin 2 (2016), elle permet à une entreprise ou un individu d’échapper aux poursuites en payant ses arriérés d’impôts (737 millions d’euros pour Mc Donald’s) et une amende (508 millions d’euros).
Ces dernières années, le gouvernement privilégie les négociations avec les grandes entreprises : selon Mediapart, qui s’est procuré un rapport de Bercy sur le sujet, le nombre de ces négociations a triplé entre 2019 et 2021, passant de 116 à 306.
« Le message envoyé est délétère. Il sous-entend que si vous êtes gros, vous pouvez négocier, mais quand vous êtes petit, c’est niet ! Un vrai coup de canif dans le contrat social. Mais c’est aussi très pragmatique, résume l’avocat Antoine Molé. Vaut-il mieux espérer des sommes plus grosses que l’on n’est pas sûr de recouvrir, et qui avec les appels, Cassation et Conseil d’État, mettraient des années à revenir dans les caisses de l’État, ou bien négocier pour faire rentrer tout de suite de l’argent dans les caisses ? C’est cette voie qu’a choisie le gouvernement ».
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