Le gouvernement a rouvert cette semaine le débat sur l’immigration. Dans le domaine de la migration économique, le Premier ministre Edouard Philippe a émis l’éventualité d’instaurer des "quotas".
Migrants économiques : de qui parle-t-on ?
En 2018, 255 956 migrants ont été admis sur notre sol (hors réfugiés politiques), selon les dernières données du ministère de l'Intérieur. Parmi eux, 34 748 étrangers ont obtenu pour la première fois un titre de séjour pour un motif économique, c'est-à-dire pour travailler, soit un peu plus de 13% des admissions migratoires, selon les données du ministère de l'Intérieur.

Différentes sources (ministère de l'Intérieur, Eurostat) permettent de dresser un portrait type du migrant économique :
- C'est un salarié (à 72%);
- Il est installé pour plus d’un an sur le territoire français (85 %);
- Il est souvent africain (16 745 dont 5 547 Tunisiens et 4 812 Marocains);
- C’est un homme (à 72,3%);
- Il est âgé entre 25 et 34 ans (à 51%).
A quoi sert la migration économique ?
La migration économique comptabilise le nombre de titres de séjour accordés à des étrangers pour venir travailler sur le sol français. Elle inclut aussi les changements de statut, comme le passage d’étudiant à travailleur.
Pour l’économie française, l’accueil d’étrangers sert à répondre à des pénuries de main-d’œuvre, notamment pour des raisons démographiques : plus la population est vieillissante, moins on trouve des personnes en âge de travailler pour assurer les besoins d’un pays. La France a eu largement recours à l'immigration pendant les Trente Glorieuses. La migration économique sélective permet aussi de développer une “économie de la connaissance”, de booster l’innovation et donc de rester compétitif sur le marché international.
Comment ça marche ?
En fonction du métier du postulant à la migration économique, son parcours est plus ou moins facilité. Une liste de 30 professions "en tension" a été établie par décret par les régions en 2008. Elle permet d'automatiser les admissions. Un titre de séjour est accordé pour une profession et un territoire uniquement. Ces métiers font essentiellement partie des secteurs de l’informatique et du BTP.
En revanche, les professionnels étrangers souhaitant travailler en France, mais dont le métier n'est pas mentionné dans la liste, sont confrontés à un examen du marché. Pour qu'ils puissent venir, l'entreprise qui recrute doit d'abord attester de ses recherches parmi les travailleurs français.
Certains métiers sont néanmoins inaccessibles aux migrants économiques et réservés aux ressortissants français : huissier, notaire par exemple.
Une offre obsolète ?
Problème, aujourd'hui, “seuls 15 % des métiers inscrits sur la liste sont encore en tension sur l’ensemble de la France” selon l’OCDE. En 2019, les besoins sont ailleurs : dans la santé, l'action sociale, l'industrie manufacturière ainsi que le commerce et la réparation automobile. Près de 88 000 postes de ces domaines sont vacants pour le deuxième trimestre 2019, selon la Dares.
Au regard des rares données disponibles, la politique de migration économique semble être déconnectée des besoins actuels du marché, voire obsolète.
Autre limite : aucun service statistique contacté n'a été en mesure de nous dire dans quels secteurs précis travaillent ces 34 748 migrants économiques accueillis en 2018.


Quelle politique ?
"Toutes les professions [de la liste de référence] sont des professions qualifiées voire très qualifiées”, relève toutefois Cécile Thoreau. D’autant plus que des étrangers hautement qualifiés arrivent via d’autres dispositifs, et ne sont pas toujours comptabilisés parmi les migrants économiques, comme les scientifiques par exemple.
Toutefois, le manque d'informations ne permet pas de comprendre précisément quelle est l'orientation française en matière de migration économique. Privilégie-t-elle le "capital humain", à savoir les "cerveaux", plutôt que la recherche de main d'oeuvre ? "Les objectifs ne sont pas très clairs, nous ne sommes pas très sûrs des orientations de la politique migratoire", confirme Cécile Thoreau.
Que pourraient changer les quotas ?
L'introduction de quotas, avancée cette semaine par le Premier ministre, pourra-t-elle clarifier la situation ? "On doit pouvoir adapter et dynamiser nos procédures d'immigration professionnelle en fonction des besoins des secteurs d'activité", a-t-il suggéré devant le Sénat mercredi. "On doit pouvoir se fixer des objectifs en nombre d'étudiants accueillis, en nombre de 'passeports talents' délivrés, ou encore sur la proportion de l'immigration qualifiée au sein de l'immigration professionnelle." Contactés, les services du Premier ministre n'ont pas répondu à nos questions.
Des quotas par nationalité ?
Une autre option, mentionnée par Edouard Philippe devant l'Assemblée nationale lundi, consisterait à attribuer des quotas par pays. Serait-ce un moyen de traiter l'immigration clandestine via la politique migratoire économique ? Car, dans les faits, "près d’un premier titre pour motif économique sur quatre [était] une régularisation en 2015", d'après un rapport France Stratégie pour l’Assemblée nationale.

Les "quotas" pourraient alors imiter la logique des accords bilatéraux. La France a souvent fait venir des professionnels de pays amis. Et les objectifs dépassent parfois la seule rationalité économique : les métiers mentionnés dans ces accords bilatéraux ne sont pas forcément en adéquation avec la liste des 30 professions en tension de 2008.
Par exemple, une liste de 16 métiers a été dressée pour faciliter la venue de Béninois en 2007. Il s’agit d’informaticiens chefs de projet, de conseillers en assurance ou encore de techniciens en imagerie médicale. Et voici les objectifs qui apparaissent à la fin du document :
- réduire l’immigration clandestine entre les deux pays,
- promouvoir l’immigration légale,
- promouvoir le codéveloppement,
- favoriser le développement économique et social du Bénin à travers les transferts de fonds et de compétences des ressortissants béninois en France ainsi que le soutien aux initiatives des migrants,
- garantir la fiabilité des actes et textes d’état civil.
La migration économique répond ainsi à des besoins de main-d'oeuvre, mais pas seulement. Les enjeux peuvent aussi être scientifiques (une recherche d'innovation) ou même géopolitiques. Reste à voir si le débat en cours prendra ces questions en compte et aboutira à une orientation précise.
Image : ©Baptiste FENOUIL/REA