Entre 1850 et 1915, les États-Unis ont accueilli plus de 30 millions d’immigrants. Une étude récente de Marco Tabellini a examiné minutieusement l’impact de cet apport massif de population étrangère sur 180 villes du territoire américain1.
Il en ressort que, sur le long terme, l’emploi et les salaires des résidents se sont améliorés, car les entreprises ont accru leurs investissements et les autochtones se sont dirigés vers des tâches mieux rémunérées qu’auparavant.
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D’autres travaux portant sur les très nombreuses vagues migratoires du siècle dernier – qu’il s’agisse par exemple de l’afflux de la main-d’œuvre cubaine en Floride en 1980, étudié par David Card, Prix Nobel 2021 d'économie, ou des réfugiés fuyant les conflits de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990 – ont confirmé que l’immigration, même massive, n’avait pas d’impact négatif sur l’emploi et le salaire des résidents.
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Ces travaux soulignent aussi qu’une plus grande « flexibilité » du marché du travail des pays d’accueil permet d’intégrer plus rapidement les nouveaux arrivants.
Le précédent suédois
Mais l’étude de Marco Tabellini a aussi montré que les dépenses publiques favorisant les populations les plus pauvres, et donc les immigrés de fraîche date, avaient diminué dans les villes ayant accueilli le plus de migrants, en particulier dans celles où la religion et la langue des nouveaux arrivants les distinguaient fortement des populations locales.
Les ressources allouées aux politiques éducatives et aux mesures favorisant l’aménagement de l’espace public (voirie, ramassage des ordures, par exemple) se sont taries lorsque la distance culturelle entre les immigrés et les résidents s’est accrue.
Ce constat sur les États-Unis s’applique aussi à la Suède qui, dans les années 1980-1990, a connu d’importants flux migratoires en provenance d’Irak, d’Iran et des Balkans. Auparavant, ce pays accueillait des immigrés issus principalement des autres pays du nord de l’Europe.
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Il a pu être établi que la plus grande diversité de la population immigrée est en partie responsable de l’affaiblissement du soutien des Suédois aux politiques de redistribution. Cet affaiblissement est surtout sensible parmi les ménages les plus aisés qui sont aussi les plus gros contribuables et donc les principaux financeurs des politiques sociales.
Immigration économique
Le migrant économique arrive légalement dans un pays pour travailler. On l'appelle ainsi quand il a demandé un droit de séjour et que celui-ci a été approuvé. Le migrant économique peut-être salarié, mais aussi indépendant, chercheur ou artiste. La durée de son séjour varie de quelques mois pour les saisonniers par exemple, à plus d'une année.
Une autre étude s’intéressant aux modifications des « valeurs » dans 16 pays d’Europe de l’Ouest, entre 2002 et 2016, confirme ces résultats. Elle conclut aussi que le soutien à la redistribution recule quand la proportion des populations étrangères augmente.
Ce recul étant par ailleurs quatre fois plus important quand les migrants sont originaires du Moyen-Orient. La distance culturelle séparant les immigrés et les autochtones joue donc un rôle crucial dans le soutien aux politiques de redistribution.
Un sondage récent de l’Ifop confirme que la France n’échappe pas à ce mouvement : 71 % des Français estiment qu’il est facile d’intégrer les immigrés en provenance d’Espagne ou du Portugal, alors qu’ils ne sont que 15 % de cet avis pour les immigrés venant du Maghreb et encore moins (6 %) lorsque les immigrés sont originaires d’Égypte, d’Irak ou de Syrie.
L’éducation pour réduire les écarts de valeurs
En résumé, les travaux universitaires les plus récents mettent en évidence deux acquis majeurs en matière d’immigration. Le premier est que l’intégration économique des migrants n’est pas le principal problème.
Il semble d’ailleurs que les Français en soient majoritairement convaincus puisque, selon l’Eurobaromètre 2018, ils sont 65 % à estimer que les immigrés ne prennent pas les emplois des résidents.
Le deuxième enseignement est que l’action des pouvoirs publics doit porter sur l’intégration sociétale des migrants, car la baisse du soutien aux politiques de redistribution provient en grande partie de la distance culturelle séparant les nouveaux venus et les populations résidentes.

Ainsi, le graphique souligne que dans la plupart des pays d’Europe, ces dernières estiment massivement que l’intégration des immigrés suppose d’abord qu’ils acceptent les normes et les valeurs des pays d’accueil. Cette opinion est partagée par 91 % des Français, 97 % des Allemands ou encore 93 % des Suédois.
Maintenir un modèle social fondé sur une redistribution importante des richesses nécessite de réduire la distance culturelle pouvant exister entre les différents groupes vivant sur un même territoire. Dans cette perspective, les politiques éducatives apparaissent prioritaires, car elles sont les plus à même de promouvoir des normes et des valeurs communes.