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Consultation contribuable : plus de transparence pour gagner l’adhésion des Français ?
Politique économique
Consultation contribuable : plus de transparence pour gagner l’adhésion des Français ?
Lancée le 25 avril 2023, la plateforme « En avoir pour mes impôts » doit permettre aux Français de se renseigner sur la manière dont l’argent public est dépensé. L’État espère ainsi que sa politique budgétaire, souvent épinglée lors des manifestations, sera mieux accueillie.
Nadège Delépine
© KERMALO/REA
Un accouchement coûte 2 800 € à l’État, une année au collège 8 206 € et l’entretien d’un kilomètre sur une route nationale 110 000 €. Si ces dépenses peuvent paraître élevées, nombre de Français estiment qu’ils n’en ont pas pour leur argent. Jérémy, employé de La Banque Postale à Lyon, est sceptique sur les dépenses publiques. « Je paie beaucoup d’impôts, j’ai deux enfants en bas âge, et pourtant, j’ai l’impression de ne jamais en voir la couleur. Récemment, on nous a supprimé les aides de la CAF, parce que soi-disant nous gagnions trop. 40 000 € par an, ce n’est pas une somme astronomique quand on a une famille à charge ! »
Son sentiment d’injustice pourrait-il être apaisé par le nouveau dispositif du gouvernement ? Il a fait le test. « Je trouve les questions du formulaire extrêmement pertinentes, mais le problème, c’est qu’on ne sait pas comment ces données vont être utilisées. Si une majorité de Français se prononcent en faveur de plus de dépenses pour le secteur de la santé, le gouvernement va-t-il réellement modifier son budget pour répondre à l’appel des citoyens ? J’en doute. »
Éco-mots
Consentement à l’impôt
Principe selon lequel le peuple souverain autorise la levée de l’impôt, telle que votée par les représentants de la nation. Le gouvernement ne peut lever un impôt de par sa simple autorité ; le parlement, en tant qu’assemblée des représentants des citoyens de la nation, doit avoir donné son accord, sans quoi l’impôt n’est pas juridiquement valable.
En effet, malgré le lancement de cette consultation citoyenne, le gouvernement est resté muet sur la manière dont les données seront traitées par la suite. L’objectif affiché sur le site officiel est de permettre aux contribuables de « s’informer » et « d’exprimer leur avis sur l’utilisation qui est faite de leurs impôts ». Une publication des résultats est prévue à l’été. Gabriel Attal, le ministre délégué chargé des Comptes publics, s’est engagé au micro de RTL à ce que les avis des Français soient pris en compte « dans les prochains textes financiers et travaux que nous conduisons au gouvernement, à l’image du Grand débat national. »
Des priorités différentes selon les régions
Concrètement, cette consultation citoyenne a été déployée sur tout le territoire à la fin avril. Les Français pourront être amenés à se prononcer via un questionnaire en ligne ou en présentiel, dans des points de contact locaux. L’objectif est d’obtenir l’adhésion des Français sur la manière dont les fonds publics sont utilisés.
Sur le site Internet, on peut ainsi apprendre comment sont dépensés 1 000 € d’impôts : 572 € sont alloués à la protection sociale, dont 262 € pour les retraites et 195 € pour la santé; 58 € sont consacrés aux affaires économiques, 17 € à l’environnement et 47 € aux transports et équipements collectifs. 95 € des fonds sont dépensés pour l’éducation tandis que 31 € couvrent le budget de la défense. En 2022, l’État a perçu 323,3 milliards d’euros d’impôts et moins de la moitié des ménages français y ont contribué via l’impôt sur le revenu, mais tous l’ont fait par le biais de la TVA.
Éco-mots
Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)
Impôt indirect sur la consommation institué en France en 1954. Elle est payée par tous les consommateurs qui achètent un bien ou un service.
Cet objectif de transparence affiché se heurte à un problème de taille : celui des compétences. Sachant que le budget de l’État est élaboré chaque année par le ministère de l’Économie et des Finances, quel est le niveau de compétence requis chez les citoyens pour pouvoir analyser et critiquer ledit budget ? Autre enjeu de taille : les inégalités territoriales risquent de créer de gros décalages sur les secteurs prioritaires en termes de financement public. Ainsi, dans les zones rurales ou dans l’ouest du pays, où les déserts médicaux sont nombreux, les dépenses de santé risquent de fortement ressortir dans la consultation citoyenne. A contrario, à Lille ou à Paris, où l’insécurité est plus forte que partout ailleurs dans le pays, les dépenses de sécurité pourront sembler prioritaires.
« Les impôts sont au cœur du contrat social »
Pour l’économiste Anne-Laure Delatte, auteure de l’ouvrage « L’État droit dans le mur » (Fayard, 2023), « c’est formidable de lancer un débat sur les impôts, car les impôts sont au cœur du contrat social. Cependant, les données présentées sur le site du gouvernement ne sont pas complètes. Cela pose un vrai problème. Au mieux, on peut leur reprocher de donner une mauvaise information, au pire, les citoyens peuvent avoir l’impression que l’État leur cache des choses. »
Il est vrai que les données présentées sur le site datent de 2019. Le gouvernement justifie ces chiffres par le fait que la crise sanitaire « a provoqué une déformation de la structure des dépenses publiques ». Pourtant, lorsqu’on se plonge dans le détail des dépenses, le chèque énergie, lancé en 2022, ou encore l’aide sur le prix du carburant figurent dans la liste.
Des décalages importants entre attentes des citoyens et politique budgétaire
Anne-Laure Delatte constate un autre écueil dans le détail des dépenses. En effet, les exonérations fiscales accordées aux entreprises ne figurent nulle part, alors même qu’elles ont beaucoup augmenté lors des quarante dernières années. « Les aides publiques aux entreprises représentent 190 milliards d’euros par an en moyenne depuis 2010, soit 8,5 % du PIB, selon les données récoltées dans le cadre de mon livre. En comparaison, les dépenses publiques d’éducation représentent 5,5 % du PIB. En plus, aucun objectif de rentabilité n’est réclamé aux entreprises en contrepartie de ces aides. Cela ne figure pas dans le budget de l’État et il s’agit d’une omission importante. »
Quant à savoir si les citoyens adhéreraient davantage à la politique budgétaire s’ils bénéficiaient de plus d’informations sur la répartition des fonds publics, l’économiste n’en est pas si sûre. « D’un côté, l’État consacre 37 milliards d’euros à l’environnement avec son budget vert, mais de l’autre, il dépense 190 milliards pour aider des entreprises qui sont le plus souvent dans des secteurs d’activité à fortes émissions de carbone. C’est un non-sens. » D’après elle, si les contribuables bénéficiaient de ces informations, ils ne seraient probablement pas d’accord avec la manière dont le budget est réparti.
Pour ce qui est de l’utilité de cette consultation auprès des contribuables, Anne-Laure Delatte souligne que l’échantillon des répondants n’est pas représentatif. « Ce sont des personnes qui s’intéressent déjà aux impôts, puisque le questionnaire repose sur un système de réponses volontaires. De plus, on peut y répondre plusieurs fois car aucune identification n’est requise. La méthode manque de rigueur scientifique, ce qui peut faire penser qu’il s’agit surtout d’un coup de communication de la part du gouvernement. »
Rendez-vous à l’été pour savoir ce que le gouvernement compte faire des données récoltées.
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