Economie
Inflation, pénuries de main-d’œuvre, négociations collectives : pourquoi les salaires vont augmenter en 2022
Sélection abonnésLes salaires devraient augmenter en 2022. Plusieurs facteurs économiques expliquent ce phénomène. Pour l’Éco vous explique lesquels.
Audrey Fisné-Koch
© Jean Claude MOSCHETTI/REA
C’est la Banque de France qui le dit : dans ses projections publiées en décembre 2021, l’institution table sur « une nette progression des salaires sur la durée » : il faut ainsi s’attendre à une hausse de 4 % en 2022, de 3 % en 2023 et de 3 % en 2024.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Tout d’abord et « conformément aux régularités historiques, les fortes hausses de prix actuelles se transmettraient en partie aux salaires », indique la Banque de France. « C’est le cas en particulier du SMIC, revalorisé automatiquement en fonction de l’inflation au début du mois d’octobre (+ 2,2 %) et qui [l’a été] de nouveau en janvier 2022. » (+0,9 %). Cette hausse automatique concerne 13 % des salariés.
Il faut dire que l’inflation en France a accéléré à 1,6 % en moyenne annuelle, sur l’ensemble de l’année 2021. Un plus haut depuis 2018, rapporte l’Insee, qui s’explique notamment par une explosion des prix des énergies et des produits manufacturés.
C’est la Banque de France qui le dit : dans ses projections publiées en décembre 2021, l’institution table sur « une nette progression des salaires sur la durée » : il faut ainsi s’attendre à une hausse de 4 % en 2022, de 3 % en 2023 et de 3 % en 2024.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Tout d’abord et « conformément aux régularités historiques, les fortes hausses de prix actuelles se transmettraient en partie aux salaires », indique la Banque de France. « C’est le cas en particulier du SMIC, revalorisé automatiquement en fonction de l’inflation au début du mois d’octobre (+ 2,2 %) et qui [l’a été] de nouveau en janvier 2022. » (+0,9 %). Cette hausse automatique concerne 13 % des salariés.
Il faut dire que l’inflation en France a accéléré à 1,6 % en moyenne annuelle, sur l’ensemble de l’année 2021. Un plus haut depuis 2018, rapporte l’Insee, qui s’explique notamment par une explosion des prix des énergies et des produits manufacturés.
Éco-mots
Dans une économie de marché, les prix des biens et des services peuvent varier. Certains augmentent, d’autres diminuent. On parle d’inflation lorsqu’il y a une hausse des prix généralisée et non pas seulement de certains produits. Il en résulte que vous pouvez acheter moins de biens et de services pour un euro. Inversement, un euro vaut moins qu’avant. L‘inflation est donc une perte de pouvoir d’achat de la monnaie.
Que les salaires suivent semblent donc légitime. D’autant que « l’inflation pèse déjà sur les salariés en tant que consommateurs. Et elle pèse beaucoup plus sur ceux pour qui l’énergie représente une grosse partie de leurs budgets. Ne pas compenser par des hausses de salaires, ce serait finalement faire un choix en termes de répartition », analyse Héloïse Petit, professeure d’économie au Centre d'étude de l'emploi et du travail (CEET) du Cnam.
À lire > Et si l’« indemnité inflation » alimentait une spirale inflationniste ?
Une dynamique du marché de travail
L’inflation n’est toutefois pas le seul moteur avancé par la Banque de France pour justifier des hausses de salaires. « L’influence de la bonne tenue du marché du travail » en est un autre. « Avec en particulier le taux de chômage qui resterait à un niveau durablement bas en comparaison des 25 dernières années. »
Là où il faut aussi être prudent, c’est en pensant que les pénuries de manœuvre que rencontrent certains secteurs peuvent assurément provoquer des hausses de salaires. « Cela fait des années que certains secteurs peinent à recruter (la construction, les services à la personne, les hôtels, cafés, restaurants). Pour autant, ces employés n'ont pas vu leur salaire augmenter », poursuit l’enseignante.
Les experts le rappellent : si les partenaires sociaux ont conclu mi-janvier un accord dans l’hôtellerie-restauration (une hausse moyenne de 16 % pour tous les salaires et une rémunération minimum de 5 % au-dessus du SMIC), cela tient surtout du phénomène de rattrapage tant les salaires partaient d’un niveau bas.
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Cela fait des années que certains secteurs peinent à recruter (la construction, les services à la personne, les hôtels, cafés, restaurants). Pour autant, ces employés n'ont pas vu leur salaire augmenter.Héloïse Petit
Professeure d'économie au Centre d'étude de l'emploi et du travail (CEET) du Cnam.
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En 1958, l’économiste néo-zélandais Alban William Phillips relève une relation négative très nette entre l’inflation et le chômage. Son point de départ est l’étude statistique de la variation des salaires nominaux (assimilée à l’inflation) et du chômage en Grande-Bretagne sur la période 1861-1957. Il en déduit qu’en période de forte reprise d’activité et de chômage faible, les entreprises sont en concurrence pour garder ou attirer des salariés devenus plus « rares » et doivent alors augmenter les salaires. Elles répercutent ces hausses de coûts dans les prix de leurs produits, qui deviennent moins compétitifs et alimentent l’inflation. Inversement, en période de ralentissement économique, le rapport de force change et ce sont les salariés qui, par peur du chômage, doivent renoncer à de meilleures rémunérations. Les pressions à la baisse des salaires sont fortes et la désinflation, voire la déflation, guettent.
Derrière l’inflation, la géopolitique
« Tout comme dans les années 1975, les causes de l’inflation aujourd’hui ne sont pas économiques, tient à rappeler Gérard Cornilleau, de l’OFCE. Il s’agit d’une inflation importée. Ce n’est pas l’économie qui a généré l’augmentation du prix du pétrole et du gaz, mais des situations géopolitiques. En 1975, il s’agissait d’une guerre entre Israël et les pays arabes. Aujourd’hui, il y a des problèmes avec les Russes. Tout l’enjeu, maintenant, c’est de savoir comment on s’organise pour gérer l’impact de ces chocs et répartir la surcharge qui y est liée. »
« Au sein de l'entreprise, cela se traduit par une augmentation des coûts qui va devoir être portée par une des parties prenantes : consommateurs, salariés ou actionnaires, complète Héloïse Petit, professeure d’économie au CEET. Au vu des gains obtenues en termes de taux de marge et distributions de dividendes depuis les années 2010 et de la faiblesse des augmentations de salaires obtenues en parallèle, il ne semble pas légitime de faire peser la hausse de l'inflation sur les salariés. »
Les résultats des entreprises
Enfin, les résultats des entreprises pourraient aussi justifier une hausse des salaires. Soutenues par l’État pendant la pandémie et bénéficiant de la reprise de la demande, celles-ci pourraient théoriquement augmenter les salaires grâce à leurs profits. Surtout lorsque l’on voit que le taux de marge des entreprises françaises a dépassé 35 % de la valeur ajoutée au premier semestre 2021.
Éco-mots
Taux de marge
Pourcentage de gain réalisé par une entreprise ou un secteur économique. En comptabilité nationale, il mesure le pourcentage de la valeur ajoutée conservé par les entreprises après versement du coût du travail et des impôts liés à la production et permet donc de suivre le partage de la valeur ajoutée entre les salariés et l'entreprise.
En pratique, une hausse généralisée des salaires semble compliquée pour la France : elle pourrait faire perdre des parts de marché à l'international aux entreprises tricolores et réduire les exportations d'un pays qui subit déjà un important déficit commercial. C’est ce qu’explique Patrick Artus, chef économiste de Natixis dans les colonnes des Échos. Cette hausse « toucherait des secteurs exposés à la concurrence étrangère, en particulier de l’industrie. Or ces secteurs souffrent déjà du niveau élevé de leurs coûts salariaux, associé à des compétences faibles de la population active en France ».
Pour autant, l’argument ne tient que pour certains secteurs : ceux qui exportent, notamment dans la filière industrielle, complète Héloïse Petit : « Dire qu’augmenter les salaires va peser sur notre balance commerciale est valable que pour les secteurs qui vendent à l’étranger. Typiquement, les secteurs à bas salaires comme les services à la personne, la construction ou l’hôtellerie-restauration ne sont pas menacés par la concurrence. »
En somme, « une hausse ciblée dans les secteurs où les salaires sont les plus faibles est possible », indique encore Patrick Artus, aux Échos avant de citer en exemple la distribution, le commerce ou les transports.
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Le risque de la spirale inflationniste
Cela va dépendre de la capacité qu’auront les salariés à s’organiser collectivement. Car la « question de la compensation de l’inflation est quelque chose qui est sur la table dans le cadre des négociations de branches ou dans les négociations d’entreprise », rappelle Héloïse Petit, qui a étudié en détail le sujet.
C’est au niveau collectif que sont discutées la revalorisation des salaires de base et l’enveloppe générale qui sera ensuite distribuée sous formes de primes individuelles. Aujourd’hui, ces négociations collectives influencent d'abord les salaires des non-cadres, les principaux touchés par l’inflation et qui affichent des salaires les plus bas, ajoute la professeure d’économie.
« Le problème, c’est que les syndicats sont faibles en France. Ils sont divisés. Cela n'a rien à voir avec des pays comme la Suède où le modèle de négociation est centralisé et où les syndicats négocient avec le patronat au niveau national, note Gérard Cornilleau, économiste à l’OFCE. Résultat : ici, le rapport de force joue plutôt en faveur des entreprises. »
Des études ont pourtant montré que les négociations centralisées et globales entre partenaires sociaux seraient favorables dans une situation similaire à celle que nous vivons actuellement, précise-t-il : « Une entreprise, sur son petit marché local ne va pas tenir compte du risque de dérapage inflationniste par exemple. Il n’y a qu’au niveau national qu’on peut le faire. »
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Spirale inflationniste
Cercle vicieux où l’inflation s’amplifie sous l’effet d’un enchaînement entre l’augmentation des prix et celle des salaires (d’où son autre nom de spirale « prix-salaires »). En effet, si les salariés demandent une revalorisation de leurs salaires, les profits des entreprises vont diminuer, ce qui va les inciter à augmenter le prix de leurs produits (on répercute les hausses de salaire).
Il ne faudrait en effet pas oublier le danger que représente une spirale prix-salaires, prévient finalement l’économiste de l’OFCE. « Si on ne maîtrise pas la spirale inflationniste, on risque de revivre le même dérapage qu’en 1983 où il avait fallu prendre le tournant de la rigueur. »
Néanmoins, reconnaît Gérard Cornilleau, « on a de la marge parce qu’au niveau du partage des fruits de la croissance, il y a eu un peu trop pour le capital ces dernières années et moins pour le travail. Il faut que les salaires augmentent au même rythme que l’indice général des prix pour que le pouvoir d’achat soit maintenu où l’on risquerait une dégradation ».
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Tournant de la rigueur
En 1983, soit deux ans après l’arrivée à l’Élysée du socialiste François Mitterand, tous les indicateurs financiers français sont dans le rouge (déficit budgétaire, déficit de la balance commerciale, déficit de la balance des paiements). Le ministre de l’Économie Jacques Delors annonce un tournant radical dans la politique du pays vers l’économie de marché : des salaires bloqués pour freiner l’inflation, la réduction des dépenses budgétaires, un plan d’austérité ou encore une augmentation des prélèvements obligatoires.
Salaires : des enjeux différents selon le type de négociation
Dans une étude qu’elle a co-menée, l’économiste Héloïse Petit rappelle que les logiques diffèrent en fonction des types de négociations. Les négociations collectives de branche représentent le lieu où la part fixe, le salaire de base, va être discutée.
Les négociations collectives d’entreprise vont ouvrir sur le montant de l’enveloppe qui sera alloué pour des hausses de salaires et des primes. Ce sont donc lors de ces deux rendez-vous qu’il peut être question de compenser l’inflation, de partager la valeur : « Là où va se décider qui va porter la hausse des coûts liés aux problèmes de distribution ou aux prix des matières premières : le consommateur avec une hausse des prix ? Les salariés avec des hausses de salaires qui seraient inférieures à l’inflation et donc une baisse des salaires réels ? », détaille la professeure d’économie au CEET. Si des hausses de salaires aboutissent, dans le cadre de ces négociations collectives, elles concernent surtout les non-cadres, les secteurs comme l’industrie, etc.
L’entretien annuel, lieu de négociation pour la variable
Dans les négociations individuelles (par exemple, lorsqu’un salarié et son employeur échangent lors de l’entretien annuel obligatoire), les personnes discutent davantage de leurs primes, de leurs objectifs, de la part variable de leur salaire. « C’est là où il est question d’enjeu RH, de motivation, de performance, d’objectifs, etc. Ce sont des logiques complètement différentes », commente encore Héloïse Petit. Pour les négociations individuelles, les principaux concernés sont les cadres, moins touchés par l’inflation.
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