Dans leurs programmes, la candidate du PS Anne Hidalgo et le candidat écologiste Yannick Jadot ont inscrit la création d’un ISF climatique. Jean-Luc Mélenchon ne revendique pas l'appellation “ISF climatique", mais soutient le retour de l’ISF en ajoutant un “volet écologique”.
Petit retour historique. L'impôt de solidarité sur la fortune, à l’époque nommé Impôt sur les grandes fortunes (IGF), a été créé en 1982. Tous les ménages possédant un patrimoine supérieur à 3,2 millions de francs sont alors assujettis à cet impôt. Le patrimoine peut être constitué de biens immobiliers (maison, appartements, immeubles), d'actifs financiers (actions, obligations) ou bien d’autres biens divers comme des œuvres d’arts, des voitures, etc.
En 2017, 375 000 ménages, dont le patrimoine est supérieur à 1,3 million d’euros, sont soumis à l’ISF. L’impôt rapporte alors près de 5 milliards d’euros de recettes pour l’État (soit 1,5% de ses recettes totales).
En janvier 2018, Emmanuel Macron décide de supprimer l’ISF, pour le transformer en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ce nouvel impôt se concentre uniquement sur les biens immobiliers. Les actifs financiers sont désormais exclus.
L’ISF climatique constituerait un rétablissement de son homologue supprimé, tout en y ajoutant une dimension climatique. Le postulat des candidats favorables à cette proposition est simple : ce sont les plus riches qui polluent le plus, il faut donc taxer ces foyers en fonction de leur empreinte carbone. Pour l’Éco vous en explique le principe.
Le but : taxer les gros pollueurs
L’idée d’un ISF climatique est développée par l’ONG Greenpeace dans un rapport en 2020. Ce type d'impôt écologique sur les plus gros pollueurs avait notamment été discuté lors de la convention citoyenne pour le climat en octobre 2019 mais ne portait pas le nom d’ISF climatique.
Les défenseurs de l’ISF climatique affirment que ce sont les foyers les plus riches qui émettent le plus de CO2.
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Selon le rapport sur les inégalités mondiales du World Inequality Lab de 2022, en Europe, les 10% les plus riches émettent quasiment six fois plus de CO2 que les 50% de la population la plus modeste.
Source : Rapport sur les inégalités mondiales, World Inequality Lab, 2022
Cet écart s’explique à la fois par le mode de vie plus gourmand en C02 des plus riches (transports, mode de consommation) et par leurs investissements financiers. Leurs portefeuilles financent en grande partie des entreprises du secteur des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), qui affichent une empreinte carbone élevée. Oxfam et Greenpeace montrent dans leurs rapports que « l’empreinte carbone du patrimoine financier d’un milliardaire français, en moyenne, s’élève à 2,4 millions de tonnes de CO2 (sur les 63 milliardaires étudiés)… Celle du patrimoine financier d’un Français moyen s’élève à 10,7 tonnes de CO2 ! »
En moyenne, l’empreinte carbone du patrimoine financier d’un ménage appartenant aux 1% les plus riches est 63 fois supérieur à ceux appartenant aux 10% les plus pauvres. Source : Greenpeace
« Nous conduirons une écologie du partage, un ISF climatique pèsera sur les ménages les plus aisés dont d'ailleurs le patrimoine émet le plus de carbone » déclare Anne Hidalgo lors de son discours d’investiture le 23 octobre dernier à Lille.
« Une bonne partie du patrimoine financier des personnes les plus riches contribue au dérèglement climatique. Il faut intégrer l’empreinte carbone des plus riches dans cet ISF pour que ça soit un ISF de solidarité et de redistribution », défend Yannick Jadot dans son programme.
La volonté des partisans de l’ISF climatique est de réintroduire une justice sociale, et de veiller à une certaine acceptabilité de l’effort climatique de tous. Les plus aisés doivent montrer l’exemple, selon eux.
Modulée en fonction de sa pollution
Dans son programme, Yannick Jadot propose de surtaxer les patrimoines de plus de deux millions d’euros (contre 1,3 million auparavant dans l’ancien ISF). Un patrimoine se situant entre deux et huit millions sera taxé à 1%.
Le taux sera relevé à 2% pour les patrimoines se trouvant entre huit millions et un milliard d’euros, puis 3% au-delà du milliard. Il y aura un système de bonus-malus, par exemple sur l'efficacité énergétique des biens immobiliers. Si ces maisons ou appartements sont mal isolés, alors la note à payer sera plus élevée. À l'inverse, si le bien immobilier possède une bonne efficacité énergétique, le montant à verser sera réduit.
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Il en va de même pour le patrimoine financier. Si vous financez des entreprises peu respectueuses de l'environnement, vous paierez davantage d’ISF. Un score carbone devrait être mis en place pour classer les différents actifs immobiliers et financiers, selon Emmanuel Cosse, porte-parole d’Europe Ecologie les verts.
Autour de 10 milliards pour l'Etat
Greenpeace évalue un gain d’environ 10 milliards d’euros pour l’Etat, dont 4,3 milliards qui correspondent au montant de l’ancien ISF, et 6,8 milliards en ajoutant la dimension climatique.
Le calcul de Greenpeace est le suivant : le prix d’une tonne de carbone est multiplié par l’empreinte carbone des ménages. Une tonne de carbone s’échange aujourd’hui pour 44,6 euros sur le marché des quotas d’émissions.
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Si l’empreinte carbone du patrimoine d’un ménage est de 150 tonnes de CO2 par an, alors il paiera 150 fois 44,6 euros d’ISF climatique, soit 6 690 euros.
Des recettes similaires à celles estimées par les candidats : Jean-Luc Mélenchon chiffre un gain de 8 milliards d’euros par an, Anne Hidalgo, 4 milliards d’euros et Yannick Jadot 15 milliards d’euros. Tous ces candidats s’accordent sur le fait que cet argent servira à financer les investissements nécessaires pour la transition écologique.
Pour plus d'efficacité, internationaliser
Il serait compliqué de mettre en place cet impôt. Pour Paul Malliet, économiste au département analyse et prévision de l’OFCE, « commencer à inclure des émissions indirectes via l'inclusion du patrimoine financier, cela me paraît très compliqué et extrêmement coûteux du point de vue administratif ».
« Si les milliardaires ont indéniablement une responsabilité dans les émissions de CO2 que leurs entreprises génèrent, ce serait plutôt au niveau de ces entreprises que le levier fiscal devrait être activé pour réduire leurs émissions » affirme Paul Malliet.
« La question des émissions est avant tout une question d’entreprise. Faire reposer l’ensemble de l’effort climatique sur les consommateurs finaux n’est pas très pertinent ». Selon lui, il est préférable de réglementer directement les entreprises et le secteur de l’intermédiation financière (fonds de pension, SICAV, etc).
Pour l’économiste, instaurer un ISF climatique « revient à prendre le problème à l’envers. Il serait préférable de taxer l’actif immobilier ou financier, à la source, au moment de son acquisition, plutôt qu'après coup ». Ainsi, les ménages aisés seront dissuadés d'acheter une maison mal-isolée ou l'action d’une entreprise polluante.
L’ISF climatique devrait plutôt être présenté comme un « outil de financement supplémentaire en faveur de la transition écologique plutôt que d'être présenté comme un outil de lutte contre la hausse des émissions de CO2 » confie l'intéressé. Pour lui, l’instauration de ce nouvel impôt est avant tout symbolique, mais n’est pas réellement efficace en termes d’émissions de CO2.
Xavier Timbeau, directeur principal de l’OFCE, ajoute qu'il faudrait que ce dispositif soit mis en place internationalement, « sinon les effets sur la baisse des émissions de CO2 seront nuls ». Si seuls les ménages français investissent poliment dans des actifs soucieux de l'environnement, alors que les Américains ou les Allemands n'ont aucune incitation à changer de comportement, la planète ne s'en portera pas beaucoup mieux.