L'essentiel
- Emmanuel Macron a largement réformé la politique fiscale sur le capital depuis le début de son premier quinquennat dans l'objectif de stimuler les investissements et la croissance (réforme de l'ISF transformé en IFI, flat tax de 30% sur les revenus du capital...)
- Dans un rapport récent France Stratégie dresse un bilan mitigé : des signaux positifs existent comme sur le retour de contribuables aisés dans l'Hexagone, mais les effets réels sur l'investissement sont difficiles à percevoir.
- Cette politique s'inspire en partie de la théorie du ruissellement (ou « premiers de cordées » dans le langage macroniste). Théorie dont les hypothèses ne sont pas validées par les études empiriques.
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Avec le vote du projet de loi de finance de 2018, le gouvernement d’Édouard Philippe a introduit des modifications profondes en termes de fiscalité portant sur le patrimoine, réforme annoncée par Emmanuel Macron au cours de sa campagne présidentielle victorieuse de 2017.
Tout d’abord, l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est remplacé par l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI). L’IFI reprend le seuil d’imposition de l’ISF : sont concernés les foyers fiscaux dont le patrimoine net (actif – passif) excède 1,3 million d’euros.
En revanche, la définition du patrimoine imposable est modifiée : alors que tous les actifs étaient concernés par l’ISF, seuls les actifs immobiliers continuent d’être assujettis à l’IFI. Ainsi, la possession de titres financiers (actions, obligations…) n’entre plus dans le patrimoine imposé par l’IFI.
Outre cette réforme qui concerne directement les grandes fortunes, la loi de finance de 2018 met en place un prélèvement forfaitaire unique (ou « flat tax ») de 30 % sur les revenus du capital.
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Impôt proportionnel & Impôt progressif
L’impôt proportionnel est une forme d’impôt qui applique le même taux de prélèvement à tous, quel que soit son revenu imposable. C’est le cas de la Taxe sur la valeure ajoutée (TVA), par exemple. Que l’on soit riche ou pauvre, son taux reste le même. À l’inverse, pour un impôt progressif, plus les revenus taxés sont élevés, plus le taux augmente. C’est ce qui est en vigueur en France pour l’impôt sur le revenu.
Objectifs investissements et croissance
Auparavant, les revenus du capital (intérêts, dividendes, plus-values sur les titres financiers…) étaient soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu (auquel s’ajoutaient des prélèvements sociaux), ce qui pouvait conduire à un taux marginal d’imposition d’un peu plus de 60 % dans certains cas.
Les deux mesures poursuivent un même but : favoriser l’investissement productif et ainsi augmenter la croissance économique. Par exemple, l’IFI ne portant plus sur la possession d’un portefeuille d’actions, cela doit inciter les plus fortunés à en détenir davantage et ainsi rendre plus aisé le financement des entreprises qui cherchent à investir. Le même raisonnement s’applique avec la « flat tax » qui rend financièrement plus intéressant de détenir des actions et/ou des obligations, soit des titres émis par les entreprises qui sont en besoin de financement (pour investir).
Ces réformes fiscales s’appuient sur l’idée du « ruissellement » (même si le président de la République préfère évoquer le rôle des « premiers de cordée ») : la moindre fiscalité permet aux plus fortunés d’avoir un revenu plus élevé qui, par le biais de leur investissement, profitera à l’ensemble de l’économie (créations d’entreprises, investissement productif, emplois).
Théorie du ruissellement (Trickle down economics)
Estime qu’une politique favorisant les revenus des plus riches, notamment par une réduction de leurs impôts, profite à toute l’économie. L’idée est la suivante : le surplus de revenu des plus riches, réinjecté dans l’économie par leurs dépenses de consommation, leur épargne (financière) et des investissements productifs, par répercussion, favoriserait l’innovation, la croissance et l’emploi. Problème, les études empiriques n’ont pas confirmé cette intuition.
Au cœur des années 1970, l’ancien Chancelier allemand Helmut Schmidt avait synthétisé cette approche avec une formule efficace : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après demain ».
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Au contraire, une fiscalité trop lourde sur le profit désinciterait à l’entrepreneuriat et aux investissements productifs, ce qui ralentirait une croissance économique profitable à tous. Elle peut également pousser les grandes fortunes à « fuir » vers des terres fiscalement moins « hostiles », provoquant une perte économique globale (et en particulier pour le budget de l’État).
Concernant les investissements, une littérature économique abondante a déjà montré que cette vision libérale ne se concrétisait pas dans la réalité, notamment parce que le supplément de revenu acquis par les plus fortunés (compte tenu de la fiscalité plus avantageuse) ne se transforme pas systématiquement en placements favorables à la croissance économique.
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Réforme de l’ISF, des retours à la maison
Dans le cas de la France, le gouvernement avançait que ces réformes fiscales du capital devaient apporter un surcroît annuel de 0,5 point du PIB et la création de 50 000 emplois. Les résultats sont-ils à la hauteur de ces prévisions ?
Pour déterminer les effets de ces mesures, l’État a créé en 2018 un « comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital » (qui dépend de France Stratégie, une institution rattachée au Premier ministre). Son dernier rapport publié en octobre 2022 permet d’établir un bilan mitigé de cette réforme de la fiscalité du capital.
Il n’est pas possible de montrer que l’adoption de l’IFI a permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises. Le rapport indique également qu’il n’est pas possible de trouver un lien significatif entre la réforme de la fiscalité du capital et une éventuelle hausse de la croissance économique, confirmant donc les résultats de la littérature économique.
En revanche, effet positif de ces mesures, depuis 2018, le nombre de retours de foyers taxables par l’IFI dépasse le nombre de départs – alors qu’on constatait l’inverse avec l’ISF, même si les effectifs concernés sont très faibles (quelques centaines seulement…).
Lecture : en 2020, 220 contribuables à l’IFI se sont expatriés fiscalement, tandis que 380 contribuables de retour en France sont nouvellement assujettis à l’IFI. Le solde des retours, nets des départs, s’établit ainsi à +160, positif pour la troisième année consécutive. Source : DGFiP
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Augmentation des inégalités
Mais conséquence fâcheuse de cette réforme de la fiscalité du capital, les inégalités économiques se sont accrues. Mécaniquement, ceux qui disposent d’un patrimoine important profitent davantage que les autres d’une fiscalité sur le capital plus avantageuse.
De fait, le rapport signale par exemple que la concentration des plus-values mobilières (comme sur les actions ou obligations) a augmenté : 3 900 foyers fiscaux (soit 0,01 % des foyers) concentrent 71 % de ces plus-values en 2020, contre 62 % en 2017. Un constat identique est effectué sur la destination des dividendes (qui profite d’abord aux « ultra-riches »).
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Pour aller plus loin
Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, données actualisées, France Stratégie, Octobre 2022
Dans le programme de SES
Terminale. « Quels sont les sources et les défis de la croissance économique ? »
Seconde. « Comment crée-t-on des richesses et comment les mesure-t-on ? »