D’un côté, un présent, synonyme de coûts et de frais de scolarité parfois élevés ainsi que de sacrifices de loisirs, de temps passé à étudier et non à travailler, donc de privation de revenus.
De l’autre, un futur, plus ou moins éloigné, mais prometteur en termes de gains économiques et sociaux, puisqu’une plus haute qualification et des diplômes se traduiront par des rémunérations plus élevées et une plus grande stabilité de l’emploi.
C’est l’analyse du choix intertemporel de l’économiste américain Gary Becker, qui a montré que la décision d’investir dans sa formation est pour un individu (et sa famille) le résultat de son libre choix, de sa plus ou moins grande préférence pour le présent.
Qui d’autre peut véritablement en décider ? Le plus qualifié est donc celui qui a accepté, en quelque sorte, de sacrifier sa jeunesse présente dans l’espérance de gains futurs.
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Investir dans son propre capital humain, disait Becker, c’est un investissement comme un autre, une source de productivité et de revenus, à l’instar de l’entreprise qui achète des biens productifs pour augmenter ses profits ultérieurs. Cette analyse est valable tout au long de sa vie.
Peu d’enfants d’ouvriers
Les stratégies familiales et individuelles qui se fondent sur l’évaluation des coûts et des avantages d’investir dans ce capital jouent donc un rôle essentiel. Cela permet de comprendre, en grande partie, la réalité des inégalités intra-générationnelles éducatives, sociales et professionnelles que connaît la jeunesse.
Le sociologue Raymond Boudon a montré que le milieu social d’appartenance rend les choix stratégiques plus ou moins possibles.
Les milieux modestes ont tendance à surévaluer les coûts et sacrifices nécessaires aux études et à en sous-évaluer les avantages, d’où la sous-représentation de leurs enfants dans les études longues et « nobles ».
En Chiffres
70 %
C’est le pourcentage des étudiants des grandes écoles sont d’origine sociale très favorisée
Les milieux favorisés font le raisonnement inverse. Aussi leurs enfants sont-ils sur-représentés dans les études longues et élitistes.
En France, plus de 70 % des étudiants des grandes écoles sont d’origine sociale très favorisée et moins de 7 % sont issus de milieux défavorisés, selon une note de l’Institut des politiques publiques parue en janvier 2021.
Seuls 16 % des diplômés de l’enseignement supérieur long sont des enfants d’ouvriers. Or le parcours scolaire détermine le devenir social, d’autant plus que les niveaux de vie résultant du cumul de capital culturel (diplômes, savoir-faire, savoir-être…), économique (revenus, patrimoine) et social (relations sociales, professionnelles…) se transmettent de génération en génération, ajoutait le sociologue français Pierre Bourdieu.
Investir dans l’éducation
L’intervention de l’État est alors indispensable et déterminante. Même les libéraux saluent cette mission d’offreur et d’investisseur dans l’éducation et la formation du capital humain.
La quasi-gratuité de l’enseignement public, y compris pour les études supérieures, assure un accès théoriquement égalitaire à l’éducation et à la formation et les aides publiques en atténuent le sacrifice, même si la gratuité ne règle pas tout.
En Chiffres
95 milliards
C’est le montant en euros des investissements de la France dans les politiques orientées vers la jeunesse et principalement dans l’éducation.
En 2020, l’effort public de la France en faveur de sa jeunesse a atteint 95 milliards d’euros, dont 74 % en dépenses d’éducation et environ 3 % en aides sociales directes et indirectes, selon le projet de loi de finances 2020.
D’après le rapport 2020 de l’OCDE sur les dépenses d’éducation, l’État en finance 87 %, les ménages environ 9 %. Mais il faut commencer tôt, explique l’économiste américain James Heckman.
Plus on dépense à un âge précoce, plus l’investissement est rentable. Il faut aussi inclure l’adaptabilité sociale, les habilités sociales de base qui favorisent les apprentissages et la socialisation, rajoute-t-il.
Amartya Sen, économiste indien, insiste beaucoup lui aussi sur les capabilités que ces investissements en capital humain offrent aux individus et qui les rendront libres de leurs choix de vie.
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Tous ces investissements sont d’autant plus fondamentaux qu’ils profitent aussi à la société tout entière. Ils sont une source importante d’externalités positives en termes de capacités d’innovation, de productivité, donc de hausse générale du niveau de vie et de réduction des inégalités, tout en auto-entretenant le potentiel de croissance économique.
Externalités positives
Effets positifs résultant d’activités économiques et sociales procurant des avantages à autrui, en termes de bien-être, sans compensation monétaire, car ces effets restent extérieurs au système de marché et de prix.
Ils sont à la base de la croissance endogène, analysent Paul Romer et Robert Lucas, économistes américains qui, dans les années 1980, l’expliquaient à partir des effets positifs produits par les compétences accumulées dans ce capital humain.
Ils estimaient aussi que l’État doit, par diverses incitations, encourager les agents économiques (ménages et entreprises) à investir également davantage en ce sens.
Cependant, quand il s’agit d’investissements publics, donc en concurrence avec d’autres enjeux (vieillesse, dépendance…), il est nécessaire d’en évaluer la pertinence, l’efficience ainsi que les coûts sociaux qu’ils permettent d’éviter.
Or de nombreuses études montrent les défaillances du modèle social français : des enquêtes PISA sur la formation initiale insatisfaisante à la protection sociale familialisée et donc mal orientée, en passant par un marché du travail statutaire, trop peu ouvert aux jeunes pas ou peu qualifiés.
PISA
Programme international pour le suivi des acquis des élèves, créé par l’OCDE. Tous les trois ans, il teste les compétences des élèves de 15 ans en lecture, sciences et mathématiques.
L’ensemble du système doit être réformé en profondeur afin que les investissements réalisés assurent à la jeunesse sa juste place dans la société.