Orientation
Journaliste, un métier riche mais précaire
Témoin des grands enjeux de la société, il rend compte de l’actualité de différentes façons. Ce métier en constante évolution nécessite polyvalence, créativité, rigueur et goût du travail en équipe.
Lucile Chevalier
© Getty Images
Tous les lundis, de 10 à 11 heures, se tient la conférence de rédaction d’AirZen radio (DAB +1). La dizaine de journalistes défendent leurs sujets et débattent. « Il n’y a qu’une signature en bas d’un reportage, mais en réalité, le travail est collectif. Chacun apporte son expertise et son regard », précise Pablo Aiquel, journaliste et délégué syndical SNJ-CGT au sein du groupe Le Moniteur.
En chef d’orchestre, le rédacteur en chef tranche. Il décide quelles seront les informations traitées et avec quel angle (comment elles seront traitées), afin de respecter un équilibre entre les sujets (économie, sociétal, géopolitique, vie quotidienne) et les modes de traitement (analyse, reportage, portrait), tout en respectant la ligne éditoriale.
AirZen se présente comme la « première radio nationale 100 % positive ». « Notre but est de montrer comment, sans en avoir toujours conscience, des individus changent le monde. Si je prends l’exemple de la guerre en Ukraine, nous l’avons traitée sous l’angle des familles accueillant des réfugiés », explique Camille Tribet, journaliste chez AirZen.
Historien du temps présent
Avant qu’elle n’arrive chez AirZen, dans la locale Chérie FM de Chartres, Camille se posait des questions sur son métier. « En plein Covid, je réveillais les gens à 6 heures avec le décompte des morts », explique-t-elle. Elle voulait autre chose, parler aussi des trains qui arrivent à l’heure et voir comment ils s’y prenaient justement pour arriver à l’heure.
À ses yeux, le journaliste doit donner à voir le monde (dans son cas, plutôt à entendre) et donner à réfléchir. « Le journaliste a une grande responsabilité dans nos sociétés », avance Maria Santos-Sainz, maître de conférences à l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA) et directrice de l’école entre 2006 et 2012. « Il est comme le disait Albert Camus, “l’historien du temps présent”. Il est le témoin des grands enjeux de nos sociétés. Il décrypte la complexité du monde afin que chacun puisse l’appréhender. »
Quelle(s) formation(s) ?
Tous les chemins et cursus mènent au journalisme. Il n’est pas non plus nécessaire d’avoir fait une des 14 écoles reconnues par la profession – 80 % des journalistes n’en ont pas fait, selon l’Observatoire des métiers de la presse. Mais c’est quand même mieux pour se former au métier et s’insérer. Pour y entrer, il faut réussir un concours.
Les licences pro (bac +3) : École publique de journalisme de Tours ; École de journalisme de Cannes ; IUT de Lannion.
Les masters (bac +5) : le CFJ, l’IFP, l’IPJ, le Celsa Sorbonne Université et Sciences Po Paris ; l’ESJ de Lille ; le CUEJ à Strasbourg ; l’IJBA à Bordeaux ; l’EJT à Toulouse ; l’EJCAM à Marseille et l’ICM à Grenoble.
Options au lycée : ce qui vous plaît, il n’y a pas de règles.
Raconter l’actualité
La conférence terminée, Camille part en reportage, flash mic2 à la main. Elle traite sept sujets par semaine et en tire, pour chacun, un article et trois « sons ». « Les journalistes aujourd’hui sont plus polyvalents et créatifs qu’à mon époque », souligne Stéphanie Lebrun, la directrice du CFJ, sortie diplômée en 1995 de l’école parisienne.
« J’ai été formée sur des médias et formats qui existaient depuis l’après-guerre : le JT, le flash, le reportage. Avec la numérisation, les vecteurs d’information se sont démultipliés : réseaux sociaux, podcasts, chaînes YouTube, sites d’information. Cela suppose de maîtriser différentes techniques (prise de sons et d’images, montage, illustrations graphiques) et logiciels. Mais aussi de savoir transmettre, je dirais même, raconter l’information sous toutes ces formes : un post, un graphique animé, un documentaire ou une BD. Car plus qu’hier, il faut capter un public, pour qui s’informer ne va plus de soi, et lui donner envie d’aller plus loin qu’une vidéo Tik Tok ». Pour elle, comme tous les interviewés, c’est le plus beau métier du monde, mais « il reste un combat ».
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Les métiers du journalisme
Ce métier recouvre différentes facettes, selon le mode d’expression, de rémunération ou type d’actualité couverte. En voici quelques-unes.
Le pigiste est un journaliste rémunéré à la « pige », c’est-à-dire à l’article, au reportage, à la photo. Il travaille pour différents titres, chaînes, radios. Il a les mêmes droits que les journalistes embauchés dans une rédaction (loi Cressard de 1974) et est présumé en CDI.
Le localier couvre l’actualité d’une ville, agglomération ou zone géographique précise. Il est généraliste et peut aussi bien couvrir un match sportif qu’une manifestation, une grève ou un événement culturel ayant lieu sur son territoire.
Le dessinateur de presse crée des croquis pour décrypter l’actualité avec humour, quitte à faire grincer des dents. Le but étant de faire réfléchir, de susciter le débat et de souligner des contradictions.
Le journaliste reporter d’images transmet l’actualité en images par la vidéo. Naguère, il travaillait exclusivement pour la télévision, aujourd’hui il travaille aussi pour les pure players, les sites internets des titres de presse, des radios.
Le secrétaire de rédaction relit les articles des rédacteurs, les corrige, en vérifie les informations et les coupe au besoin.
Vérifier les faits
« On essaie toujours de nous utiliser. Des entreprises m’appellent pour m’intimer de faire un reportage sur elles car “dernièrement, [leurs] ventes ont baissé”. Régulièrement aussi, les gens interviewés exigent de corriger le reportage avant diffusion pour qu’il soit en accord avec leur message de marque. Il faut sans arrêt expliquer en quoi ce n’est le rôle des journalistes », témoigne Camille.
Pas facile tant les frontières entre communication et journalisme se sont brouillées ces dernières années. « Les entreprises ne cherchent plus à acheter les journalistes, elles créent leur propre média. Ils reprennent les codes de l’écriture journalistique, mais il n’y a aucune recherche de la vérité. C’est du brand content3 », relève Pablo Aiquel, du groupe Le Moniteur.
Il n’y a pas que ces « faux médias ». La « fabrique du mensonge » comme l’appelle Maria Santos-Sainz de l’IJBA, avec ses agences de communication, d’intelligence économique, ses lobbys, déploie tout un panel d’armes (deepfake, études partiales) pour diffuser massivement ses « vérités alternatives ». L’école bordelaise comme le CFJ ont d’ailleurs musclé les apprentissages sur la vérification des faits, (la base du métier), en s’appuyant sur l’expertise de l’AFP4.
Le journalisme est aussi un métier précaire, dans lequel il faut défendre son territoire. « Sous couvert de métier passion, on a longtemps fait avaler aux journalistes un management toxique, un non-respect du droit du travail et des rémunérations dérisoires. C’est encore le cas. Mais je constate que les jeunes refusent de se laisser faire, ils s’informent sur leurs droits, se syndiquent, et n’hésitent plus à poser leurs conditions, à la grande surprises des DRH », conclut Pablo Aiquel, membre de la SNJ-CGT.
Sources
1. DAB + (diffusion radio numérique) est une technologie de diffusion numérique de la radio. La bande FM étant saturée, la DAB + permet à des stations de radio d’être diffusées gratuitement sur les postes radio via une autre fréquence.
2. Se présentant comme un micro, il comprend en son sein une carte numérique. Comme le Nagra numérique, il permet aux journalistes de capter et d’enregistrer un son.
3. En vidéos, en articles ou posts sur les réseaux sociaux, le brand content (contenu de marque) a pour but de servir l’image d’une marque, d’une entreprise.
4. L’Agence France presse (AFP) est une agence de presse généraliste française chargée de collecter, vérifier, recouper et diffuser l’information, sous une forme neutre, factuelle et utilisable directement par tous types de médias.
Les salaires
Les salaires médians selon l’Observatoire des métiers de la presse
Pour journalistes en CDI, le salaire brut médian mensuel : 3 614 € (+0,9 % depuis 2000)
Pour les pigistes, 1 970 € (-8 % depuis 2000)
Pour les journalistes en CDD : 1 912 € contre 2 459 € en 2000
Les débutants (1ères demandes de carte de presse)
CDI, revenu médian : 2 400 €
Pigiste : 1 686 €
CDD : 1 658 €
Pour aller plus loin
Des sites - L’Observatoire des métiers de la presse : https://metiers-presse.org
Déontologie - La Charte des devoirs du journaliste français ; La Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (connue aussi sous le nom de Charte de Munich)
Les livres : Ébène, de Ryszard Kapuscinski, en Poche ; Hier, journalistes. Ils ont quitté la profession, enquête des sociologues Jean-Marie Charon et Adénora Pigeolat, Éditions Entremises, 2021.
Les films : Spotlight de Tom McCarthy (2015), Night Call de Dan Gilroy (2014), Millenium de Niels Arden Oplev (2009), Good night and Good luck de George Clooney (2006)
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