« Nous sommes prêts à aller jusqu’à l’autonomie » lâche le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. C’était le 15 mars dernier, dans une interview accordée au quotidien Corse-Matin. En 5 ans, l’exécutif s’était bien gardé de prononcer le mot. Contrairement aux Corses aux-mêmes. Depuis décembre 2017, après la victoire des autonomistes et indépendantistes raflant la majorité des sièges à l’Assemblée de Corse, ce mot est sur toutes les lèvres.
C'est ce mot, lâché par le ministre, qui ramène le calme sur l’île à la mort du nationaliste corse Yvan Colonna, condamné pour l'assassinat du préfet Erignac et mortellement agressé en prison le 21 mars 2022. Mais « dès qu’on parle d’autonomie, les problèmes commencent », avertit Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et titulaire de la chaire « Territoires et mutations de l’action publique » de Science Po Rennes.
Plusieurs autonomies
« En devenant indépendant, un territoire devient souverain, il n’est plus géré comme avant par le pouvoir central. En revanche, plusieurs réalités coexistent derrière le terme ‘autonomie’ » ajoute Laurent Chalard, géographe et enseignant à l’université de la Sorbonne. Un mot, deux significations.
Le ministre de l’Intérieur, M. Darmanin, représentant de l’Etat, se réfère à la Polynésie Française. « En Polynésie, l'assemblée a la faculté de faire voter des ‘lois du pays’ sur des sujets non régaliens comme le logement, l’emploi, la formation. C’est plus de pouvoir que n’en jouissent les Corses, mais cela reste néanmoins limité. Ces ‘lois du pays’ sont soumises au contrôle du Conseil d’État français. Il s’agit plus d’un pouvoir réglementaire que d'un vrai pouvoir législatif » explique Romain Pasquier de Science Po Rennes.
Pour sa part, le président de l’exécutif corse, Gilles Simeoni, porte-parole de son territoire, prend pour modèle le statut d’autonomie de l’archipel des Açores. En effet, la carotte "autonomie" brandie par l’exécutif ne répond pas aux principales revendications des autonomistes corses qui souhaitent une reconnaissance officielle du peuple et de la langue corses comme l’ont obtenu les insulaires des Açores et de Madère.
La référence des autonomistes au Portugal est habile. Cet État, comme l’État français, est un des plus centralisé d’Europe. Et pourtant, le premier fait une exception pour ses îles, il partage le pouvoir avec elles. A l’État le régalien (justice, police, armée), aux îles la vraie gestion de l’économie, de la culture, du social, de l’aménagement et du transport. En outre, ces îles lèvent leurs impôts et taxes, ce qui leur permet d’avoir une autonomie financière.
Ce modèle est loin d’être exceptionnel en Europe. A l’exception de la Corse et des îles grecques, toutes les îles d'Europe disposent d’une large autonomie pour gérer les affaires non régaliennes. « Le développement économique est plus compliqué sur une île. Elle est au milieu de l’eau donc isolée géographiquement. Il faut faire venir de l’extérieur les ressources dont elle ne dispose pas sur son territoire. L’autre conséquence de cet isolement est l’ancrage sur les îles d’une identité culturelle forte. Cette situation particulière justifie qu’on leur octroie un statut particulier » explique le chercheur Romain Pasquier.
Un calcul économique risqué
Mais en cas d'autonomie, les autonomistes corses devront faire face à une baisse des financements étatiques.« La Corse, comme les territoires d’Outre-mer, bénéfice énormément des redistributions de l’argent de l’Etat central, l’économie résidentielle y étant dominante. En cas d'autonomie, l’État pourrait décider de verser moins d’argent, estime le géographe Laurent Chalard. Cela contribuerait à une dégradation des services publics et des infrastructures, et à une moins bonne redistribution depuis le continent».
En Corse, en effet, « la part des services publics et administrés, comme la santé et l’enseignement, est très supérieure à la moyenne nationale » analyse Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. De quoi rendre la question de leur financement cruciale si l’Etat se désengage.
« L’industrie manufacturière y est très peu présente. La part des services spécialisés, souvent à haute technicité, y est également inférieure à la moyenne nationale. La petite agriculture artisanale de la Corse apporte peu de valeur ajoutée, contrairement aux grandes exploitations de la partie continentale du pays » poursuit Eric Dor. Bref, la Corse vit surtout du tourisme, des loisirs, du commerce et de la construction. Pas sûr que cela suffise.
Mais dans le scénario d'un désengagement brutal, le risque serait également pour l’État français. Les réseaux criminels pourraient mettre l’économie corse sous leur coupe, comme en Sicile, et détourner à leur profit l’argent public.
Surtout qu’il existe des scénarios dans lesquels l’Etat comme la Corse pourraient sortir grandis ensemble de l’autonomie. « La Corse dispose de beaucoup d’atouts : des produits agricoles assez exceptionnels, de très bons vins et fromages, un environnement préservé qui attire de nouveaux résidents, c’est aussi le territoire le plus boisé de France, déroule Romain Pasquier, directeur des études au CNRS. En s’auto-gérant et en jouant sur la fiscalité (impôts sur les sociétés et droits de mutation notamment), elle aurait les moyens d’attirer des entreprises, de valoriser son économie et de développer certaines activités comme le maritime ou l’aéroportuaire ».
Romain Pasquier conclut : « Le dossier Corse restera une épine dans le pied du nouveau président, quel qu’il soit. Les autonomistes corses revendiquent une co-officialité de leur langue et une reconnaissance du peuple corse. Deux lignes rouges pour l’État ».