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La décroissance, solution ou illusion ?
Politique économique
La décroissance, solution ou illusion ?
Sélection abonnésFace au mur environnemental vers lequel nous fonçons à grande vitesse, ses défenseurs clament qu’elle est la seule solution. C’est oublier un peu vite les contraintes que ce choc économique et anthropologique ferait peser sur les individus, leurs modes de vie et leurs libertés individuelles.
Clément Rouget
© Midjourney
« Il faut préparer notre pays à + 4 °C. » La sortie médiatique du ministre de la Transition écologique n’est pas passée inaperçue. Défaitiste, Christophe Béchu ? Il rétorque : « Se préparer à ça, ce n’est pas le souhaiter, au contraire, c’est sortir du déni. » Statistiquement, il n’a pas tort d’anticiper un tel scénario. Le monde se dirige vers un réchauffement aux alentours de 3 °C d’ici 2100, selon le GIEC. En France, il pourrait même dépasser ce seuil : le thermomètre pourrait grimper de 3,8 °C d’ici la fin du siècle si l’humanité ne commence pas à réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. Concrètement, dans une France à +4 degrés, les pics de chaleur pourraient chaque année dépasser les 50 °C pendant plusieurs jours durant l’été, les cours d’eau verraient leur débit diminuer de 10 à 40 %…
Il y a donc urgence. Faut-il, pour atteindre ce but, sacrifier la croissance économique et organiser une baisse de son indicateur économique phare, le PIB ? Pour les décroissants, ce virage est impératif. « Nous n’avons pas réussi à faire baisser nos empreintes écologiques suffisamment pendant des périodes de croissance. La croissance verte est une illusion. Face au mur écologique dans lequel nous fonçons, il va falloir explorer une autre voie: celle de la décroissance », explique sur le ton de l’évidence l’économiste et penseur décroissant Timothée Parrique.
« Il faut préparer notre pays à + 4 °C. » La sortie médiatique du ministre de la Transition écologique n’est pas passée inaperçue. Défaitiste, Christophe Béchu ? Il rétorque : « Se préparer à ça, ce n’est pas le souhaiter, au contraire, c’est sortir du déni. » Statistiquement, il n’a pas tort d’anticiper un tel scénario. Le monde se dirige vers un réchauffement aux alentours de 3 °C d’ici 2100, selon le GIEC. En France, il pourrait même dépasser ce seuil : le thermomètre pourrait grimper de 3,8 °C d’ici la fin du siècle si l’humanité ne commence pas à réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. Concrètement, dans une France à +4 degrés, les pics de chaleur pourraient chaque année dépasser les 50 °C pendant plusieurs jours durant l’été, les cours d’eau verraient leur débit diminuer de 10 à 40 %…
Il y a donc urgence. Faut-il, pour atteindre ce but, sacrifier la croissance économique et organiser une baisse de son indicateur économique phare, le PIB ? Pour les décroissants, ce virage est impératif. « Nous n’avons pas réussi à faire baisser nos empreintes écologiques suffisamment pendant des périodes de croissance. La croissance verte est une illusion. Face au mur écologique dans lequel nous fonçons, il va falloir explorer une autre voie: celle de la décroissance », explique sur le ton de l’évidence l’économiste et penseur décroissant Timothée Parrique.
Un mot très politique
« Réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique, planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être. » Pour Timothée Parrique, la définition de la décroissance est parfaitement claire. Seulement, il y a des astérisques.
Dans sa pensée, la décroissance n’est qu’une étape de transition, un ralentissement nécessaire avant d’aller vers une société de post-croissance, c’est-à-dire une « économie stationnaire », qui peut croître, dans le cadre des limites environnementales.
Mais pour Serge Latouche, un des principaux philosophes du mouvement et anticapitaliste notoire, c’est avant tout un « mot obus » à la fonction d’abord provocatrice et politique. Surtout, la décroissance, chez beaucoup de ses théoriciens, est aussi un concept de théorie politique, portant la volonté de transformer radicalement la société et d’entrer dans un monde « post-capitaliste ». Bref, un projet bien au-delà de la simple sobriété renforcée.
L’auteur du livre à succès Ralentir ou périr (2022) mise sur deux aspects pour réduire cette empreinte écologique : d’un côté, faire baisser la consommation à travers la sobriété et de l’autre, mettre en œuvre une baisse de la production. « Prenons l’exemple de l’alimentation. La viande constitue le premier poste d’émissions de l’empreinte carbone de l’alimentation. Manger moins de viande est la stratégie la plus rapide et efficace pour décarboner notre régime alimentaire. Et si l’on consomme moins, il faudra aussi moins produire, et donc faire moins d’élevage. »
Appliquez cette recette de sobriété et dé-production à tous les secteurs émetteurs de CO2 (transport, logement, énergie, etc.) et vous obtenez un fort ralentissement économique, en un mot : une décroissance.
Source : Global carbon project
« La décroissance, comme la croissance, est un phénomène agrégé. L’augmentation du PIB ne signifie pas que toutes les entreprises et tous les secteurs d’une économie ont crû d’une année sur l’autre. La décroissance, ce serait la même chose: certains secteurs vont se développer, d’autres ralentir, et d’autres disparaître. De la même manière qu’après une année de croissance l’économie monétaire a grossi, elle se retrouvera plus petite après une phase temporaire de décroissance. »
L’hypothèse des décroissants est simple : puisque le modèle économique actuel a échoué – les émissions de CO2 du secteur énergétique ont par exemple atteint un nouveau record en 2022 –, décroître permettra d’accélérer la baisse des pressions sur l’environnement. Le storytelling est séduisant. D’ailleurs, il convainc : 54 % des Français estiment que pour lutter contre le changement climatique, il faut changer nos habitudes de vie et aller vers la décroissance1.
Le découplage absolu entre CO2 et croissance, une quête inatteignable ?
« Historiquement, il y a une corrélation très forte entre les émissions de gaz à effet de serre et la croissance économique des pays avec, pour un point de croissance, un point d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre », reconnaît l’économiste Éric Chanay, conseiller à l’institut Montaigne. « La question du découplage entre ces deux courbes est cruciale : est-ce qu’on peut réduire les émissions sans réduire la croissance ? Et la bonne nouvelle, c’est que oui : un grand nombre de pays riches (France, Royaume-Uni…) vivent maintenant une croissance compatible avec une baisse des émissions de gaz à effet de serre depuis un peu plus d’une dizaine d’années. » Seulement, la vitesse de croisière, même dans ces pays, reste insuffisante, pour contribuer à limiter le réchauffement climatique à 1,5°.
*Sont comptabilisées toutes les émissions dont les Français sont responsables (les «émissions de consommation»), pas seulement celles générées sur leur territoire («émissions territoriales»)
Autre problème, un découplage absolu complet, où le PIB et l'ensemble des dommages environnementaux - (biodiversité, eau...) et pas seulement les émissions de gaz à effet de serre - évolueraient en sens opposé, semble hors d’atteinte et sa quête constitue une dangereuse illusion pour les décroissants. Ce discours a une base scientifique solide : les preuves empiriques accumulées tendent à démontrer l’improbabilité d’un tel découplage (en raison de phénomène comme l'effet rebond par exemple), du moins dans les délais impartis, pour répondre à l’urgence climatique.
Les limites de la décroissance
Seulement, il y a un malentendu. « Les gens pensent que la décroissance va se réduire à un peu de sobriété. Parce que ses avocats minimisent systématiquement l’impact qu’elle aura sur la vie des gens et les contraintes qu’elle leur imposerait. La réalité, c’est qu’une partie considérable de notre capacité de consommation et de pouvoir d’achat serait amputée », explique l’économiste hétérodoxe David Cayla. Les décroissants ripostent en expliquant que l’effort reposera surtout sur les plus aisés. En réalité, au vu des ordres de grandeur nécessaires, les riches ne seront pas les seuls à souffrir.
« Prenons le cas d’une baisse de 30% du PIB. Concrètement, si on considère que le niveau d’investissement et de service public doit être constant, alors ça signifie que cette baisse doit être financée par la consommation privée, c’est-à-dire les revenus privés. Cela signifierait une division durevenu des ménages par deux, poursuit le membre des Économistes Atterrés. Et si on veut développer davantage les services publics et le niveau d’investissement, alors on le divisera par trois. Concrètement, les gens se retrouveraient avec 800 euros par mois en moyenne, en dessous du seuil de pauvreté actuel. »
Le PIB a bien des défauts dans sa mesure de l’activité économique, mais sa réduction signifierait également une baisse des recettes fiscales de l’État. Comment, dès lors, financer les retraites, l’éducation, la santé, les investissements verts ? Que deviendraient les rendements de l’épargne et, in fine, toutes les activités de prêts, de la banque à la finance dans un monde sans croissance ?
Qu’en serait-il de l’emploi dans une multitude de secteurs concernés par les réductions de production ? La réponse avancée par les décroissants : une baisse massive du temps de travail. Le choc économique et même anthropologique serait dans tous les cas majeur.
Sans compter que la crise environnementale appelle des solutions globales. La France peut bien se lancer seule dans la décroissance, les émissions de CO2 resteront mondiales. Dès lors, comment entraîner, ne serait-ce que les autres pays développés dans une réduction volontaire de leur production et de leur consommation ?
Et si la crise environnementale est majeure, ce n’est pas la seule. Dans un monde où une guerre se déroule sur le sol européen, que deviennent nos forces armées et la dissuasion nucléaire ? En résumé, une mise en application de la décroissance injectera sur tous les plans (sociaux, politiques, géopolitiques, institutionnels…) une large dose d’incertitude dans un monde déjà incertain.
Trou noir de la réflexion prospective
« La vraie question, c’est de savoir comment on passe du point A au point B en tenant compte de ce que sont les institutions actuelles, c’est-à-dire les modes de croyance et les modes de fonctionnement, analyse l’économiste David Cayla. Les décroissants le disent très bien : il faut changer toute la société. Mais changer toute la société, comment on fait ? Il faut changer les mentalités, les structures économiques mondiales, réformer toutes nos institutions… Et il ne s’agit pas seulement de le décréter. Il faut dire comment on le fait. Et, là, il y a un impensé incroyable, un vrai trou noir de la réflexion prospective ».
Voilà peut-être pourquoi, si la décroissance peut séduire comme concept dans les enquêtes d’opinion, elle ne trouve presque aucun débouché politique. Sa représentante la plus en vogue est Delphine Batho, ancienne députée et ministre socialiste. Candidate à l’élection présidentielle de 2022, elle a échoué au premier tour des primaires écologistes, réunissant seulement 23 000 voix. Face à une urgence climatique immédiate et bien réelle, comment un mouvement si loin du pouvoir (c’est vrai dans toutes les démocraties libérales) pourrait-il constituer une solution au problème ?
Utopie ou politique publique ?
« Les décroissants vivent dans un monde imaginaire où il suffirait de décrire un monde souhaitable pour qu’il advienne », écrit sur son blog l’économiste spécialiste des inégalités Branko Milanovic. « La prochaine étape de cette pensée semi-magique consiste à convaincre les gens qu’ils poursuivent à tort le veau d’or de la richesse et que des vies plus modestes seraient meilleures pour eux. » Nombreux sont les Français d’accord pour fermer le robinet pendant le brossage des dents, mais ils le sont moins pour imposer des quotas sur le nombre de vols en avion ou pour mettre en place une réduction contrainte de la consommation de viande. « Comment obliger les gens à consommer moins ?, se questionne l’économiste. En temps de guerre, cela se fait par le rationnement. Évidemment, on pourrait introduire des coupons de viande et d’essence, mais les décroissants savent qu’une économie de guerre en temps de paix ne serait pas politiquement acceptable, alors ils font juste le calcul du panier de course nécessaire, montrent qu’il est compatible avec les “limites planétaires” et ils s’en tiennent là. Ce n’est pas sérieux. »
La perspective de la décroissance pose un dernier problème : rien n’établit empiriquement qu’elle est plus souhaitable que l’état actuel de nos économies et nos sociétés. « On ne prouve pas l’efficacité d’une molécule pharmaceutique en démontrant que les molécules alternatives sont inefficaces », explique l’économiste Olivier Simard-Casanova, dans sa newsletter de vulgarisation, L’Économiste Sceptique. « La décroissance n’ayant jamais été implémentée nulle part, il n’existe pas de données pour mesurer son efficacité. Des phénomènes proches, comme les récessions, pourraient offrir des mesures certes imparfaites. Mais d’après ses partisans, cette méthode pourtant courante n’est pas possible. Résultat, les propriétés qu'ils prêtent à la décroissance sont spéculatives. »
Même Timothée Parrique, dans sa thèse de 800 pages sur le sujet, reconnaît que la décroissance est avant tout un cadre conceptuel. « Il est peut-être vrai que l’élaboration des politiques n’est pas le point fort de la décroissance pour le moment, mais le fait qu’un travail politique approprié reste à faire ne signifie pas qu’il ne peut pas être fait et ne le sera jamais. »
D’aucuns argueront que l’urgence climatique exige de l’audace et que, de toute façon, c’est la décroissance voulue maintenant ou l’effondrement écologique subi plus tard. D’autres se méfieront. Ils se souviendront notamment du bilan apocalyptique des expériences post-capitalistes du XXe siècle, en URSS ou au Cambodge, par exemple.
Au programme de Spé SES
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