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La France doit-elle craindre le déclin économique ?
Politique économique
La France doit-elle craindre le déclin économique ?
Sélection abonnésLa perte de poids et d’influence économique de l'Hexagone peut se lire dans de nombreux indicateurs. Certaines tendances sont préoccupantes, mais les motifs d’optimisme sont tout aussi réels. Le pays continue de compter, tant au niveau macroéconomique qu’à travers ses très grandes entreprises.
Yves Adaken
© Cédric Dhaenens / Unsplash
Il y a 18 ans, l’historien et économiste Nicolas Baverez publiait La France qui tombe, qui dressait le constat clinique d’un pays en déclin. Ce succès d’édition réactivait aussitôt une controverse récurrente dans une nation toujours prompte à se juger à l’aune de sa grandeur passée.
De fait, la polémique dure encore aujourd’hui, que ce soit dans le débat politique, à la veille de l’élection présidentielle, ou dans l’esprit public. Selon un récent sondage Ipsos, 78 % de nos compatriotes pensent que la France est en déclin. Les chiffres, apparemment, justifient ce pessimisme.
Le PIB est passé du cinquième rang mondial en 1980 au dixième aujourd’hui en données PPA (corrigées du pouvoir d’achat). Le PIB par habitant a dégringolé du cinquième au vingt-cinquième rang. Et le poids dans l’économie de la planète a chuté de 4,5 % à 2,3 %.
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Parité de pouvoir d'achat (PPA)
La PPA est une méthode statistique utilisée pour comparer des données entre des pays dont les monnaies n’ont pas la même valeur. Elle tient compte du fait que la même quantité d’argent ne représente pas la même richesse dans des pays différents. On l’utilise pour comparer des données telles que le PIB ou le PIB par habitant.
Mais ce déclassement ne correspond pas seulement à un pays qui abrite désormais moins de 1 % de la population du globe. L’écart avec les économies les plus riches s’est accentué. En 2020, le PIB français représentait 82 % de celui de l’Allemagne et 60 % de celui des États-Unis, contre respectivement 90 % et 85 % en 2005.
Certains détails noircissent encore le tableau. La France accuse en effet un déficit commercial quasi croissant depuis 2003. Sa dette a doublé en moins de 20 ans, de 60 % à 120 % du PIB. Quant à ses habitants, ils souffrent d’un chômage de masse endémique dont le taux, supérieur à la majorité des pays européens, ne descend que rarement sous les 8 %.
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Balance commerciale
Différence entre le nombre de biens exportés et le nombre de biens importés. Si la valeur des exportations dépasse celle des importations, on dit qu’il y a excédent commercial ou que la balance commerciale est excédentaire ; si les importations sont supérieures aux exportations, le pays a un déficit commercial ou sa balance commerciale est déficitaire.
L’avenir, enfin, s’annonce sombre en raison d’un système éducatif en crise, qui peine à apprendre les maths à des élèves de quatrième dont les performances positionnent la France… à l’avant-avant-dernier rang de l’OCDE (enquête Timss de 2019) !
Une puissance dans les services
On pourrait continuer d’aligner les comparaisons internationales déprimantes. Mais des faits tout aussi têtus décrivent une autre réalité. Malgré l’accélération de la mondialisation, la France affiche des performances économiques qui surpassent son faible poids démographique.
Notre pays était ainsi, en 2019, le sixième exportateur de marchandises de la planète et le quatrième exportateur de services, avec respectivement 3 % et 4,7 % des échanges. Beaucoup de clients apprécient donc encore le « made in France ». Et beaucoup de touristes apprécient notre pays, le plus visité au monde.
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Ils ne sont pas les seuls. Les investisseurs aussi. Pour la deuxième année consécutive, en 2020, l’Hexagone était le pays européen ayant attiré le plus de projets d’investissements étrangers, selon le baromètre du cabinet EY. Il était par ailleurs numéro deux sur le Vieux Continent pour les investissements dans les startups (derrière le Royaume-Uni) et pour le dépôt de brevets (derrière l’Allemagne), domaine où il se classe au cinquième rang mondial.
Les IDE correspondent à l’achat ou à la création d’entreprises à l’étranger par des entreprises françaises. Les revenus des IDE recouvrent essentiellement des versements de dividendes et d’intérêts des filiales étrangères à leurs maisons mères hexagonales.
De quoi apporter des bémols à son manque supposé d’attractivité ou d’innovation. Quant à l’avenir, la France peut compter sur la démographie la plus dynamique d’Europe.
Que retenir de ces deux visions de la France ? Qu’il est possible, en choisissant ses indicateurs, d’appuyer des récits radicalement opposés sur sa puissance économique. Et qu’il faut donc garder son esprit critique devant tout chiffre ou classement lancé à l’appui d’une thèse un peu trop univoque. Ce qui est souvent le cas des « déclinistes ».
Comptes et mécomptes de l’industrie
Pour beaucoup d’entre eux, la désindustrialisation est la manifestation la plus éclatante du déclassement français. Résultat de politiques économiques anti-compétitives et de choix managériaux promouvant des « entreprises sans usines », à l’instar du patron d’Alcatel, Serge Tchuruk, au tournant des années 2000.
De fait, entre 1974 et 2018, les branches industrielles ont perdu près de la moitié de leurs effectifs pour ne plus représenter que 10 % des emplois. Et le poids des activités manufacturières dans la valeur ajoutée a chuté de 16,1 % en 2000 à 11 % en 2020. La France se situe désormais bien en deçà de la moyenne européenne (15,6 %). Et très loin de l’Allemagne (22 %). Mais faut-il s’arrêter à ces données ?
16 %
La part de l'industrie (prestataires de service compris) dans l'emploi en France.
La réponse est non. D’une part, parce que le périmètre de l’industrie a beaucoup changé ces dernières décennies. De nombreuses activités de services (informatique, télécommunications, services d’information…) partagent des caractéristiques avec les activités industrielles. Et de nombreux prestataires de services travaillent pour l’industrie.
On peut ainsi rajouter 1,5 million d’emplois au halo industriel et monter sa part à 16 % des emplois. Cela n’inverse pas la désindustrialisation, mais ça la relativise.
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Phénomène de déclin industriel et donc réduction de la part de l’industrie, à la fois dans l’emploi et dans la production globale.
La comparaison avec l’Allemagne n’est pas non plus pertinente. Notre voisine est « un pays atypique dans une tendance séculaire à la désindustrialisation qui touche l’ensemble des pays riches » , explique Vincent Vicard, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). « La désindustrialisation est certes accélérée en France, mais elle l’est tout autant aux États-Unis ou au Royaume-Uni, que l’on ne qualifierait pas de pays en déclin d’un point de vue économique. »
De plus, le modèle allemand n’est pas reproductible. Le maintien d’une industrie puissante est intimement lié à des excédents commerciaux qui se sont envolés dans les années 2000 suite à des décisions macroéconomiques (pression sur la demande intérieure et les salaires).
Or non seulement ces excédents posent problème aux partenaires de l’Union européenne. Mais tous les pays ne peuvent pas afficher ensemble des excédents.
Pour Vincent Vicard, « la France ne peut décider seule de regagner des parts de marché quand la répartition correspond à des phénomènes macroéconomiques qui ne sont pas forcément le reflet d’un manque de compétitivité ou de productivité du secteur manufacturier français ».
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La compétitivité des pays réside dans leur capacité à acquérir ou maintenir des parts de marché à l’étranger. Elle dépend en grande partie de facteurs liés aux prix, qui eux-mêmes dépendent des coûts de production, comme les coûts salariaux unitaires (coût du travail par unité produite) et des taux de change éventuels.
La meilleure preuve, selon lui, c’est l’atonie des exportations de la France alors que l’écart de compétitivité en matière de coût du travail s’est réduit avec l’Allemagne au cours de la dernière décennie. Il faut donc trouver des explications dans le « hors coût ». Certains mettent l’accent sur le manque d’ETI exportatrices, capables de reproduire le succès des « Mittelstand » allemandes.
Des multinationales à deux faces
D’autres pointent la trop grande puissance des multinationales françaises. En 2019, avant la pandémie, la France comptait 31 représentants dans le top 500 des plus grandes entreprises mondiales du magazine Fortune. Plus que l’Allemagne et le Royaume-Uni. Et même plus que les États-Unis, si on rapporte leur nombre à la population.
Via leurs filiales, ces groupes emploient près de six millions de salariés à l’étranger où ils réalisent plus de la moitié de leur chiffre d’affaires. En retour, celles-ci leur reversent des dividendes et des intérêts (88,5 milliards en 2019). Un pactole bien supérieur au déficit commercial de la France et indispensable pour rééquilibrer un peu notre balance des paiements.
Une puissance agricole à l'autotonomie alimentaire menacée
Avec une production qui s’élève à 73 milliards d’euros en 2020, la France conserve apparemment haut la main son titre de première puissance agricole européenne devant l’Allemagne (56 milliards), l’Italie et l’Espagne (52 milliards). Le problème, c’est que cette suprématie ne se traduit pas par des exportations dans toutes les filières.
Sa part du marché mondial est passée de 8 % en 1990 à 4 % aujourd’hui, soit moins que l’Allemagne et que les Pays-Bas. Pire, le traditionnel excédent commercial a été divisé par deux entre 2011 et 2017, seulement sauvé par les ventes de vin et de spiritueux.
Sans cela, la France serait déficitaire. Autrement dit, son autonomie alimentaire ne tient qu’à un fil. Un fil déjà cassé depuis 2014 si l’on prend en compte les produits transformés de l’industrie agro-alimentaire.
Cette puissance « corporate » exceptionnelle a son revers. En investissant massivement à l’étranger, les multinationales françaises ont fait le choix de délocaliser au détriment des activités de production en France et des exportations, notamment dans le secteur automobile, devenu importateur net.
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À l’inverse, les grands groupes ont conservé sur le territoire des activités de siège, de recherche et développement (R & D), ainsi qu’une capacité d’exportation de services qui correspond à l’avantage comparatif français.
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Recherche et développement (R&D)
La recherche et le développement regroupent les activités qui améliorent les connaissances et compétences ainsi que leur utilisation pour de nouvelles applications dans l'entreprise.
Reste à savoir comment réancrer les multinationales françaises et les faire participer à la réindustrialisation du pays, qui fait désormais consensus. Notamment dans les nouveaux secteurs de l’économie décarbonnée. Certains veulent croire que le jeu est aujourd’hui plus ouvert. « La position économique de la France sur le champ international s’est améliorée ces 10 dernières années », estime Marc Lhermitte, spécialiste de l’attractivité des territoires chez EY. « Le baromètre s’est réorienté dans le bon sens. » =
La France au top du soft power
Voilà qui en surprendra plus d’un. En 2019, la France a été le pays le plus influent du monde, selon le classement « Soft Power 30 » établi par le cabinet de conseil stratégique américain Portland, en collaboration avec le centre de diplomatie publique de l’université de Californie du Sud. Elle était déjà numéro un en 2017 et numéro deux en 2018, derrière le Royaume-Uni, signe d’une belle constance.
Ce palmarès évalue la capacité d’influence et de persuasion de 30 nations, autrement dit leur « puissance douce », à l’exclusion de tout moyen militaire, au travers de l’action de leur État et de leurs acteurs politiques, économiques, culturels et sportifs sur la scène internationale.
L’étude compile une grande variété de données : nombre de touristes, d’articles scientifiques publiés, d’ambassades, de succès musicaux ou sportifs, ou encore indice de développement humain du pays… Pas moins de sept sous-critères sont établis au final.
La France est distinguée notamment pour son engagement diplomatique (premier rang), son rayonnement culturel (troisième), sa bonne image internationale (troisième) mesurée par sondage, ou sa réputation académique (huitième).
Un classement a toujours ses limites. Celui-ci a toutefois le mérite de montrer que la France occupe toujours une place particulière en matière géopolitique et qu’elle pèse beaucoup plus que ne le laisserait imaginer sa population ou son PIB.
Sa langue devrait devenir la troisième la plus parlée au monde grâce à la croissance démographique africaine. Et son réseau diplomatique n’est devancé que par celui des États-Unis et de la Chine.
On aurait tort de se gargariser, car les positions de ce soft power français s’érodent, notamment dans les domaines d’avenir que sont l’éducation et la recherche publique. La faute, en partie, à une même crise d’attractivité et à des salaires de base beaucoup moins élevés que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Peut beaucoup mieux faire.