L’école et l’enseignement supérieur
Dis-moi d’où tu viens, je te dirai quelles études tu feras… En France, cet adage n’est pas démenti par les faits. Loin de réduire les inégalités, l’école les cristallise. Elles se manifestent dès le primaire : en CE2, les élèves les moins favorisés obtiennent une note moyenne de 57 sur 100 en français et de 58 en mathématiques, pendant que le quart issu des milieux les plus favorisés atteint respectivement 87 et 85 (ministère de l’Éducation nationale, 2017). Et ça ne s’arrange pas au collège.
Le taux d’accès en seconde générale ou technologique est deux fois plus élevé pour les élèves d’origine favorisée (84,8 % contre 42,4 %) que pour les élèves d’origine sociale défavorisée. Dans l’enseignement supérieur, les écarts se creusent encore. Les enfants de cadres supérieurs sont 2,9 fois plus nombreux que les enfants d’ouvriers parmi les étudiants alors qu’ils sont presque deux fois moins nombreux dans la population totale. En doctorat, le cycle le plus élevé des études universitaires, les enfants d’ouvriers ne forment que 7 % des effectifs.
Les pratiques culturelles et l’usage d’Internet
Lecture, cinéma, théâtre, Web… La culture au sens large n’est pas consommée de la même manière selon les catégories sociales. Selon les données 2012 de l’Insee (les dernières disponibles) 63 % des cadres supérieurs sont allés au théâtre au moins une fois dans l’année contre 23 % des ouvriers ; 80 % des premiers ont lu au moins un livre, contre 31 % des seconds. Les plus riches vont 2,5 fois plus souvent au cinéma que les plus pauvres.
L’accès et l’usage d’Internet sont également très marqués socialement : 93 % des hauts revenus sont équipés d’un ordinateur, contre 66 % des bas revenus et 98 % des cadres supérieurs effectuent par exemple des démarches administratives en ligne, contre 69 % des ouvriers.
L’illettrisme numérique – le fait de ne pas pouvoir utiliser Internet dans la vie quotidienne, pour accomplir des démarches, trouver une information, réserver un billet de train – devient un handicap social, au même titre que l’illettrisme « ordinaire » (qui n’a pas disparu par ailleurs). En 2018, on estimait que 6,4 millions de personnes n’utilisaient jamais Internet, soit 11 % des Français. Parmi les personnes qui n’ont aucun diplôme, il s’agit d’une personne sur deux.
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La représentation politique
Les élus issus de milieux populaires sont moins nombreux que ceux issus de milieux aisés. Les élections législatives de juin 2017 qui ont suivi l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée ont certes vu la part des femmes augmenter sensiblement dans l’hémicycle, mais pas la mixité sociale. On ne compte ainsi aucun ouvrier sur les bancs du Palais Bourbon et seulement 4,6 % d’employés – deux catégories qui représentent la moitié de la population active.
En revanche, 76 % des élus, soit 4,4 fois plus que leur part dans la population active, sont cadres ou appartiennent aux professions intellectuelles supérieures. Les mandats locaux, très ancrés dans les territoires, sont à peine plus représentatifs : 31,6 % des cadres supérieurs sont conseillers régionaux, 22,6 % sont conseillers départementaux, 14,7 % conseillers communautaires et 11,8 % maires, alors qu’ils comptent pour 9,3 % dans l’ensemble de la population. Les agriculteurs exploitants forment, eux, à peine 1 % de la population, mais 13,7 % des maires, notamment en raison du nombre très important de communes rurales. À l’opposé, les employés et les ouvriers, dont la part est respectivement de 15,8 % et de 12,1 % dans la population, sont très peu présents dans les instances locales.
Les villes plus inégalitaires que les campagnes
Contrairement à certaines représentations, les villes sont bien plus inégalitaires que les campagnes. Paris est la ville qui compte le plus de pauvres (340 000 contre 200 000 à Marseille). Avec 45,5 % de pauvres, Grigny, dans la banlieue sud de Paris, et Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, sont les deux communes où le taux de pauvreté est le plus élevé en France, parmi les villes de plus de 10 000 habitants selon les données 2015 de l’Insee. Ce niveau est trois fois plus élevé que la moyenne nationale (14,2 % en 2015).
Certaines villes moyennes comme Nîmes, où l’on compte plus de 20 000 pauvres, concentrent des populations fortes de personnes défavorisées. Ainsi, de plus en plus, les inégalités se concentrent dans les grandes villes, alors que les communes périurbaines ont tendance à rassembler une population plus homogène socialement. Après les grandes villes, les plus modestes vivent prioritairement dans des milieux ruraux isolés, loin des agglomérations, ce qui renforce encore leur sentiment d’exclusion et d’isolement.