Au fil des derniers mois, une petite musique monte, qui est en passe de devenir le tube de l’année : il faut réduire d’urgence la dette publique. Le 20 avril, le Ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, veut « accélérer le désendettement de la France » en ramenant le montant de la dette à 108,3 % du PIB à horizon 2027, contre plus de 112,5 % aujourd’hui.
Si la question revient tout en haut de l’agenda politique et économique, c’est que le débat sur la soutenabilité de cette dette agite économistes et politiques depuis plusieurs mois. La faute à l’ardoise du "quoi qu’il en coûte", combinée à la hausse des taux directeurs décidée par la Banque Centrale Européenne (BCE). La charge de la dette (les intérêts à payer aux créanciers), gonflée par la remontée des taux, est estimée à 71,5 milliards d’euros d’ici 2027, ce qui en ferait le premier poste de dépenses de l’État. Mais les moyens proposés pour réduire la dette et surtout le niveau de la nécessité de le faire, ne font pas consensus.
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Selon les chiffres de l’INSEE publiés le 30 juin 2023, le montant de la dette française s’élève à 112,5 % du PIB, contre 111,8 % à la fin décembre 2022, soit un montant de 3013,4 milliards d’euros en valeur absolue : le seuil symbolique de 3000 milliards a été franchi. Le 19 juin, la présentation du prochain projet de loi de finances pour 2024 a confirmé la tendance : il faut économiser de 10 à 15 milliards d’euros pour « tenir nos objectifs budgétaires » et réduire le déficit public. Avec pour horizon des économies de 60 milliards réalisées d’ici 2027.
Comment larguer sa dette en 10 leçons
« L’objectif n’est pas tant de réduire la dette que de contrôler son rapport au PIB, précise François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes, président de Fipeco. Dès lors, deux options : augmenter la croissance ou réduire les dépenses, chaque méthode a un coût économique et politique. » Les dernières annonces du gouvernement laissent peu de place au doute sur la stratégie choisie : la santé, l’aide au logement et l’aide à l’emploi sont dans le viseur des restrictions budgétaires. Ce choix de diminuer les dépenses n’est pas neutre.
« Personne ne semble envisager une hausse des impôts, dans une logique de subvention du capitalisme » analyse Benjamin Lemoine, chercheur CNRS au Centre Maurice Halbwachs (ENS – PSL). Seules les économies de fonctionnement des Ministères sont donc recherchées, quitte à réduire les capacités d’investissement du service public. »
« Si on adopte un point de vue keynésien, réduire les dépenses peut avoir des effets très négatifs sur la croissance sur le court terme » alerte François Ecalle. Or nous avons besoin de cette croissance pour augmenter le PIB, ce qui, mécaniquement, fera baisser le ratio dette/PIB. Mieux vaut lancer des réformes en profondeur, comme celle du marché du travail ou la réforme des retraites par exemple, afin de limiter la dépense tout en stimulant la croissance. »
Enfin, l’inflation actuelle peut être considérée comme une solution, mais loin d’être satisfaisante. En augmentant la valeur du PIB, l’inflation fait mécaniquement baisser le ratio dette/PIB. « Encore faut-il que la dette n’augmente pas plus vite que le PIB sous l’effet du déficit primaire (c’est-à-dire hors intérêt) et de la charge d’intérêt », nuance François Ecalle.
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Normes factices ou vraie urgence : la dette est finie ?
On est loin du "Quoi qu’il en coûte" soutenu par la politique monétaire accommodante mise en place depuis 2015 par la Banque centrale européenne. Mais d’où vient ce sentiment d’urgence ? Selon le dernier sondage Odoxa - Backbone Consulting - Le Figaro, publié le 1er juin 2023, 62 % des Français considèrent l’objectif de 108,3 % du PIB à horizon 2027 comme important à tenir. « Nous devons revenir à la normale en matière de dépenses publiques » a renchéri Bruno Le Maire le 19 juin.
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« Le sentiment que réduire la dette tient du bon sens ne vient pas de nulle part » avance Benjamin Lemoine. L’inflation, et la remontée des taux ont joué un rôle, mais il ne faut pas négliger l’influence des normes financières.
En matière de dette, la norme de Maastricht affirme que pour faire partie de l’Union économique monétaire (UEM), un pays doit maintenir sa dette publique sous la barre de 60 % du PIB. Suspendue en mai 2022, Covid oblige, cette règle devrait reprendre du service en 2024.
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Enquite, les agences de notation jouent les arbitres et définissent ce qui est « normal ». Si l’agence Fitch a dégradé la note française en avril, les agences S & P Global et Moody’s ont choisi de la maintenir. La pression exercée par ces institutions privées est révélatrice, selon Benjamin Lemoine : « ces agences s’épanouissent dans le vide institutionnel laissé par l’absence de régulation en ce qui concerne le financement des Etats. Elles imposent leur propre discipline de marché » alerte le chercheur.
Rappelons tout de même l’utilité première de la dette : permettre à l’économie du pays de résister en cas de crise – que le pays connait tous les 10 ans environ. Il ne faudrait pas que les clous dans lesquels il conviendrait de rester à tout prix ne deviennent ceux du cercueil de la croissance…
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