Présentée le 1er février dernier au conseil des ministres, le « projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » contient en particulier deux mesures. La première : une carte de séjour « talent » dédiée aux professions médicales. « Elle bénéficiera aux praticiens diplômés hors Union européenne, médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens », précise le site du gouvernement.
La deuxième est la plus intéressante : le gouvernement propose une carte de séjour d’un an dédiée aux métiers en tension ( ceux où il est difficile de recruter).
Les travailleurs irréguliers pourront désormais demander une régularisation, à condition d’être en France depuis au moins trois ans et de disposer d’une expérience professionnelle de huit mois sur les deux dernières années, « dans un métier ou une zone géographique en tension ». L’expérimentation serait lancée jusqu’à fin 2026, et potentiellement pérennisée par la suite.
Un même cadre pour tout le territoire
Est-ce vraiment une nouveauté ? En réalité, ce mécanisme existait déjà depuis la circulaire Valls, au début des années 2010. « Il s’agissait d’une note de conseils aux préfets, afin d’évaluer les régularisations des étrangers en situation irrégulière. Sauf qu’à l’époque, il fallait 24 fiches de paie, et la décision demeurait à la discrétion des préfectures. Cela engendrait de grandes disparités sur le territoire. Et enfin, la démarche se faisait à l’initiative de l’employeur », rappelle Jérôme Valette, économiste de l’immigration au Centre d’études prospectives et d’informations internationales.
Concrètement, si elle entrait en vigueur, cette nouvelle loi aurait ainsi plusieurs impacts pour les personnes concernées: simplification des démarches; cadre unique sur tout le territoire; possibilité pour le travailleur de prendre en main son processus de régularisation. « L’emploi en situation irrégulière, c'est une relation de dépendance du travailleur vis-à-vis de l’employeur. Cette mesure permettrait de réduire cette dépendance. Elle permet de façon générale une amélioration des conditions de travail et de vie pour ces personnes », souligne Jérôme Valette. Bref, une bonne nouvelle pour les intéressés.
Protection et cotisation
Sécuriser le quotidien de ces travailleurs en situation irrégulière, ce n'est pas anodin, acquiesce Ekrame Boubtane, enseignante-chercheuse à l’université Clermont Auvergne, spécialiste des effets économiques de l’immigration : « Avec une autorisation de séjour, ces personnes ne seront plus en insécurité juridique, elles pourront se projeter dans leur emploi et seront plus productives. Elles seront aussi davantage protégées. Actuellement, elles paient des cotisations, voire des impôts, mais ne sont généralement pas couvertes contre la maladie ou l’accident de travail… » Sur le long terme, on peut espérer une meilleure intégration économique et sociale.
Précieux pour ceux disposant de fiches de paie, ce dispositif peut également venir en aide aux travailleurs employés de façon totalement informelle. « Prenons l’exemple d’un cuisinier dans un restaurant, un métier en tension depuis des années. La personne demande un contrat, pour pouvoir ensuite accéder à la procédure de régularisation. L’employeur aura des difficultés à remplacer cette personne et pourra accepter d'envoyer le contrat de manière régulière. Cela peut permettre à certains de passer à un emploi formel », détaille Ekrame Boubtane. Un véritable sujet, alors que l’économie souterraine représenterait environ 12% du PIB français, selon l’Insee.
À lire aussi > L’économie souterraine, moteur auxiliaire de la croissance
Pas de régularisation massive
Attention cependant. Compte tenu des critères fixés par le gouvernement, cette mesure ne correspond pas à une régularisation massive, loin de là. « Cela concerne entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers de personnes », a indiqué Olivier Dussopt, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’insertion à nos confrères de France Info.
« C’est une évidence, d’un point de vue macroéconomique et collectif, il ne faut pas en attendre des effets importants. Cela ne résoudra pas tous les problèmes. Cependant, à l’échelle individuelle, c’est un véritable progrès pour les personnes en situation irrégulière, qui travaillent souvent dans des conditions extrêmement dégradées, sans droit à la protection sociale et en-deçà des minimums légaux », indique Xavier Chojnicki, économiste des migrations, enseignant-chercheur à l’Université de Lille.
D’autant que la mesure ne sera utilisée que dans le cadre de métiers dits « en tension ». Selon l’enquête « Besoins en main d’oeuvre » 2022 publiée par Pôle Emploi, 58% des recrutements sont jugés « difficiles » par les entreprises. Bâtiment, hôtellerie-restauration et santé figurent parmi les secteurs les plus demandeurs de main d’oeuvre. L’enquête cite notamment les métiers de couvreurs, aides à domicile, chaudronniers, serruriers, mécaniciens, carrossiers, conducteurs de transports en commun, ou encore ouvriers qualifiés dans l’agencement et l’isolation.
Lire aussi > Pénurie de main-d'œuvre : quels sont les métiers sous tension ?
Vers une ouverture des voies légales ?
Vous l’aurez compris, il n’est ici pas question d’ouvrir des voies légales d’arrivée en France sur ces métiers, pourtant demandeurs. Au-delà des questions purement politiques, cela peut aussi s’expliquer par la nature de ces postes, souvent plus fragiles. « Les personnes n’ayant pas de qualification particulière occupent des emplois certes en tension, mais qui ont aussi un problème de durabilité. En cas de crise, ce sont les premières licenciées, soit pour des raisons conjoncturelles, soit parce que leur métier est en déclin. Pourtant, ce sont des secteurs essentiels de nos économies », explique la chercheuse Ekrame Boubtane, relevant que les besoins structurels demeurent.
D’autant qu’avec le vieillissement progressif des pays européens, la pénurie de travailleurs sur ces secteurs risque de s’accélérer. « Le gouvernement a le choix : soit améliorer les dispositifs de formation, ce qui prend du temps, soit exploiter cette variable d’ajustement quasiment immédiate du recours à l’immigration sur ces métiers bien spécifiques. Au regard du vieillissement de nos populations, cette tension ne va pas décroître, au contraire », pose Xavier Chojnicki. Les chiffres sont en effet sans appel : selon l’Insee, l’âge moyen en France est de 42 ans, contre 39 ans en 2003 (et 37 ans en 1993)…
Lire aussi > L'immigration rapporte plus aux finances publiques qu'elle n'en coûte