L’essentiel
- À partir du 1er février 2023, les allocataires chômage verront leur durée d’indemnisation réduite d’un quart dès lors que le taux de chômage sera inférieur à 9 % au niveau national.
- L’idée du gouvernement est ainsi à la fois d’inciter au retour à l’emploi et de faire des économies de dépenses publiques
- Problème, le marché du travail souffre surtout d’un problème « d’appariement », en particulier lié au marché immobilier
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« De 100 à 150 000 retours à l’emploi » supplémentaires en 2023. Sans qu’aucune étude d’impact des services statistiques ministériels concernés ne vienne l’étayer, c’est l’objectif chiffré qu’Olivier Dussopt, ministre du Travail, assigne au changement des règles d’indemnisation du chômage que le gouvernement vient d’opérer par décret.
Concrètement, à partir du 1er février 2023, les allocataires verront leur durée d’indemnisation réduite d’un quart dès lors que le taux de chômage sera inférieur à 9 % au niveau national. Un plancher est fixé : la durée d’indemnisation minimale sera de six mois.
Mais, en cas de conjoncture favorable, la période d’indemnisation passera de 24 à 18 mois pour les moins de 53 ans, de 30 à 22,5 mois de 53 à 55 ans et de 36 à 27 mois pour les plus de 55 ans. L’exécutif a certes exclu les résidents d’Outre-mer et un certain nombre de situations professionnelles comme celles des expatriés, des intermittents du spectacle ou encore des marins du périmètre de la réforme. Mais elle affectera une très large majorité des plus de 2,5 millions de demandeurs d’emploi actuellement indemnisés.
Avec cette mesure, le gouvernement s’attaque à ce que l’économie nomme la part structurelle du chômage.
Chômage structurel
Par opposition au chômage conjoncturel lié au ralentissement voire au repli de l’activité économique, le chômage structurel désigne la part du chômage incompressible à court terme car elle tient au fonctionnement même du marché du travail.
Ce changement dans les règles d’indemnisation est porté de longue date par l’économiste Marc Ferracci devenu… député Renaissance et rapporteur du projet de loi sur le travail à l’origine de la mesure. Dans ses propres travaux scientifiques, ce proche d’Emmanuel Macron estime qu’« un allongement de la durée d’indemnisation a généralement pour conséquence d’accroître la durée du chômage ».
Ce constat ne fait pas l’objet d’un consensus général en économie. Il est néanmoins corroboré par des études empiriques comme celle menée par R. Lalive, J. C. van Ours et J. Zweimüller (2004) à propos de la réforme de l’allocation-chômage en Autriche. Ils y estiment qu’une semaine d’indemnisation supplémentaire engendrait une augmentation de la durée moyenne de chômage de 0,1 à 0,4 semaine.
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Attention aux effets de report vers l’inactivité !
Sur le papier, le changement des règles d’indemnisation pourrait donc bien générer les retours à l’emploi tant espérés par le gouvernement. Mais cette mesure n’est pas exempte d’effets secondaires. Le premier d’entre eux, documenté depuis les travaux de Dale Mortensen (1977) et sa Job Search Theory, est que plus le terme de son indemnisation approche, plus un chômeur a tendance à diminuer ses exigences de salaire et de contenu de travail dans sa recherche.
Le risque induit par ce changement des règles d’indemnisation est qu’il incite certains demandeurs d’emploi à accepter des petits boulots peu rémunérés et en inadéquation avec leurs qualifications.
Cependant, ce que les spécialistes du marché du travail redoutent avant tout, c’est que cette mesure engendre des effets de report de l’allocation d’aide au retour à l’emploi vers l’allocation de solidarité spécifique (versée aux chômeurs ayant épuisé leurs droits) et vers le revenu de solidarité active.
La réforme « Ferracci » pourrait alors ouvrir une trappe à inactivité dans laquelle tomberaient ceux des demandeurs d’emploi qui sont les plus éloignés du marché du travail. Soit exactement l’effet inverse de celui recherché.
Trappe à inactivité
Mécanisme par lequel les inactifs ne sont pas incités financièrement à entrer sur le marché du travail. La théorie libérale de l’offre de travail explique qu’un individu « arbitre rationnellement » entre travailler (pour obtenir un revenu) et ne pas travailler (préférer le loisir). Travailler signifie que le salaire couvre la « désutilité » du travail.
Si ce scénario d’une mesure contre-productive n’est pas à écarter, c’est que l’apparente générosité du système d’indemnisation n’est qu’un des paramètres de la complexe équation de la persistance du chômage en France.
Le marché du travail tricolore présente aujourd’hui tous les signes d’une tension extrême. Le taux de chômage s’établit à 7,3 % alors même que la Dares comptabilise 373 100 emplois vacants.
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La résolution de ce paradoxe ne peut se réduire à une hypothétique « grande démission », autrement dit un renoncement au travail d’une part grandissante de la population. Car, comme le rappelait récemment l’économiste Gilbert Cette dans un séminaire coorganisé par les ministères du Travail et de l’Économie, « le taux d’emploi en France (NDLR : le rapport entre le nombre de personnes en emploi et le nombre de personne en âge de travailler, c’est-à-dire âgées de 15 à 64 ans) évolue à des niveaux jamais connus depuis de nombreuses décennies ».
Fin septembre, l’Insee le mesurait ainsi à 68,3 %, en hausse de près de quatre points de pourcentage en dix ans. Tout ceci indique que le marché du travail français souffre de maux plus profonds que les économistes nomment les « problèmes d’appariement ».
Spatial et skill mismatch au cœur de l’équation du chômage
Ces problèmes désignent une inadéquation entre l’offre et la demande de travail. En France, une première discordance entre les besoins des employeurs et les caractéristiques des travailleurs s’observe à propos des qualifications. Des filières comme les industries navale et de la défense font par exemple face à des difficultés majeures de recrutement alors même qu’elles proposent des conditions de travail et de rémunération plutôt attrayantes. Ces tensions tiennent pour partie à ce skill mismatch (inadéquation des compétences) que seule une politique de formation professionnelle incitative peut permettre de résoudre.
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Mais les économistes spécialistes du marché du travail insistent plus encore sur l’ampleur du spatial mismatch (inadéquation géographique) en France. Dans Améliorer les appariements sur le marché du travail (2018), Alexandra Roulet estime que « l’on peut attribuer entre 1 et 2,5 points de pourcentage du taux de chômage français aux mauvais appariements géographiques ».
Elle rappelle d’abord que cette réticence à la mobilité n’est pas l’apanage des Français. Pour le cas des États-Unis, Ioana Marinescu et Roland Rathelot (2018) ont par exemple établi que, toutes choses égales par ailleurs, la probabilité qu’un candidat postule à une offre pour un emploi situé à plus de 16 kilomètres de chez lui est 35 % inférieure à celle qu’il postule à un emploi situé dans l’aire géographique (commune ou arrondissement) du même code postal que sa résidence. Le mythe d’une nation de travailleurs mobiles, se déplaçant au gré des opportunités professionnelles, est donc sérieusement écorné.
Ceci précisé, la France se singularise bien par une aversion à la mobilité géographique plus forte qu’ailleurs. Dans un document de travail récent, Alexandra Roulet et Dylan Glover (2018) montrent que si la non-détention du permis de conduire et l’occupation d’un logement social (dont il peut être difficile de trouver un équivalent à court terme si on déménage pour un motif professionnel) constituent bien des entraves à la mobilité géographique, ce sont des contraintes mineures.
Selon eux, le principal frein à la mobilité géographique, c’est le fait d’être propriétaire de sa résidence principale. Les propriétaires sont ainsi deux fois moins nombreux que les locataires à se dire prêts à déménager pour occuper un nouvel emploi, toutes autres caractéristiques sociodémographiques neutralisées.
Dans un pays où près de six ménages sur dix sont propriétaires de leur résidence principale, la fluidification de l’accès au marché immobilier semble donc constituer un levier plus déterminant pour réduire le chômage structurel que la seule modulation de la durée d’indemnisation du chômage.
Dans le programme de SES
Terminale : « Comment lutter contre le chômage ? »
Pour aller plus loin
Marc Ferracci, « Améliorer le service public de l’emploi : ce qui disent les faits », Revue française d’économie (2007)
Rafael Lalive, Jan C. van Ours et Josef Zweimüller, « How Changes in Financial Incentives Affect the Duration of Unemployment », CESifo Working Paper Series (2004)
Dale Mortensen, « Unemployment Insurance and Job Search Decisions », Industrial and Labor Relations Review (1977)
Alexandra Roulet, Améliorer les appariements sur le marché du travail (2018)
Ioana Marinescu et Roland Rathelot, « Mismatch Unemployment and the Geography of Job Search », American Economic Review : Macroeconomics (2018)
Dylan Glover et Alexandra Roulet, « Increasing the Geographic Mobility of Job Seekers : Evidence from a Randomized Experiment in France », working paper (2018)