« Enrichissez-vous, par le travail et par l’épargne » : le mot du ministre Guizot rappelle que l’important est de se constituer une « fortune », même modeste, pour faire face à l’« infortune ».
Au XIXe siècle où la plus grande liberté du travail prévaut, celle que Jaurès qualifiera de « liberté du renard libre dans le poulailler libre », la révolution industrielle a engendré une véritable mystique du travail : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. »
Aussi les jours chômés (ceux où l’on ne travaille pas) correspondaient-ils aux seules fêtes religieuses.
La question du temps de travail se pose en même temps que se développent à la fois l’industrialisation et le système usinier qui regroupe des salariés sous le même toit.
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En 1840, le docteur Villermé publie le Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. Ce rapport va ouvrir la porte aux premières mesures de réduction de la durée du travail : en 1841, le travail des enfants est limité à huit heures par jour pour les moins de 12 ans et à 12 heures pour les moins de 16 ans.
Les ouvriers s’inquiètent de journées interminables dont la fin est souvent laissée à l’appréciation du chef d’équipe, selon de sévères règlements d’usine.
Portée par le christianisme social, la limitation de la durée de la journée de travail est au cœur des revendications ouvrières. En mars 1848, un décret de la jeune et éphémère IIe République fixe la durée du travail à 10 heures par jour à Paris et 11 heures en province… soit tout de même 66 heures de travail hebdomadaires !
La question rebondit avec l’introduction du taylorisme au début du XXe siècle. Les ouvriers font grève contre le « chronométrage », soit un temps de travail mesuré au rendement.
En juillet 1906, la IIIe République promulgue la loi sur le repos hebdomadaire pour tous les salariés de l’industrie et du commerce ; en octobre, le chef du gouvernement, Georges Clemenceau, crée le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, expression d’un compromis entre ordre et bien-être social.
La CGT ne désarme pas et réclame, avant 1914, les huit heures de travail par jour. En 1919, Clemenceau, désormais vainqueur de la Grande Guerre, pousse à la « loi des huit heures » pour récompenser les Poilus et couper court aux revendications qui explosent dans l’après-guerre.
Mesure « généreuse » et « malheureuse »
En 1936, le gouvernement de Front Populaire réintroduit la baisse du temps de travail dans les accords de Matignon destinés à mettre un terme à la grève générale, d’une part en réduisant la semaine de travail à 40 heures (au lieu de 48), adaptant ainsi, selon la formule de Jean-Charles Asselain « le maximum d’heures de travail disponibles à peu près au niveau du minimum d’heures effectivement employées au plus profond de la crise » ; d’autre part, en instaurant les premiers congés payés (12 jours ouvrables).
Pour Alfred Sauvy la « loi des 40 heures » fut la « mesure la plus généreuse et la plus malheureuse de l’histoire économique française ». Généreuse : les salariés découvrent la semaine de cinq jours sans baisse de salaire puisque le samedi devient chômé dans l’industrie et le lundi dans le commerce. Malheureuse : la reprise de l’économie mondiale vint buter en France sur « le mur des 40 heures », selon la formule d’Alfred Sauvy.
1936 est restée dans la mémoire collective comme le début de l’ère des loisirs, avec en sus les premiers congés payés, douze jours ouvrables. Pourtant, dès novembre 1938, le nouveau président du Conseil Édouard Daladier veut « remettre la France au travail » et démantèle la loi des 40 heures, notamment pour les « entreprises qui intéressent la Défense nationale. » L’urgence n’est plus sociale, elle est militaire.
Financer les loisirs
Pendant les Trente Glorieuses, c’est principalement par l’extension des congés annuels que se poursuivra la baisse de la durée du travail : en 1965, le syndicat Force ouvrière d’André Bergeron signe avec la Confédération nationale du patronat français (CNPF, l’ancêtre du Medef) un accord portant les congés payés à quatre semaines. Il faudra cependant attendre mai 1969 pour que cet accord, devenu loi en mai 1968 à la suite des « événements », soit appliqué.

Ce sont enfin deux socialistes qui, dans la continuité du Front populaire, actionnent les deux leviers affectant directement le temps de travail : le gouvernement de Pierre Mauroy instaure, en janvier 1982, la cinquième semaine de congés payés (lois Auroux) et diminue symboliquement d’une heure (le 1er avril 1982) la durée hebdomadaire du travail.
Le gouvernement de Lionel Jospin (lois Aubry votées en 1998 et 2000) réduira ce temps à 35 heures en 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés (2002 pour les autres) en limitant très strictement le recours aux heures supplémentaires, avec pour conséquence un manque à gagner pour les salariés qui en bénéficiaient.
Présentée comme une mesure de lutte contre le chômage par le partage du travail (on retrouve l’idée malthusienne que la demande de travail est limitée et qu’il faudrait y adapter l’offre selon le slogan « travailler moins pour travailler tous »), cette loi et son impact sur l’emploi font encore aujourd’hui polémique, les conséquences de court terme (de 3 à 500 000 emplois créés selon les sources) se heurtant à des effets de long terme tels que la démonétisation du travail en tant que valeur.
Le moindre des paradoxes n’est-il pas de ne plus pouvoir financer par le travail le temps de loisir dont on dispose désormais ? Moins de sueur au front ne garantit pas pour autant davantage de pain !